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La communication est stratégique pendant une fusionCommuniquer sur une criseLa communication est stratégique pendant une fusion

La communication est stratégique pendant une fusion

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Les relations presse sont stratégiques en période de fusion-acquisition

La mise en oeuvre de l’intégration postfusion est un art que ne pratiquent pas tous les dirigeants d’entreprise. Pourtant, elle seule conditionne la réussite ou l’échec d’une opération. L’annonce elle-même du rapprochement et la communication qui en découle en interne en sont les deux axes majeurs.

Le cas du deal Arcelor-Mittal.

Lakshmi Mittal et son fils Aditya entourant Joseph Kinsch, président du conseil d’administration d’Arcelor, tels des prédateurs encadrant leur proie… Cette scène, observée lors de la conférence de presse des dirigeants d’Arcelor et de Mittal Steel pour officialiser leur fusion, le 26 juin dernier, symbolise on ne peut mieux la double perception que l’on peut avoir de cette alliance.

Pour les plus pessimistes, qui y voient un camouflet, elle illustre l’emprise du groupe indien sur le joyau européen de la sidérurgie.

Les plus pragmatiques, eux, auront perçu la position centrale de Joseph Kinsch comme un message fort adressé aux marchés financiers et aux salariés d’Arcelor : l’autorité du nouveau groupe est assurée par lui, ou du moins par les dirigeants d’Arcelor. Et comme pour mieux convaincre les septiques, le nom d’Arcelor demeure en tête de la nouvelle appellation du groupe.

L’annonce, une dynamique qui conditionne tout

Quelle que soit l’interprétation qui en est faite, cette scène est une pièce déterminante de la mise en oeuvre de l’intégration. C’est sur elle que, le jour J, les observateurs se sont forgé leur avis sur le bien-fondé de l’OPA en analysant le rapport de forces entre les nouveaux alliés. Acteur privilégié de ces rapprochements industriels puisque agence conseil pour de nombreuses entreprises, W & Cie insistait récemment, lors d’un petit déjeuner placé sous le thème de « l’entreprise en fusion », sur l’importance de la maîtrise de cet effet d’annonce. « Il imprime une dynamique qui conditionne tout par la suite, avance Denis Gancel, cofondateur de W & Cie. L’art de la mise en scène, la communication corporate externe comme la communication interne et le travail sur la marque, est un élément clé de toute fusion-acquisition. Une annonce mal préparée, un patron mal à l’aise, des effets de manche superflus lors de la conférence de presse, et c’est la catastrophe. »

« Il existe des dizaines de cas de fusion qui ont, d’entrée de jeu, semé le doute et la peur dans l’esprit des gens, notamment des salariés, à cause de la prestation malheureuse d’un dirigeant », poursuit Stéphane André, spécialiste d’art oratoire et conseiller de W & Cie.

Et de citer l’exemple de Philippe Jaffré, dont la rigidité lors de l’annonce de la fusion Total-Elf, en 1998, avait coupé net l’élan que voulaient insuffler les dirigeants de Total au projet. « Son visage trahissait sa frustration, explique S. André. Il a fait passer son problème personnel avant l’enjeu, en oubliant de servir le projet et de s’effacer derrière. » Bref, il n’a pas joué son rôle de patron, c’est-à-dire de leader tenant la barre de l’entreprise, à même de faire sienne la devise de la Comédie Française, « Simul et singulis » (« être ensemble et être soi-même »).

Les prestations de Jean-Marie Messier lors de l’annonce de la fusion de Vivendi et Universal, ou du tandem Jean-Cyrille Spinetta-Leo van Wijk, lors de celle d’Air France avec KLM sont, elles aussi, symptomatiques. Le premier, tout sourire et fidèle à son personnage de J6M, affichait démesurément sa satisfaction personnelle, quand les deux autres s’embarquaient maladroitement dans un remake de Y a-t-il un pilote dans l’avion, maquette à la main. « Si la théâtralisation de l’événement est indispensable pour rendre lisible de loin le projet d’intégration, elle doit être maîtrisée. Donc apprise. Et donc enseignée. Or, en France, les grands patrons ont trop tendance à la mépriser », regrette S. André.

