Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Communication de crise et slacktivisme

Slaktivisme et communication de crise

Le cycle d’expansion et ralentissement des crises et de la gestion des enjeux d’image et de réputation en communication

L’objectif de ce billet est de :

  • définir le phénomène du slacktivisme (activisme paresseux) sur Internet et les réseaux sociaux
  • étudier les formes de soutien symbolique pour certaines causes et comment elles complètent le slacktivisme
  • analyser l’importance grandissante de l’« activisme de la chaine d’approvisionnement »
  • examiner l’impact du slacktivisme dans la gestion des problématiques et dans la gestion de crise

Florian Silnicki, fondateur de l’agence de communication de crise LaFrenchCom indique que toutes les organisations qu’elles soient des entreprises, des associations, des collectivités territoriales ou des établissements publics, sont confrontées à des problèmes de communication ou à des enjeux d’image et de réputation, dont certains nécessitent un suivi attentif. L’expert en communication de crise précise que la question n’est plus aujourd’hui de savoir si une entreprise va connaitre une crise mais de déterminer quand elle va connaitre une crise.

Ces problèmes de communication potentiels figurent en tête de la liste des principaux casse-têtes de l’entreprise, sur lesquels il convient de faire des recherches, d’effectuer un suivi de manière régulière. Cela peut aussi se traduire par des sollicitations régulières des journalistes sur ce point ou des accusations récurrentes d’associations par exemple.

Ces listes de risques sont établies parce que le manque de préparation peut transformer une problématique en crise de grande ampleur et détruire lentement, mais inexorablement la réputation d’une entreprise. En fonction de l’organisation, une crise peut avoir des répercussions sur le court ou le long terme, qui peuvent coûter cher à l’entreprise en termes de profit, car l’entreprise devra y consacrer une partie de ses ressources. Les organisations, quand elles gèrent un problème ou une crise, s’efforcent de protéger leur réputation. Gotsi et Wilson (2001, p. 29) définissent la réputation comme : « l’évaluation globale et dans le temps d’une entreprise par une partie prenante. Cette évaluation est basée sur l’expérience directe et toutes les autres formes de communication et de symbolisme qui donnent des informations sur les actions de l’entreprise et/ou permettent de faire une comparaison avec ses principaux concurrents. »

Cette définition est un point de départ utile pour ce billet parce qu’elle permet d’examiner les actes symboliques dans le contexte de la gestion de crise, la gestion de la communication de crise et la réputation sur Internet et les réseaux sociaux.

Les organisations à but non lucratif et à but lucratif utilisent les communications sur Internet et les réseaux sociaux pour obtenir l’appui des parties prenantes (au niveau local ou international) et asseoir leur réputation. Les militants d’associations ou les activistes au services d’une cause utilisent Internet pour inciter les entreprises à modifier certaines de leurs activités considérées comme nuisibles pour l’environnement ou la société.

Les entreprises utilisent quant à elles Internet pour défendre leurs intérêts, leurs produits, leurs marques, leurs services, leurs dirigeants, leurs salariés, ou retarder les changements aussi longtemps que possible. Par ailleurs, lorsqu’une organisation à but lucratif est activement impliquée dans la responsabilité sociétale des entreprises au-delà de la pure symbolique, Internet et les réseaux sociaux facilitent les formes collaboratives de communication avec les parties prenantes intéressées et actives. Veuillez vous référer au billet précédent pour la manière dont les organisations à but non lucratif et les organisations à but lucratif collaborent pour obtenir des résultats positifs dans les domaines social et environnemental.

Ce billet-ci est consacré au rôle du slacktivisme dans la gestion des problématiques de communication et de gestion des crises sur Internet et déconseille de minimiser le rôle des slacktivistes. Il est impératif de bien comprendre leur rôle complexe et stratégique ainsi que l’ampleur de leur influence. Pris collectivement, les actes symboliques de ce groupe peuvent provoquer des changements dans les réactions cognitives, affectives et comportementales d’autres parties concernées et avoir un impact directement ou non sur la réputation des organisations à but non lucratif et les entreprises. Ce billet s’appuie sur deux études de cas différentes pour illustrer comment les actions collectives des slacktivistes peuvent être un moteur pour une problématique, une cause ou une crise. Le premier cas étudie l’organisation à but non lucratif Invisible Children et la crise qui a suivi la publication sur Internet de la vidéo Kony 12 et les actions de l’organisation. Le deuxième cas décrit la réponse d’Asia Pulp & Paper au slacktivisme et aux inquiétudes mondiales sur la déforestation et l’impact de la disparition de l’habitat des espèces menacées.

