Communication de crise : la gestion d’un décès brutal

La Communication de crise et La Gestion de Crise face à la mort

Comment surmonter le décès brutal d’un dirigeant ou le suicide d’un salarié ?

Un deuil au sein d’une entreprise amorce une période difficile pour l’employeur comme pour les collaborateurs. Au choc et à la tristesse s’ajoute le devoir de répondre au mieux à la situation. Conseils et témoignages sur la façon de gérer au mieux cet évènement qui peut générer en crise.

Les entreprises doivent aussi affronter la mort, qu’il s’agisse de celle de leur patron ou de leurs employés. En témoigne la tragique disparition du chef Benoît Violier il y a peu. Face au suicide de Benoît Violier, le plus grand chef français de ces 10 dernières années, même ceux qui ne le connaissaient pas personnellement ont été choqués, comme si une montagne s’effondrait, comme si nos représentations les plus sûres de ce que doit être la vie et le bonheur s’étaient soudain évaporées ! La force tranquille, la rigueur, le bon sens, l’humour, la gloire, la reconnaissance, le bonheur familial, l’amitié, les honneurs… Tout cela, balayé en quelques secondes, dans le silence d’une maison du Canton de Vaud, en Suisse, le dernier dimanche de janvier 2016, pendant que sa femme et son fils se rendaient à un déjeuner, chez des amis, où il était attendu. Et où il ne se rendra pas.

Ce fut aussi le cas de la disparition du CEO de Swisscom Carsten Schloter, qui s’est donné la mort en juillet 2013.

Autre triste exemple: l’accident d’hélicoptère qui a fait cinq victimes en octobre 2014, parmi lesquelles le président de la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE) Jean-Pierre Rosselet, le vice-président Christian Michoud, le membre du comité directeur Bernard Steck et l’assistante de direction Anne-Marie Bauer.

“Lorsqu’un décès intervient dans une PME à taille humaine comme la FVE, les liens avec les victimes sont forcément différents de ceux existant dans une multinationale, explique Frédéric Burnand, porte-parole de la fédération. Ces liens de nature professionnelle sont aussi amicaux. Je connaissais chacune des victimes, avec qui je travaillais de manière étroite.”

“Qu’il s’agisse de mort violente, naturelle ou accidentelle, la communauté est touchée en son coeur, son équilibre potentiellement ébranlé. Or, si l’entreprise gère mal le décès d’un de ses membres, les conséquences peuvent être graves pour le bienêtre des collaborateurs et, à terme, pour les affaires.” affirme Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui dirige l’agence LaFrenchCom qui a fait de la gestion des communications les plus délicates et sensibles sa spécialité.

“Lorsque ma collègue s’est suicidée, c’est comme si la boîte s’effondrait avec elle, témoigne cette trentenaire qui préfère garder l’anonymat. Personne n’avait les mots qu’il fallait pour calmer ma tristesse mais aussi ma colère: les responsables avaient-ils suffisamment considéré cette collaboratrice? Auraient-ils pu faire quelque chose pour que cela n’arrive pas? Et pourquoi n’apportaient-ils aucune réponse à toutes ces questions? N’en avaient-ils rien à faire?”

Communication de crise : éviter le risque de l’effet miroir

Même si tout le monde ne réagit pas de la même façon à l’événement, de l’avis des spécialistes, certains mécanismes s’installent dans ce genre de situation de crise.

“L’être humain est particulièrement doué pour évacuer la question de la mort, observe la psychologue du travail Anny Wahlen, également certifiée en psychologie d’urgence. Ce qui est tout à fait normal. Mais lorsqu’un décès intervient soudainement, l’individu est confronté à sa propre finitude.”

“Dans cette période sensible de crise, un effet miroir peut alors se mettre en place. Ce fut le cas chez Renault. En l’espace de quatre mois, d’octobre 2006 à février 2007, trois salariés du technocentre de Renault à Guyancourt mettaient fin à leurs jours, chez eux ou sur leur lieu de travail. Immédiatement, la direction écarte tout lien entre ces morts et sa politique de direction du personnel. Mais le rapport de force tourne bientôt en faveur des syndicats qui dénoncent l’ambiance “anxiogène” régnant au technocentre. Ce sera encore le cas de la crise chez Orange France Telecom. Le premier suicide remonte à février 2008. À cette date, un salarié de 52 ans du central téléphonique d’Amboise se donne la mort sur son lieu de travail. C’est le début d’une série noire. Elle sera marquée, en 2009, par la mort d’un employé de 51 ans à son domicile à Marseille. Dans un courrier, ce dernier met clairement en cause son employeur: «Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause», écrit-il. Il évoque, entre autres, un «management par la terreur». Quelques semaines plus tard, un autre acte désespéré marque les esprits: celui d’un salarié qui se poignarde en pleine réunion. Dans les jours qui suivent, une salariée se défenestre à Paris, une autre est retrouvée inanimée après avoir avalé des barbituriques… Au total, 35 salariés de l’entreprise se sont donné la mort sur les deux seules années 2008 et 2009, selon les syndicats et la direction. Dans ses réquisitions, le parquet de Paris cite 39 victimes: 19 qui se sont suicidées, 12 qui ont tenté de le faire, et 8 qui ont subi un épisode de dépression ou ont été en arrêt de travail. La CFE-CGC d’Orange, qui en décembre 2009 lance avec Sud une procédure contre l’entreprise et ses dirigeants, évoque aujourd’hui «des milliers de collaborateurs atteints de troubles liés à la dépression ou à l’anxiété dont ils ne se remettront peut-être jamais». En parallèle, le patron de France Télécom multiplie pourtant les dérapages et n’arrive pas à gérer la crise. Il arrive encore à moins à communiquer sur cette crise pour reprendre la main sur le tempo médiatique. Il regrette «l’effet contagion» provoqué par la médiatisation des suicides. Il parle même de «mode» et de «petit choc». Il prévient ses troupes: «la pêche aux moules, c’est fini». «En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte», explique-t-il encore. Son avocat, Jean Veil, parle de «maladresses de langage». Mais salariés, syndicats et opinion publique sont choqués. En octobre 2009, Didier Lombard fera son mea culpa et parlera d’«énorme bourde». «Je n’ai probablement pas prêté une attention suffisante à quelques indicateurs», concède-t-il.” décrypte l’expert en communication de crise Florian Silnicki.

