Pour accompagner les entreprises dans la gestion des situations délicates, les actionnaires, voire les fonds de pension, font appel à des managers indépendants et spécialisés. Parfois, ils leur confient un mandat social. Ce type d’intervention préventive mériterait peut-être d’être plus courant.
Multiplication des plans sociaux, outrances d’une certaine délinquance patronale et actionnariale, effets parfois désastreux d’un ultraopportunisme spéculatif… Les notions de crise et de rupture ont rarement trouvé autant d’écho dans la vie des entreprises, grandes ou petites. Les entreprises se trouvent fragilisées par leurs donneurs d’ordres ou leurs clients, et le nombre des dépôts de bilan repart à la hausse. Les effets dominos jouent : entreprises sous-capitalisées, trésoreries fragilisées, allongement des délais de paiement…
Mais reconnaître qu’on se trouve en difficulté est toujours difficile pour un manager. “Surtout en France, où la culture du droit à l’erreur n’est pas vraiment développée, contrairement peut-être à ce qui se passe outre-Atlantique”, convient Antonio Alvarez, de la société américaine Alvarez & Marsal, spécialisée dans la restructuration d’entreprise récemment implantée sur le marché européen.
Sauver l’entreprise. Outre-Atlantique, les actionnaires et autres fonds de pension n’hésitent pas, depuis des années, à faire appel aux “company doctors”, entrepreneurs et managers aguerris, pompiers dépêchés sur les différents foyers de crise des entreprises.
Réorganisation, fusion, crise financière, plan social, accident, marché en effondrement ou en croissance mal contenue, conciliation avec les banques, conflit interne… Autant de situations, que le management en place, quelles que soient ses qualités et compétences, n’est pas nécessairement en mesure d’affronter ni de gérer. Longtemps taxés de redresseurs, les managers de crise sont appelés par l’actionnariat pour sauver l’entreprise ou tout au moins valoriser le patrimoine des actionnaires alors qu’il est menacé. Appelés au chevet de l’entreprise en difficulté par le management ou les actionnaires, il s’agit d’accompagner, de soigner et de remettre sur pieds une entreprise parfois au bord du dépôt de bilan.
En France, les cabinets de “management de la mutation” sont beaucoup plus rares. “Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, les risques sont limités en matière de responsabilité pour les dirigeants. La législation française sur les faillites est beaucoup plus contraignante”, argumente Alain Fribourg, directeur général de Dirigeants et Investisseurs, l’un des deux principaux cabinets français spécialisés dans la gestion de crise.
“L’évolution des réglementations liées au redressement des entreprises donnant plus de temps aux procédures de restructuration, avant d’en arriver au dépôt de bilan, cela introduit une nouvelle façon de voir les dossiers”, souligne Eric Dailey, directeur de Alvarez & Marsal. Et les investisseurs de s’interroger : “Pourquoi fermer des entreprises qui pourraient continuer à tourner, uniquement pour rembourser les créanciers”, poursuit Antonio Alvarez. Ces cabinets proposent une alternative aux méthodes d’autres intervenants que sont les d’experts-comptables ou les grands du conseil.
Une alternative. Le développement, par exemple, d’échanges de dette contre actions, où les créanciers peuvent se retrouver actionnaires de la compagnie restructurée ouvre la voie à ce type de réflexion plutôt que de mesurer la valeur de la faillite. “Nous sommes appelés de plus en plus souvent à titre préventif, il ne s’agit pas de restructurer la dette mais, avec notre savoir-faire, d’améliorer l’entreprise”, poursuit-on
La prestation de ces managers indépendants implique parfois une prise de mandat social, contractuellement limitée dans le temps, avec possibilité pour le mandant de révocation immédiate. “La légitimité vient du pouvoir et le pouvoir, dans les entreprises, ce sont les actionnaires. En outre, là où le PDG ou le DG peut vouloir satisfaire un besoin de carrière, l’actionnaire veut avant tout des résultats”, avance Jean Quintard, PDG de Fontenay Managers, autre cabinet de gestion de crise. Nuance du côté d’Alain Fribourg : “Dans une entreprise en difficulté, ce qui compte, ce n’est pas le résultat, c’est la trésorerie. On doit privilégier l’un, quitte à le faire aux dépens de l’autre. Et c’est peut-être le plus difficile.”
Coeur de cible de ces cabinets : les entreprises gravitant autour des 75 millions d’euros. Et pour cause, ce sont aussi celles qui intéressent en priorité les fonds d’investissements internationaux basés en France.
Affranchis de tout lien historique, voire ombilical, les “company doctors” sont moins sujets à l’affect, au pathos, à la culpabilité. Plus facile pour réduire les effectifs ? “Le plan social n’a jamais été un moyen de redressement des entreprises. En revanche, ça peut être un élément dans un plan de sauvetage”, lance Alain Fribourg. Chez Dirigeants et Investisseurs, le ratio mandats sociaux/plans sociaux est de dix contre un.
Moins sujets à l’affect. Les missions, qui peuvent durer de six mois à trois ans, sont lancées sur la base d’un audit préalable, qui occupera deux personnes à mi-temps durant quatre à six semaines. L’actionnaire et le mandaté construisent de concert le plan d’action et son calendrier. L’entente est indispensable. “Nous avons un rôle de facilitateur, voire de médiateur quand cela ne va pas entre les forces en présence, actionnaires et management, souligne Eric Dailey, il est rare que la conséquence de notre intervention soit le départ du management, et parfois c’est ce que préconise à première vue l’actionnaire et nous ne le conseillons pas. Notre rémunération est fondée sur l’amélioration de la valeur de l’entreprise.”
Chez Fontenay Managers, on estime à un dixième le taux de missions avortées, soit par démissions des mandatés, soit du fait de leur révocation par les mandants. “Il y a des situations qu’on ne peut sauver, remarque Jean Quintard. On nous appelle souvent trop tard.” La prévention reste la clef du redressement.