L’émotion de nos clients face à la crise médiatique

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La communication face à l’adversité de la crise

Il y a toujours un moment donné de la crise où quelqu’un dit à nos clients de “s’endurcir”. Aux personnalités publiques que nous accompagnons (acteurs, sportifs, artistes …), les commentateurs disent souvent « Une star, ça ne se plaint pas, la crise c’est la rançon de la gloire ». Les mêmes disent aux entrepreneurs « Les gens riches ne pleurnichent pas, ils sont privilégiés par la vie, la crise passera et ils seront toujours privilégiés ». Nos clients Anglais, à cet égard, ont érigé en art la capacité à réagir avec stoïcisme face à l’adversité des médias et des internautes.

C’est très (trop ?) facile de dire cela de l’extérieur. Ce serait une erreur majeure pour le conseiller en communication de crise que de ne pas prendre en compte le rôle de l’émotion dans la gestion de crise.

Nous sommes bel et bien des êtres humains et nous ressentons les émotions qui sont exacerbées pendant une crise médiatique qui crée une pression très forte. Nous ne pouvons ni les empêcher ni les éviter. Certes, nous pouvons les ignorer, nous pouvons nous mentir à nous-mêmes, nous pouvons nous anesthésier avec de la drogue, de l’alcool, de la nourriture, du sexe, etc., mais, quelle que soit la manière dont nous faisons face à nos émotions, nous ne pouvons empêcher nos réactions physiologiques face à la crise qui est nécessairement un moment de doute, un moment d’angoisse, un moment d’incertitude et de stress.

C’est une vérité biologique, un fait indéniable : ce que nos clients pensent, ils le ressentent dans leur corps. S’ils pensent à quelque chose de déprimant, ils peuvent par exemple ressentir un poids pesant sur la poitrine, un nœud dans l’estomac ou encore une barre dans le front. Si ils sont enthousiasmés par quelque chose, ils peuvent se sentir légers ou avoir l’impression d’être submergés par une vague d’énergie. Si ils ont peur, ils peuvent avoir des difficultés à respirer, leur pouls peut s’accélérer et ils peuvent transpirer plus que d’habitude ce qui est toujours terrible à la télévision lors d’une interview par exemple. Ces réactions physiologiques sont inévitables même si le Mediatraining peut aider à les maîtriser.

C’est important d’en être conscient quand on s’efforce de communiquer et d’influencer des gens lors d’une crise. Voici quelques réactions typiques sur les plans émotionnel et comportemental lors d’une crise. Elles sont aussi pertinentes dans le contexte d’une entreprise (en communication corporate), d’un pays (en communication politique) ou d’une famille.

Le modèle SCARE

L’une des principales missions du cerveau humain est d’assurer la survie. Par conséquent, il veut toujours s’assurer qu’une décision ou une action sera sans danger.

Tout au long de la journée, le cerveau évalue inconsciemment les situations rencontrées : Cette personne peut-elle me faire du mal ? Cet environnement de travail est-il sans risque ? Ce trajet en train peut-il représenter un danger ? Ce chien risque-t-il de me mordre ? Cette conversation peut-elle me faire du tort ? Cette voiture est-elle en bon état ? Ce manège (dans un parc d’attractions) peut-il me tuer ou me blesser ?

Toutes ces questions portent sur notre sécurité. Elles abordent peut-être cette idée sous un angle différent, mais en fait, quand on y prête attention, tout est lié à cette notion de survie. Tout ce que nous faisons, tous les jours, vise à assurer notre survie.

Si la réponse à toutes ces questions est « oui », alors le cerveau fonctionne comme à son habitude et vous ne vous rendez même pas compte qu’il a évalué la situation. Mais si la réponse est non, une autre partie du cerveau prend le relai.

Basée sur les neurosciences, cette théorie se concentre sur les moyens d’influencer les gens. Elle a été développée par le docteur David Rock, qui dirige l’Institut de leadership des neurosciences.

David Rock part du principe que les employés qui se sentent menacés dans leur travail ont des réactions prévisibles, car l’impression de menace déclenche le réflexe de combat, fuite ou paralysie de la part de cette partie du cerveau.

Il a structuré sa théorie sous la forme de l’acronyme « SCARE ».

L’acronyme SCARE (que les DRH connaissent bien) correspond aux éléments suivants :

  • Statut – Il s’agit de votre rang ou votre position par rapport aux autres (au travail, au sein d’une famille, par rapport à des amis, dans une communauté).
    Certitude – Le cerveau adore les certitudes, c’est-à-dire ce qui est familier et prévisible.
  • Autonomie – Quel degré d’autonomie, de liberté, avez-vous pour prendre des décisions au travail ou à la maison ?
  • Relation – la notion de relation aux autres. Demandez-vous : Est-ce que je m’entends bien avec les autres dans ma vie personnelle et professionnelle ? Y a-t-il des conflits avec mon chef ou mes collègues ? avec mon conjoint ? avec mes enfants ? avec mes parents ?
  • Équité – L’idée de justice. Suis-je traité équitablement, ou les autres obtiennent-ils plus que moi ?