Slacktivisme : mot péjoratif mêlant les termes « slacker » (paresseux) et activisme. Le slacktivisme est associé à des gestes symboliques de soutien à un enjeu ou une cause.

Contexte de la communication de crise

Internet et les réseaux sociaux ne sont pas de nouveaux médias, mais de nouvelles manières de les mettre à profit émergent tous les ans. Pour les relations publiques, d’un côté cela représente de nouvelles opportunités de tisser des liens avec des publics cibles et d’un autre côté cela signifie que le risque de crise augmente et devient plus complexe. De nouveaux réseaux sociaux naissent et d’autres disparaissent. Les progrès des technologies de l’information et de la communication (TIC), sur mobile et via le haut débit, continuent à un rythme rapide et les innovations sont vite adoptées par les utilisateurs. Les supports de communication sont conçus pour un usage aisé et intuitif et tirent avantage des réseaux sociaux des utilisateurs. Les créateurs de ces supports de communication recherchent des moyens de monétiser leurs créations et de capitaliser sur l’accès facile à des communautés virtuelles, et ces communautés d’utilisateurs en réseau peuvent se révéler être de puissants acteurs de changement. Les utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux, dans leur globalité, peuvent contourner les médias traditionnels et focaliser l’attention sur des causes et des enjeux ignorés des médias grand public.

Les publics cibles, auditoires et parties prenantes avec lesquels les professionnels des relations publiques et de la communication veulent communiquer font partie de ces utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux, représentant plus d’un milliard de personnes. Au sein de ces publics existe un groupe qui est souvent dédaigné et surnommé « slacktiviste ». Le mot est péjoratif, mêlant les termes « slacker » (paresseux) et activiste.

Pour Kristofferson, White et Peloza (2014), le slacktivisme est une forme d’activisme s’appuyant sur des gestes symboliques de soutien. Le slacktivisme requiert donc peu voire pas d’effort, est basé sur des actions comme « signer une pétition, porter un bracelet ou un badge pour manifester son soutien à une cause ou effectuer des actions de soutien en ligne comme aimer ou rejoindre une page sur Facebook » (p. 1149-50). Mais l’activisme exige bien plus d’effort dans le temps. Kristofferson, White et Peloza citent l’exemple du bénévolat. Il faut souligner qu’ils indiquent aussi les dons d’argent comme une forme d’activisme. Cependant, tout est relatif, et il semble raisonnable de partir du principe que la campagne « Kony 12 » a suscité des dons de la part de personnes qui n’allaient pas s’impliquer dans cette cause sur le long terme. De plus, un don ponctuel de 100 dollars de la part de quelqu’un touchant de faibles revenus représente un engagement plus significatif que le même montant versé par une personne à hauts revenus.

Il serait facile d’adopter une approche manichéenne, où un soutien symbolique est mauvais et un soutien significatif est bien. Les recherches de Kristofferson, White et Peloza cherchent à analyser les conditions qui amènent à apporter un soutien symbolique et non significatif à des organisations à but non lucratif et montrer comment le soutien symbolique peut se transformer en soutien significatif. Cela semble logique. Un organisme à but non lucratif doit accroitre autant que possible le soutien significatif qu’il reçoit parce que cela se traduit par des actions et des comportements qui l’affectent directement et peuvent lui permettre, dans la durée, d’atteindre ses objectifs.

Cependant, dans le contexte de la gestion de crise et des enjeux de communication, le soutien symbolique peut s’avérer aussi important que le soutien significatif. C’est une question de point de vue et d’échelle. D’une certaine manière, les entreprises ne sont pas différentes des organisations à but non lucratif : elles ont également besoin de soutien significatif de la part de leurs consommateurs, c’est-à-dire qu’ils achètent leurs produits. Les consommateurs prennent des décisions d’achat basées sur divers besoins fonctionnels, mais aussi psychosociaux. Les besoins psychosociaux représentent le plus grand défi pour les entreprises, et c’est souvent l’incapacité à répondre à ces besoins qui explique les problèmes et crises que celles-ci rencontrent. Les consommateurs attendent des fabricants et magasins qui vendent les produits et marques qu’ils achètent qu’ils soient à la hauteur de leurs responsabilités et se comportent comme des entreprises citoyennes respectueuses de l’éthique. Cependant, le besoin psychosocial d’un consommateur se manifeste de diverses manières, qui peuvent se révéler plus fortes que l’engagement envers des causes morales, comme la lutte contre le réchauffement climatique, le développement durable, ou la protection des droits de l’homme, dans les comportements d’achat. Par exemple, dans les pays développés, peu de consommateurs accepteraient que des enfants travaillent pour produire des ingrédients de base. Pourtant, la production de fèves de cacao, utilisées dans la fabrication de produits en chocolat représentant une valeur de plusieurs milliards de dollars, fait massivement appel au travail des enfants (beaucoup d’entre eux en tant qu’esclaves). La consommation de chocolat est ancrée dans les habitudes sociales dans de nombreux pays. Partout dans le monde, les gens consomment tous les jours des aliments contenant du chocolat en dépit du fait que le lien entre le travail forcé des enfants et la production de fèves de cacao est connu depuis longtemps.