“Le collaborateur va s’identifier, l’événement peut résonner en lui et peut-être faire écho et réactiver un vécu personnel, même lorsque le défunt n’est pas un proche.” décrypte Florian Silnicki.

Florian Silnicki se souvient d’un cas  de crise en particulier. “Un patron très médiatique était décédé d’une crise cardiaque pendant le week-end. C’était quelqu’un de très stressé qui se surmenait depuis longtemps. Dès le lundi matin, nous avons mis en place un espace de parole.” But de la démarche: que chacun puisse s’exprimer et faire part de sa tristesse, ses craintes et ses interrogations à un professionnel externe. “Les questions qui revenaient souvent étaient justement liées à cet effet miroir. Les employés me demandaient si eux aussi risquaient de mourir de façon semblable.”

Définir une marche à suivre pour communiquer efficacement et gérer la crise

Il demeure néanmoins primordial pour l’entreprise de savoir communiquer autour du décès et de laisser ventiler l’émotionnel. “Il faut avoir un discours clair et précis, insiste Florian Silnicki, pour l’adresser à l’équipe dans son ensemble et éviter que des rumeurs ne prennent forme.” Et si possible avoir défini à l’avance une marche à suivre pour ce type de situation.

“Quelques mois avant le drame, nous avions mis en place à la FVE une stratégie de management et communication de crise qui nous a passablement aidés à traverser cette épreuve, raconte Frédéric Burnand. Et c’est le conseil que je donnerais: se doter d’une méthodologie pour gérer les éléments qui interviennent immédiatement après le décès – les émotions, les médias, les contacts avec les familles, le deuil – et ceux qui prendront place après. Car il faut rebondir, il faut que l’entreprise puisse continuer. Depuis, nous avons d’ailleurs mis en place une liste de contacts utiles – psychologues et autres professionnels de ce type de situation – à disposition de nos membres qui pourraient être confrontés à leur tour à ce genre d’événement.”

“Le conseil que je donnerais: anticiper la gestion de crise et se doter d’une méthodologie de communication de crise pour faire face à ces situations sensibles.” Florian Silnicki.

Communication de crise : réussir à miser sur l”Un effet rassembleur pour l’équipe”

A la tête des confiseries qui portent son nom, Christian Boillat emploie environ 90 personnes. L’été dernier, un de ses collaborateurs s’est énuqué en plongeant dans le lac. Une tragédie que l’équipe a traversée ensemble.

“L’accident est survenu un jeudi en fin d’après-midi. J’ai appris la nouvelle de mes employés le lendemain matin, en arrivant au laboratoire. Les parents du défunt étaient passés la veille, juste après avoir été avertis du décès de leur fils, pour annoncer la triste nouvelle à ses collègues. Certains de mes collaborateurs étaient avec le défunt lorsque c’est arrivé. Ils ont été exemplaires, ils sont venus travailler malgré le choc et m’ont dit qu’ils étaient mieux ici qu’à la maison, que c’était important pour eux.

Ma première réaction a été d’appeler la police pour savoir s’il était possible de mettre en place une cellule psychologique d’urgence. Ils m’ont dit qu’il n’y avait rien de prévu et m’ont donné le numéro d’une permanence au CHUV. J’ai ainsi pu discuter avec un psychologue qui m’a expliqué comment procéder. Il m’a dit de réunir tout le monde, faire le point et expliquer ce qui s’était passé, pour que l’ensemble des collaborateurs ait la même version et pour éviter que des rumeurs ne se propagent. Et c’est donc ce que j’ai fait, en demandant à mes employés présents lors de l’accident de raconter comment il était survenu. On a ensuite respecté une minute de silence. J’ai aussi appelé les parents du collaborateur décédé. Ils voulaient savoir ce qui s’était passé, car la police ne leur avait rien dit. On s’est donc vus dans mon bureau, j’ai également convoqué les collègues de leur fils présents lors de l’accident pour qu’ils leur racontent le déroulement. Ce fut clairement la partie la plus difficile du processus. Par la suite, à plusieurs reprises, j’ai demandé à mes employés comment ils se sentaient, s’ils avaient besoin de quelqu’un pour en parler. Mais personne n’a sollicité d’aide particulière. On a vécu le deuil au jour le jour, de façon naturelle. Ce n’était la faute de personne, simplement la fatalité. L’enterrement était très dur, mais il a permis de dire au revoir à leur collègue. C’était la première fois qu’un de mes collaborateurs décédait. J’ai dû gérer et assumer, je n’avais pas vraiment d’autre choix. Cette épreuve m’a fait grandir et a eu un effet rassembleur sur l’équipe qui l’a traversée.”