Selon David Rock, si votre cerveau considère qu’au moins un des aspects est menacé, alors la personne ressentira du stress. Voici quelques exemples :

  1. L’irruption d’une nouvelle technologie révolutionne votre secteur d’activité (exemple : l’impact de Netflix sur l’audiovisuel). En conséquence de quoi, votre entreprise fait face à d’importantes pertes financières. Le PDG et l’équipe de direction ont développé un plan pour redresser la situation, consistant en un investissement massif dans une nouvelle technologie, mais il va falloir patienter 18 mois avant que l’entreprise puisse à nouveau engranger des bénéfices. Du fait des changements importants qui en découlent au sein de l’entreprise, chaque employé se sent menacé sur les 5 dimensions que je viens de décrire : statut, certitude, autonomie, relation et équité.
  2. Pour l’assister dans ce changement radical, votre entreprise fait appel à des managers qui maitrisent beaucoup mieux que vous le déploiement de cette nouvelle technologie. Vous avez un nouveau chef, et celui-ci n’est pas d’accord avec la manière dont vous travaillez. Les éléments de statut, certitude et autonomie sont menacés.
  3. Votre épouse rentre tous les jours de mauvaise humeur de son travail, parce que son nouveau responsable bouleverse tout son fonctionnement et elle a peur de perdre son poste. Elle s’en prend à vous, et par conséquent, vous vous querellez souvent. Votre relation et votre sens de l’équité sont menacés.
  4. Votre père et votre mère se disputent souvent à cause de leur travail, et en plus vous vous sentez harcelé à l’école. Les aspects certitude, relations et équité sont menacés.

Dans chacun de ces exemples, les personnes sont la proie de SCARE, aussi la partie du cerveau en charge de la survie est souvent aux commandes. En période de stress, nos décisions sont dictées davantage par les émotions que par la raison.

Le fait que cette partie du cerveau ait pris le contrôle est souvent un phénomène inconscient. C’est pour cette raison que notre réaction émotionnelle peut nous sembler parfaitement rationnelle, alors que les gens à qui nous exposons notre raisonnement pensent que nous marchons sur la tête.

Il y a différentes manières d’aider quelqu’un qui ressent l’un de ces cinq problèmes. Par exemple, si quelqu’un pense que son statut est menacé, vous pouvez le complimenter devant ses collègues, car cela l’aidera à se sentir apprécié et respecté.

Si c’est le sentiment de certitude qui semble en cause, essayez de rassurer la personne. Si ce n’est pas possible (comme dans l’exemple fictif de l’entreprise confrontée à de nombreux changements), essayez de présenter ce qui pourrait être considéré comme négatif, comme en fait quelque chose de positif – en effet, tout changement est une opportunité. Ou bien, proposez un choix. Les gens ont l’impression d’avoir plus de maitrise de la situation s’ils ont la possibilité d’effectuer des choix, même si les alternatives possibles ne sont pas forcément idéales pour eux.

Si on ôte leur autonomie aux gens, on peut aussi leur proposer plusieurs alternatives. Cela leur donne en effet l’impression d’avoir une certaine liberté.

Si une personne ne semble pas avoir de bonnes relations avec les autres, faites en sorte de toujours prendre quelques minutes pour discuter avec elle et de systématiquement l’inclure dans les conversations, les réunions ou les projets.

En cas de problème sur le sujet de l’équité, les gens doivent avoir l’impression qu’on les écoute. Leur point de vue doit être entendu, compris et pris en compte. C’est seulement une fois ces trois critères remplis qu’il sera possible de discuter de manière rationnelle. Il est cependant probable que, même après cette discussion, la personne considère la situation comme injuste, donc essayez de trouver les côtés positifs pour elle. Quels sont les avantages et les opportunités de la situation, aussi difficile soit-elle ?

Vous serez peut-être tenté de vous demander si cette approche, qui semble excellente de manière individuelle, est adaptée à l’échelle d’une entreprise tout entière. Eh bien, la réponse est oui.
Les entreprises sont constituées de leurs employés. Ces employés, pris ensemble, peuvent sembler former des groupes énormes, mais en réalité ce sont des individualités qui fonctionnent côte à côte. Quand les gens se sentent menacés sur au moins l’une des 5 dimensions décrites, prêtez particulièrement attention à la manière dont vous interagissez avec vos employés. C’est aussi vrai quand vous avez affaire à un membre de votre famille, à 10 000 employés ou à 10 millions de citoyens.

Pour reprendre le cas de l’entreprise fictive en train de modifier son business modèle, l’équipe dirigeante pourrait proposer des options telles que la retraite anticipée ou la rupture conventionnelle pour diminuer les coûts salariaux et permettre aux employés dont les compétences seront inutiles dans le nouveau modèle de partir dans de bonnes conditions. Cela donne aux employés la possibilité de choisir leur sort, de maitriser la situation et donc d’avoir un plus grand sentiment de certitude. Pour l’entreprise, cela signifie aussi que la période de transition se passe mieux, car les employés qui restent ont a priori choisi de rester et souhaitent donc apporter leur contribution à ce changement de modèle d’affaires. Leur proposer des alternatives a donc un impact positif sur la certitude, le statut, les relations et l’équité.