De nombreuses entreprises ont donc des affaires florissantes et vendent des produits et marques qui ne respectent pas les principes de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Bundy, Shropshire et Buchholtz (2013) soulignent que « les entreprises et les responsables ne répondent pas à des caractéristiques environnementales et aux parties prenantes per se. En fait, elles réagissent à des problèmes spécifiques soulevés par des parties prenantes » (p. 353). Au-delà de la règlementation, tant que les consommateurs ne s’allient pas pour soutenir une cause, les organisations ont peu de raison d’agir. Ceci explique l’importance potentielle des slacktivistes et de leurs actes symboliques de soutien à une cause.

Les réseaux sociaux facilitent le soutien symbolique parce qu’ils permettent aux utilisateurs de prendre conscience ou de découvrir facilement des problèmes sociaux ou environnementaux. Si les utilisateurs sont persuadés de l’importance de ces problèmes, les réseaux sociaux permettent de soutenir une cause ou critiquer et punir rapidement et sans effort une organisation. Les utilisateurs peuvent signer une pétition en ligne sur change.org par exemple, apposer leur signature sur une lettre pré-écrite condamnant les actions d’une entreprise et l’envoyer au PDG rapidement et sans effort..

Ils peuvent envoyer à leurs proches des liens vers des contenus riches en informations, réalisés par des activistes, via des sites comme Vimeo, Pinterest et YouTube.

S’ils veulent y consacrer un peu plus d’effort et éventuellement d’argent, ils peuvent tweeter ou publier des critiques via Twitter, Facebook ou tout réseau social permettant de publier des commentaires. Un tel effort est minime et ne requiert pas d’action ou d’engagement sur le long terme. Kristofferson, White et Peloza (2014, p. 1150) affirment aussi que « lorsque le soutien symbolique initial a une observabilité sociale élevée (c’est-à-dire qu’il est public), les gens auront moins tendance à effectuer des contributions significatives à l’avenir que si l’acte de soutien symbolique initial avait eu une observabilité sociale faible (c’est-à-dire qu’il est privé) ». Les deux cas de ce billet présentent des activistes qui utilisent des formes de soutien symbolique à la fois visibles (partage sur Facebook, tweets) et privés (signature d’une pétition en ligne). L’objet de ce billet n’est pas de discuter en détail des recherches effectuées par Kristofferson, White et Peloza ou des conditions qui peuvent amener au slacktivisme, mais on peut arguer que le slacktivisme et le soutien symbolique peuvent être efficaces même s’ils ne représentent pas l’objectif ultime des organisations à but non lucratif. Comme le montrent les exemples de ce billet, le soutien slacktiviste peut être utilisé pour sensibiliser le grand public à grande échelle sur certaines problématiques, même si cela n’est que de courte durée. Les slacktivistes détiennent collectivement le pouvoir de changer les choses et ne doivent pas être ignorés simplement parce qu’ils ne font pas preuve d’un engagement ou soutien significatif en faveur d’une cause ou d’un enjeu.

La déforestation, les consommateurs et le « slacktivisme de la chaine d’approvisionnement »

Les organisations à but non lucratif ont su utiliser Internet très efficacement au cours des dernières années pour attirer l’attention des consommateurs sur les problèmes liés à la chaine d’approvisionnement. De même, Internet et les réseaux sociaux ont permis aux consommateurs de réagir facilement et exprimer leurs inquiétudes à propos des actions des entreprises, notamment en ce qui concerne les problèmes liés à la chaine logistique, sans qu’ils doivent modifier leur comportement de manière significative. Ils peuvent agir, se sentir fiers de leur action et partager leur statut de citoyen engagé d’un simple clic.