Une communication qui doit rassurer, toujours…

Une attitude déplorable lorsque l’on sait l’attention avec laquelle les salariés d’une entreprise engagée dans un processus de fusion interprètent le moindre mot prononcé, et guettent la moindre information transmise par l’état-major. « D’où l’importance de la communication interne », insiste Denis Gancel. Celle-ci doit répondre à trois questions : Pourquoi ? Quoi ? Comment ? Et très vite. Car on a coutume de dire que 70 % des valeurs d’une fusion se créent lors des dix-huit premiers mois. Débute donc une course contre la montre pour parvenir à l’échéance souhaitée le plus vite possible. « Il faut concilier le rythme de l’interne avec le rythme du marché. Et la meilleure solution est d’hypertrophier le pourquoi et le comment pour rassurer les troupes », explique-t-il. Car dans bien des cas, dont celui de la fusion Arcelor-Mittal, le mot qui revient le plus souvent à la bouche des salariés, est le mot « peur ». Peur de l’autre, peur de son avenir… Or, comme le dit la chanson éponyme, la peur « est le cauchemar qui balaie le rêve ». Insidieuse, elle a vite fait de bloquer les rouages bien huilés de l’entreprise. Dans le cadre de l’opération Arcelor-Mittal, elle est venue de la diabolisation de Mittal Steel et de son patron, perçu comme l' »Indien », l’étranger qui a réussi par on ne sait quels moyens, avec tout le caractère détestable que peut renfermer cette dénomination. Pourtant, comme l’explique Simon Gillham, directeur associé de W & Cie : « Mittal vit et travaille à Londres, et pour le marché financier britannique, son groupe est bien plus anglais qu’indien. » Il s’agit donc là d’une peur avant tout culturelle, qui n’a pas vraiment de sens industriellement parlant. « Paradoxalement, d’ailleurs, en s’alliant avec le groupe russe Severstal pour contrer l’OPA de Mittal, les dirigeants d’Arcelor ont donné ses lettres de noblesse à ce dernier. Car ce pacte a fait trembler la place financière parisienne, qui a finalement préféré l' »Indien » à la mafia », s’amuse D. Gancel.

Privilégier l’interne

La peur qui habite l’interne provient systématiquement du décalage entre ceux qui pilotent le projet et le reste des troupes. « Tout promoteur du rapprochement de deux entités rêve qu’à l’annonce du bouclage de l’opération naisse instantanément un corps social soudé, partageant un affectio societatis régénéré, prêt à se mettre en marche au signal, et enthousiaste à l’idée d’arpenter de nouvelles terres de conquête. Malheureusement, du rêve à la réalité, il y a toujours un décalage important lié à la nature même des rapprochements de grande envergure », développe D. Gancel. Un décalage d’information, l’interne ayant toujours l’impression d’être sous-informé, quand ce n’est pas désinformé, priorité étant donnée à la presse ; un décalage d’implication ; et un décalage de motivation. « Malgré tous les habillages de communication possibles, un rapprochement désigne pour l’actionnaire un acheteur et un acheté, mais couronne pour les équipes internes un vainqueur et un vaincu », insiste D. Gancel. « Les salariés doivent, du jour au lendemain, aimer un concurrent sur lequel ils ont cassé du sucre. C’est très difficile », commente Simon Gillham. D’où la nécessité de traiter avec le plus grand soin les deux syndromes constants résultant des nouveaux équilibres : le syndrome du conquérant – population qui développe un complexe de supériorité sous prétexte qu’elle est du côté de l’acheteur -, et le syndrome de la victime – population qui se recroqueville et s’arrête d’initier des projets, attendant les ordres.

Bien que naturelles, ces réactions ne doivent pas prendre le pas sur les enjeux du rapprochement. Car c’est l’avenir de l’entreprise qui se joue. « L’interne, comme les dirigeants, ne doit pas perdre de vue que dans toute fusion on opère une transformation. On fait le deuil d’une réalité pour donner vie à une autre », rappelle Denis Gancel.

Objectif : perdurer

Pour W & Cie, réussir sa communication interne nécessite par conséquent de respecter un certain nombre d’obligations, comme définir un cahier des charges, présenter des objectifs précis et mesurables dans le temps, définir clairement les rôles de chacun en fixant un mode opératoire réaliste (un comité de pilotage unique et restreint, coordonné par un seul pilote qui décide ou fait décider, la parité étant souvent paralysante), privilégier la proximité, multiplier les actes symboliques forts (sacraliser le jour J, créer un événement fédérateur, prévoir un tour du monde de la nouvelle entreprise par les dirigeants, etc.), soigner les relations presse, les médias grand public étant pour les salariés plus crédibles et, surtout, écouter, analyser et ajuster. « Les études sont indispensables pour comprendre ce qui se passe et ce qui se joue au sein de l’entreprise, avance D. Gancel. Il s’agit donc de doter le management des moyens d’anticiper les rumeurs, peurs et incertitudes, de mesurer l’ampleur des phénomènes perçus pour les relativiser ou, au contraire, les traiter, de comprendre et d’appréhender l’état de l’opinion interne, et, enfin, de tester des messages. »

Tout cela a l’air fort séduisant sur le papier et tout à fait réalisable dans le cadre d’une opération franco-française. Mais dans un deal comme celui unissant Arcelor et Mittal, qui voit se marier deux groupes aux cultures et aux savoir-faire radicalement différents, la mayonnaise peut-elle prendre aussi efficacement ? En clair, l’adossement des deux noms a-t-il une chance de perdurer dans le temps ?