Souvenez-vous : l’instinct le plus fort chez les humains est l’instinct de survie, la recherche de sécurité. Mais cette notion signifie des choses différentes pour chaque personne. Le sentiment de sécurité peut être lié au fait de pouvoir s’appuyer sur une famille unie, d’avoir un emploi qui vous permet d’avoir le style de vie souhaité, d’être propriétaire de son logement, etc.

Quels que soient les éléments qui vous procurent ce sentiment de sécurité, une chose est sûre : si vous ne vous sentez pas en sécurité, la peur engendrée est source de stress. Et lorsque la peur et le stress apparaissent, c’est cette partie du cerveau dédiée à la survie qui prend le pouvoir.

Les 5 étapes du deuil

En plus des réactions neurologiques, une crise provoque aussi d’importantes réactions émotionnelles. Ces deux réactions sont évidemment liées, mais il faut bien faire le distinguo ici parce que les réflexes neurologiques bien spécifiques de combat, fuite et paralysie peuvent s’accompagner d’une infinité de réactions émotionnelles.

Elisabeth Kubler-Ross était une psychiatre respectée, qui a développé la célèbre théorie des cinq étapes du deuil. Elle a identifié les 5 étapes suivantes : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation.

Le travail du Docteur Kubler-Ross était axé sur la mort et le choc provoqué par le deuil, mais sa théorie a été utilisée pour un nombre incalculable de situations où nous percevons une quelconque perte de manière négative. Être renvoyé, rompre, devoir s’isoler des autres à cause d’un virus meurtrier, sont autant de situations pouvant provoquer une sensation de perte similaire à un deuil.

Il est fréquent pour des personnes traversant une période difficile de leur vie de passer par les étapes décrites par le Docteur Kubler-Ross. Imaginons que votre entreprise soit en plein plan social et que vous perdiez votre emploi de manière inopinée pour cette raison, en même temps que 20 % de vos collègues. Vous éprouvez d’abord un choc. Puis, vous allez avoir l’impression d’être sur les montagnes russes au fur et à mesure que vous allez passer par les 5 étapes du deuil.

  • En premier vient le déni : « Ce n’est pas un problème. Je vais rapidement trouver un autre travail. L’entreprise pourrait même me réembaucher d’ici quelques semaines quand elle se rendra compte qu’elle a licencié trop de monde et qu’elle a besoin de moi. Donc en fait, c’est plutôt des vacances ! »
  • Puis vient la colère : « Comment ont-ils pu me renvoyer ! Les dirigeants ne sont que des abrutis. Pas étonnant qu’ils se retrouvent en pareille situation. Je vais aller sur Facebook et dire exactement ce que je pense de cette entreprise et de ses pratiques ! »
  • Ensuite vient le marchandage. Lors de cette étape, la personne négocie avec elle-même ou bien avec une entité supérieure. « Bon, faisons un marché. Je vais encaisser mes indemnités et passer les prochains mois à chercher un travail plutôt que de rester vautré sur le canapé et en échange, Dieu va m’aider à trouver un emploi encore mieux. »
  • Puis, vient la dépression. À un moment donné, la tristesse s’installe et dans certains cas, elle peut être accablante. La perte d’un emploi, la perte des collègues, qui sont parfois perçus comme une deuxième famille, la perte des repères et des routines de travail qui structuraient les journées et la perte de revenus, peuvent être pesantes voire effrayantes. « Je ne sais pas quand cette période d’incertitude va finir. Quand les choses vont-elles reprendre un cours normal ? » La dépression qui s’ensuit peut être légère ou sévère, temporaire ou de longue durée.
  • La dernière étape est l’acceptation. « J’ai été licencié. C’est comme ça et je ne peux rien y faire. Il faut que je trouve une solution pour m’en sortir et que je trouve un nouvel emploi. »

Ces réactions ne se produisent pas toujours dans le sens indiqué ci-dessus, et certaines peuvent durer longtemps alors que d’autres sont si courtes qu’elles sont presque insoupçonnables. Ce travail de deuil est universel, même si le détail est propre à chacun.

Du point de vue de l’entreprise, en tant que directeur de la communication par exemple, c’est très utile de savoir que les employés passent par ces étapes au cours de périodes difficiles. Il est alors plus facile de guider le PDG dans sa communication de crise auprès des employés. La communication interne a d’ailleurs un rôle clé dans la gestion de crise. Cela permet aussi de mieux savoir comment dialoguer avec les membres du service de communication.

Il est rassurant de savoir que nous réagissons tous à la perte, quelle qu’elle soit, de la même manière. Quelles que soient les personnes avec qui vous communiquez lors d’une crise, être conscient de leurs émotions et les comprendre, au moins en partie, est très important.