Chaine logistique/d’approvisionnement : système employé par une organisation pour obtenir puis transformer des matières premières en produits ou services et les distribuer aux consommateurs

Mais combien de ceux qui clament leurs convictions sur Internet traduisent ces paroles en actes, notamment dans leurs achats ? Combien de personnes se laissent convaincre par les prix, sont trop occupées ou tout simplement attachées à leurs habitudes ? En face des linéaires, pensent-elles réellement à ceux qui souffrent ou aux destructions engendrées par la production de ce qu’elles sont en train d’acheter ? Pour les personnes qui pensent réellement à ces choses, à quel point est-il facile d’ignorer les sentiments de dissonance cognitive et de continuer à acheter le produit de leur choix au meilleur prix ? La dissonance cognitive opère quand les valeurs et convictions d’une personne s’opposent pour choisir entre deux actions opposées. Dans un contexte d’achat (et le choix d’un produit ou une marque par rapport à une autre), un acheteur peut ressentir une dissonance cognitive avant ou après l’achat. Par exemple, quand un consommateur choisit un objet de première nécessité comme du papier toilette, il peut ressentir une dissonance cognitive s’il achète un produit fabriqué par une entreprise qu’il sait peu respectueuse de l’environnement. Cependant, si un facteur financier, pratique, ou autre a une plus forte influence sur sa décision d’achat, il achètera le produit et rationalisera son acte. La décision dans ce contexte est avant tout une activité privée, qui ne fait pas l’objet d’une surveillance particulière. Le slacktivisme représente une forme d’échappatoire aux consommateurs : ils peuvent protester en ligne de manière très visible et publique, mais continuer à se comporter de la même manière dans leurs achats. En décrivant ce type de comportement des consommateurs, on pourrait en conclure que le slacktivisme a peu de mérite et aucun impact, que ce n’est qu’un soutien symbolique.

Dissonance cognitive : situation où les valeurs ou convictions d’une personne s’opposent pour choisir entre deux actions opposées

Les dégâts infligés aux forêts indigènes et anciennes par l’activité humaine ont toujours inquiété les groupes environnementaux. Les activistes volontaires qui deviennent membres d’une association et s’impliquent dans des activités comme les levées de fonds apportent un soutien significatif. Ces groupes ont fait pression pour obtenir un soutien public et politique à la protection des forêts (et d’autres écosystèmes importants) et pour promouvoir de nouvelles manières d’utiliser ces ressources limitées. Les activités des groupes activistes ne sont plus reléguées à la marge du débat public et parviennent à sensibiliser sur de nombreux enjeux environnementaux. La déforestation a été officiellement associée au changement climatique lors du protocole de Kyoto (qui a pris effet de 2005 à 2012). Hunt (2009, p. 101) identifie un ensemble d’autres accords liés à la protection et la gestion durables des écosystèmes, qui illustrent tous le soutien politique international via des initiatives politiques. Cependant, Hunt identifie des barrières structurelles, politiques et institutionnelles qui empêchent ces accords de provoquer des changements rapides, et des tensions quant à la mise en œuvre entre les pays développés et les nations en voie de développement (où l’exploitation des écosystèmes est associée au développement et au profit). De plus, selon Hunt, « un manque important de fonds empêche de mettre en place un réseau international complet de zones protégées » (2014, p. 103).

En dépit des changements des dispositifs législatifs et règlementaires et de l’implication grandissante de nombreux pays dans la protection des écosystèmes de ces forêts, Greenpeace continue à dénoncer le fait que « toutes les deux secondes, une zone de forêt de la taille d’un terrain de football est détruite » (non daté). Dans un tel contexte, obtenir le soutien symbolique des slacktivistes est devenu un moyen supplémentaire et efficace de modifier le comportement des entreprises, ce qui s’avère plus rapide que d’influencer les gouvernements.

Réussir à mobiliser le slacktivisme : communication de crise et activisme digital

Les organisations activistes font campagne depuis de nombreuses années sur des problèmes liés à la déforestation. Elles ont utilisé un ensemble divers de tactiques, comme le lobbying politique. L’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux pour mobiliser les slacktivistes donne aux groupes environnementaux les moyens d’effectuer un activisme de la chaine d’approvisionnement efficace, qui permet d’obtenir des changements plus rapides. Les exemples de slacktivisme de la chaine d’approvisionnement semblent fonctionner grâce à ce que Kristofferson, White et Peloza (2014) appelleraient le soutien symbolique des consommateurs.

