Le spin-doctor Jacques Pilhan est mort

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Jacques Pilhan est mort, et un assourdissant silence se fait autour de sa disparition.

Depuis l’annonce, dimanche 28 juin, du décès du consultant en image du chef de l’Etat, à l’âge de cinquante-quatre ans, d’un cancer du poumon, aucune voix n’a publiquement salué ou, simplement, évoqué sa mémoire. 

Quelle est donc cette étrange loi du silence ? Quel est ce consensus implicite auquel souscrivent Jacques Chirac, Michel Rocard, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy, pour ne citer qu’une poignée de ses plus célèbres “clients” ?

Comment se fait-il que, à l’heure même où tombe le communiqué annonçant la mort de son conseiller en communication, le président de la République, en voyage en Afrique australe, ne s’exprime que pour célébrer la qualification de la France en huitième de finale “Je suis le plus heureux des hommes”, a-t-il dit. Oublié, Jacques Pilhan ? Effacé, comme un souvenir gênant ? 

Bien sûr, il y a l’homme et son parcours. Conseiller de François Mitterrand pendant onze ans, invité de la table familiale à Latche, intime des dernières et des plus sombres heures du deuxième septennat, il a “trahi” en se mettant au service de Jacques Chirac. Les socialistes se taisent, il n’est plus de leur famille. Un seul a fait part de son émotion, mardi 30 juin, en répondant à une sollicitation de Jean-Pierre Elkabbach, au micro d’Europe 1. “C’était un ami. C’est l’un des hommes les plus subtils que j’ai rencontrés de ma vie“, a confié Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Ce n’est pas un hasard si la seule personne à s’être exprimée à gauche est plus mitterrandiste que socialiste. Ne raconte-t-on pas que François Mitterrand, justement, s’était montré plus épaté que froissé par le parcours de son conseiller : “Ce Pilhan, quel culot, tout de même !“, confiait-il à Franz-Olivier Giesbert (Le Vieil Homme et la mort, Gallimard, 1996) quelques mois avant sa mort. 

L’ENNEMI D’HIER 

A droite, Jacques Pilhan était détesté. On peut mesurer et comprendre l’indignation des “compagnons”, jeunes ou vieux, lorsque, tout juste élu à la présidence de la République, Jacques Chirac annonce officiellement qu’il s’attache les services du conseiller en communication de son prédécesseur à l’Elysée. Eux se sont battus pour cette élection présidentielle, ils ont partagé les moments les plus difficiles, la solitude, l’abandon, les traîtrises. Et le voilà, lui, l’ennemi d’hier, le mauvais esprit qui semait quotidiennement des chausse-trapes sous les pas de Jacques Chirac pendant la première cohabitation, puis pendant toute la campagne présidentielle de 1988, élevé subitement au rang d’intime du président, moyennant, au passage, espèces sonnantes et trébuchantes sur le compte de la République. 

Usurpation, illégitimité, offense à la morale politique, s’il en est une : publiquement ou, plus souvent, officieusement, l’indignation débordait. Les condoléances ne pouvaient donc pas venir, non plus, de ce côté-là. 

On ne rend pas hommage aux mercenaires. Le parcours de Jacques Pilhan pourrait s’apparenter à celui de ces hommes-là. Ils partagent la vie et les secrets des dirigeants, les palais nationaux s’ouvrent pour eux, on achète cher leurs conseils, mais ils meurent sans un mot public de ceux qu’ils ont servis. 

Ce silence pose une autre question. Ce serait donc cela, la communication politique, en 1998 : un secret de famille inavouable, une affaire strictement privée, qu’il faudrait dissimuler au dehors ? Tous les dirigeants politiques ont recours à des conseillers en image, beaucoup d’entre eux leur vouent une confiance aveugle, ne font rien, au mieux, sans leur avoir préalablement soumis leurs projets, attendent d’eux, au pis, qu’ils leur en fournissent clés en main. 

La réalité est celle-là depuis les années 80, mais elle serait donc aussi mal assumée qu’un vice caché, qu’une consultation de cartomancienne ou de mage africain. Quelle ironie pour le théoricien de “l’écriture médiatique” donnant naissance au storytelling à la française, pour l’homme qui affichait son mépris à l’égard des autres conseillers en communication, volontiers ravalés au rang de marchands de savon ou d’étroits spécialistes de la réclame !

Ceux-là aussi d’ailleurs, concurrents ou anciens partenaires professionnels de Jacques Pilhan, pourtant habitués des plateaux et des tréteaux médiatiques, figurent aujourd’hui aux abonnés absents des commentaires. Quelle étrange leçon que celle de ce silence gêné, pour celui qui se prévalait, souvent avec suffisance, de puiser son savoir-faire dans les ressources de la psychanalyse, de la sociologie, de l’histoire ou de la philosophie ! 

Il y a peut-être encore une autre raison à cette “omerta” des hommes politiques. Jacques Pilhan, comme tous ceux qui exercent le même métier que lui, savait beaucoup de choses. De celles que l’on ne révèle qu’à son médecin ou à son confesseur : des doutes, des faiblesses, des fragilités, de la vulnérabilité, qui, surtout, ne doivent pas franchir la porte du cabinet ou du confessionnal. Evoquer la mémoire de Pilhan, c’est avouer implicitement tout cela. Alors on se tait, mais sans doute y aura-t-il beaucoup de monde à l’enterrement, entre gens qui partagent le même secret de famille. 

Et puis, qui sait ? Peut-être que beaucoup de ceux que Jacques Pilhan a conseillés se sont demandé ce qu’il convenait de faire et de dire en cette occasion. Il n’était plus là pour le leur souffler.