Internet et les réseaux sociaux peuvent faciliter la diffusion de campagnes internationales, en s’appuyant sur des tactiques très émotionnelles pour informer les consommateurs sur la manière dont les produits qu’ils consomment sont fabriqués et d’où les matières premières proviennent. Ces tactiques donnent aussi aux consommateurs un moyen facile et rapide de communiquer leur insatisfaction directement à d’autres parties concernées, et dans certains cas dans la boite mail du PDG ciblé. Dans le premier cas, il s’agit d’une pression publique, dans le second cas, la pression est privée. Selon les dires de Kristofferson, White et Peloza (2014), une manifestation publique de slacktivisme a peu de chance d’évoluer en soutien sur le long terme, mais des actes comme signer une pétition en ligne ou envoyer un e-mail directement au PDG d’une entreprise sont des démarches d’ordre privé. Bien qu’ils ne soient que symboliques, ces actes témoignent d’une plus forte adéquation avec les valeurs personnelles et indiquent une motivation d’agir dans l’avenir (Kristofferson, White et Peloza, 2014). Dans les deux cas, il est de plus en plus difficile pour les entreprises de se cacher derrière les déclarations de principes et d’éviter de répondre à de telles tactiques.

Communication de crise d’Asia Pulp & Paper

Asia Pulp & Paper (APP) est un fabricant de produits en papier. Sur son site Internet, APP déclare « Notre vision est de devenir une entreprise mondiale de pâte à papier et papier respectée et leader dans son domaine, qui apporte une valeur supérieure à nos consommateurs ainsi qu’aux populations, employés et actionnaires – de manière responsable et durable ». Les clients d’APP sont basés dans plus de 120 pays et comptent des consommateurs finaux aussi bien que des entreprises. De la même manière, la maison mère d’APP, Sinar Mas (une entreprise internationale opérant dans six principaux secteurs : papier et pâte à papier, agroalimentaire et nourriture, services financiers, développement immobilier, télécommunications et énergie et infrastructure) affirme que sa vision est de suivre « une approche équilibrée envers les trois piliers – social, environnemental et économique – du développement durable ». Comme de nombreuses multinationales, Sinar Mas épouse les valeurs contemporaines basées sur la transparence, la responsabilité et des principes éthiques élevés.

APP fait l’objet de critiques depuis longtemps de la part de groupes de défense de l’environnement. Jusqu’à récemment, pour faire face aux critiques, elle a utilisé les approches et tactiques traditionnelles des relations publiques. Par exemple, en 2006 le Fonds mondial pour la nature (WWF) (2006) a publié un document de suivi qui critiquait une publicité en pleine page d’APP (placée dans le New York Times et le London Times). Le document reprenait une à une toutes les déclarations du texte de la publicité et réduisait à néant les efforts de greenwashing d’APP. APP a aussi tenté d’utiliser des plateformes comme YouTube pour communiquer sur ses performances environnementales. Par exemple, en janvier 2010, elle a téléchargé une vidéo dans laquelle elle déclarait entre autres que « APP protège 500 000 hectares de forêt pour la conservation de l’environnement, ce sont de gigantesques réserves de carbone… ». En 2011, elle a diffusé des vidéos conçus pour communiquer son rôle dans la protection des tigres de Sumatra. Il faut aussi souligner que l’option commentaire avait été désactivée sur ces vidéos, ce qui empêchait les activistes, les clients d’APP et autres parties prenantes de rédiger des commentaires.

Greenwashing : représentation inexacte, non éthique et/ou illégale des performances environnementales d’une organisation

Vers la même période, des organisations de défense de l’environnement ont diffusé des vidéos qui dévoilaient la situation désespérée des tigres de Sumatra, portés au bord de l’extinction par la perte de leur habitat. Cette situation peut être attribuée à l’action d’entreprises comme APP, fabriquant des produits ménagers comme du papier pour imprimante, des mouchoirs et du papier toilette. Reece Turner de Greenpeace a déclaré à l’époque que « les Australiens ont le droit de savoir qu’ils s’essuient le derrière avec l’habitat d’espèces gravement menacées comme les tigres de Sumatra. Les entreprises australiennes liées à APP devraient chercher d’autres fournisseurs » (Greenpeace, 2011). Greenpeace a diffusé une vidéo en ligne à la fin du mois de juillet 2011, intitulée « Distressing footage: IGA linked to wiping out the endangered Sumatran Tiger » (Vidéo consternante : IGA associée à la disparition de l’espèce menacée des tigres de Sumatra).

L’objectif de la vidéo était de provoquer une réaction émotionnelle en montrant la mort d’un tigre en gros plan. Pendant toute la durée de la vidéo, Greenpeace nommait les coupables et déclarait que « la destruction de l’habitat est principalement le fait d’Asia Pulp &Paper (APP) » et « IGA est l’un des plus gros clients d’APP ». La vidéo montrait en gros plan des marques de papier toilette en vente dans les supermarchés IGA, suivi d’un appel à l’action : « Dites à IGA d’arrêter d’acheter des produits APP. » Il y avait un lien pour permettre aux spectateurs de communiquer directement avec Metcash. La campagne a été de courte durée, mais a remporté beaucoup de succès. C’est un exemple d’activisme de la chaine d’approvisionnement s’appuyant sur le soutien des slacktivistes. Un peu moins d’un mois plus tard, Metcash, l’entreprise propriétaire d’IGA, a annoncé qu’elle ne vendrait plus de papier toilette fourni par APP.

Nous ne savons pas combien de consommateurs ont arrêté d’acheter des marques de papier toilette fabriquées par APP, ou quelles menaces ont été invoquées auprès de Metcash, mais ce n’est pas cela qui est important. Cet exemple et d’autres cas similaires montrent que les distributeurs s’inquiètent suffisamment pour agir rapidement. Dans une autre affaire, Greenpeace a annoncé qu’après seulement trois semaines de campagne, notamment une fausse publicité sur Internet et une pétition en ligne, Unilever avait accepté d’agir et de soutenir l’arrêt de la destruction de la forêt indigène pour faire place aux plantations d’huile de palme. Comme l’expliquent Palazzo et Basu (2006), « chaque personne participant à des actions de solidarité immédiate relie son existence aux récits des groupes activistes et découvre souvent que ses décisions de consommation (ou plutôt ses décisions de non-consommation) sont un moyen efficace de communiquer des opinions morales et politiques (p. 339).

Pour en revenir à la campagne envers IGA, bien que le sujet ait été couvert par les médias, il n’a pas longtemps fait les gros titres. Mais les vidéos de Greenpeace sont toujours en ligne. Dans une vidéo, le lien d’appel à l’action invite maintenant la personne intéressée à se rendre sur une page intitulée : « Success! IGA stops using rainforest destruction » (Gagné ! IGA cesse de profiter de la destruction de la forêt vierge). La page présente un bref résumé de la campagne et conclut par une invitation : « Vous voulez féliciter/remercier IGA/Metcash ? Alors remplissez ce formulaire ». La campagne démontre comment le soutien symbolique de slacktivistes peut permettre d’influencer très rapidement les distributeurs. Dans un pays comme l’Australie, où une poignée de groupes très puissants domine le paysage de la distribution alimentaire, les organisations à but non lucratif peuvent faire appel au slacktivisme pour convaincre les distributeurs de déréférencer les fournisseurs qui ne respectent pas suffisamment l’environnement. Au terme d’une gestion de crise plus ou moins efficace, APP a maintenant accepté de modifier ses pratiques et de se montrer à la hauteur de ses déclarations de principes. Par conséquent, en 2013, Greenpeace a annoncé qu’elle arrêtait sa « campagne active contre Asia Pulp & Paper (APP) suite à l’annonce par APP de sa Politique de protection de la forêt (« Forest Conservation Policy » ou FCP) ». Cela représente une excellente nouvelle pour toutes les parties concernées et pour APP.

Communication de crise de Kony 12

L’exemple suivant de communication de crise, basé sur Invisible Children, un organisme à but non lucratif basé aux États-Unis, présente une manière différente dont le slacktivisme peut avoir un impact sur la gestion des problématiques et la gestion de crise. En 2012, Invisible Children a diffusé une vidéo sur Internet qui mettait en lumière les activités de Joseph Kony, le leader du groupe de la LRA (« Lord’s Resistance Army » ou Armée de résistance du seigneur). En 2005, la Cour pénale internationale avait accusé Joseph Kony de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Invisible Children voulait sensibiliser l’opinion sur les activités de Joseph Kony et la LRA, et obtenir l’aide internationale pour l’arrestation de Joseph Kony. L’organisme souhaitait aussi obtenir des dons et lever des fonds pour soutenir ses efforts. Du point de vue de la gestion de la communication, les experts et professionnels ont tendance à s’intéresser en priorité à la manière dont les organisations à but non lucratif défient les organisations. Les organisations comme Invisible Children ont su utiliser Internet très efficacement pour rallier le soutien à leur cause, mais comme ce cas le montre, Internet et les réseaux sociaux peuvent tout aussi bien se retourner contre les auteurs et doivent donc être bien gérés.

La vidéo Kony 12 a été diffusée le 5 mars 2012 et selon Raine et al. du Pew Research Internet Project, huit jours plus tard « la vidéo avait été vue plus de 76 millions de fois sur YouTube et 16 millions de fois sur Vimeo, ce qui en faisait l’une des vidéos les plus vues de tous les temps sur ces deux sites » (2012). Selon Invisible Children, « #STOPKONY a été tweeté jusqu’à 1 200 fois par minute » (non daté a). Les recherches de Raine et al. (2012) montrent aussi le rôle des influenceurs, qui permettent à un problème présenté en ligne de gagner en visibilité. Ils soulignent que « l’attention portée au sujet a explosé » après qu’Oprah Winfrey ait commencé à parler du film dans ses tweets lus par 9,6 millions de personnes, le 6 mars. Oprah Winfrey n’était pas la seule célébrité à avoir soutenu la vidéo : l’attaché de presse de la Maison-Blanche, Jay Carney, a aussi exprimé son soutien, et l’administration Obama est à ce jour toujours impliquée dans l’arrestation de Joseph Kony. En mars 2014, Helene Cooper du New York Times a écrit que « Le président Obama envoie plus de troupes et d’avions militaires en Ouganda dans le cadre des efforts déployés pour capturer Joseph Kony » (2014).

Kony 12 éclaire utilement la relation entre les médias traditionnels (la presse, la radio et la télévision) et les médias sur Internet. La campagne montre que les réseaux sociaux peuvent permettre de toucher rapidement des personnes dans le monde entier. Elle montre aussi comment l’intérêt du public sur Internet suscite l’attention des médias traditionnels et peut ainsi attirer l’attention des personnes qui consultent surtout les médias traditionnels pour les informations. Les utilisateurs des réseaux sociaux ont découvert la campagne via des sites comme YouTube, Facebook, Vimeo, Twitter et des blogs, mais quand les médias traditionnels ont repris le sujet, il a fait les gros titres dans de nombreux pays du monde. Contrairement à la campagne de Greenpeace évoquée plus haut, les actions collectives des slacktivistes ont attiré beaucoup d’intérêt de la part des médias, ce qui a fini par déclencher une crise pour Invisible Children.

La campagne d’Invisible Children a été victime de son succès, aussi bien en termes de sensibilisation à l’échelle mondiale que de financements levés grâce à la vente des kits de campagne d’une valeur de 30 dollars. Des critiques de la campagne Kony 12 ont émergé peu après la diffusion de la vidéo. Les experts et journalistes du monde entier ont commencé à remettre en cause l’exactitude des faits relatés dans la vidéo. Certains se sont interrogés sur les motivations d’Invisible Children. Beaucoup ont reproché à la vidéo d’avoir simplifié une situation complexe. Comme l’écrit Hilsum (2012), « la vidéo apporte une solution simple à un problème simple : attraper le méchant qui kidnappe les enfants ». Invisible Children a été critiquée pour la manière dont elle comptait utiliser les millions de dollars levés pendant la campagne. C’est un problème récurrent pour les organisations à but non lucratif. Les donateurs veulent se sentir heureux et fiers d’avoir donné de l’argent ou soutenu une bonne cause et ne veulent pas apprendre que les fonds ont été utilisés pour des tâches administratives ou d’autres dépenses. Ils veulent que leur argent aille directement aux bénéficiaires.

Invisible Children n’aurait pas dû être surpris par ces critiques. Depuis ses débuts, son travail avait été critiqué par certains. Voici un exemple extrait d’un message plus long publié sur le blog Wronging Rights : « Les organisations comme Invisible Children non seulement détournent des ressources qui pourraient servir à financer des programmes de plaidoyer plus intelligents, mais occupent aussi de l’espace rhétorique qui pourrait permettre de présenter un plaidoyer plus intelligent » (Taub et Cronin-Furman, 2009). De même, si Invisible Children avait fait un suivi des risques, elle aurait identifié l’intérêt et l’inquiétude grandissants sur la manière dont les organisations caritatives utilisent les donations. En effet, ils existent des organisations non lucratives qui identifient et classent d’autres organisations caritatives en fonction de leur utilisation des fonds des donateurs. Une bonne gestion de crise aurait fait comprendre à Invisible Children l’importance de faire figurer des informations sur son site Internet pour rassurer les principales parties concernées.

Une crise provoquée par le slacktivisme

Pourquoi le slacktivisme est-il à blâmer pour la crise à laquelle a été confronté Invisible Children plutôt qu’une mauvaise gestion des problématiques ? Tench et Yeomans écrivent que « l’objectif de la gestion de crise est de faire face à l’impact d’un évènement défavorable soudain qui touche le cœur des activités de l’organisation et représente une menace immédiate pour sa capacité à continuer à opérer » (2009, p. 366-7).

Immédiatement après la diffusion de la vidéo sur Vimeo et YouTube, les gens voulaient en savoir plus sur Invisible Children et comment s’impliquer. La vidéo a attiré beaucoup de visiteurs sur le site Internet de l’organisation, qui a crashé à cause du nombre de connections. Mais l’organisation a utilisé Facebook et Twitter : « Le site Internet de KONY2012 a crashé suite à l’immense soutien que vous nous avez témoigné ! C’est super. Suivez notre compte Twitter @Invisible pour savoir quand notre site Web sera à nouveau accessible » (publié sur Facebook le 6 mars 2012). Un peu plus tard le même jour, les membres de l’organisation ont continué à expliquer les problèmes auxquels ils étaient confrontés et à s’adresser aux visiteurs du site Internet pour entretenir le dialogue avec le public :

« Kony est en train de devenir connu grâce à vous, et vous pulvérisez Internet. Voici les liens qui fonctionnent toujours – ne vous arrêtez pas.

Puis le manque d’informations sur leur site Internet a créé un vide, dans lequel se sont rapidement engouffrés les médias et les critiques. Pendant que la campagne gagnait en visibilité, les médias assiégeaient Jason Russell (le cofondateur d’Invisible Children et réalisateur de la vidéo Kony 12) pour obtenir une interview de lui. Les gens achetaient des kits et laissaient des messages de soutien (entrecoupés parfois de commentaires négatifs).

Puis, huit jours après la diffusion de la vidéo, Jason Russell a fait une dépression nerveuse. Une vidéo le montrant nu et en plein délire dans la banlieue de San Diego s’est répandue sur la toile. En moins d’une semaine, la dépression de Jason Russell, couplée aux critiques croissantes des médias sur les tactiques d’Invisible Children et l’utilisation qu’elle comptait faire des donations, ont remplacé l’attention qui était portée à Joseph Kony. Invisible Children a ensuite dû passer l’année 2012 en mode gestion de crise pour essayer de reconstruire son image et celle de Jason Russell. Lorsqu’il a expliqué sa dépression, Jason Russell a reconnu que ni lui ni Invisible Children n’étaient préparés à affronter l’ampleur de l’intérêt et des réactions déclenchés. Il se sentait incapable de faire face à l’attention et les demandes des médias, qui de leurs côtés ont répondu à la demande du public d’un nouvel angle sur le sujet.

La nature de la crise à laquelle a été confrontée Invisible Children est un cas extrême, qu’aucune organisation ne souhaite vivre. Mais la synthèse d’activité et d’intérêt slacktivistes est un phénomène en pleine croissance, et les tactiques des organisations à but non lucratif peuvent avoir un impact significatif, qu’elles encouragent seulement du slacktivisme à court terme ou que cela se traduise par un soutien activiste significatif. Lors de la rédaction de ce livre, Invisible Children s’était relevée de la crise et continuait à collecter des fonds et effectuer des campagnes de sensibilisation. Elle utilise toujours des tactiques similaires sur Internet, mais attire un public beaucoup moins important qu’au plus fort de la campagne Kony 12.

Les deux exemples  de communication de crise présentés dans ce billet montrent les différentes manières dont l’action collective des slacktivistes peut avoir un impact sur les organisations à but non lucratif et les entreprises. Bien que cela ne soit pas nouveau, la facilité avec laquelle les personnes communiquent et se connectent avec d’autres via Internet a accru l’intérêt porté au slacktivisme. Les problèmes comme le réchauffement de la planète, le développement durable et la gestion des ressources (la terre, l’eau et l’air) et les droits de l’homme sont des sources d’inquiétudes partout dans le monde. Beaucoup d’organisations à but non lucratif, généralement petits et peu connus, s’efforcent de résoudre les problèmes liés à ces enjeux. Cependant, comme on l’a vu avec Kony 12, une stratégie intelligemment planifiée peut trouver un écho phénoménal sur les réseaux sociaux et transformer en vingt-quatre heures un organisme inconnu en nom familier, et ainsi acquérir une solide notoriété. Si l’organisation en question ne s’est pas préparée pour un succès de grande ampleur, l’action des slacktivistes peut alors se retourner contre elle. Dans le cas de Kony 12, l’attention, inimaginable jusqu’alors, des slacktivistes a testé les limites des ressources d’Invisible Children jusqu’au point de rupture et a finalement abouti à une crise. APP a été confrontée à un tout autre défi avec un activisme lié à la chaine d’approvisionnement. L’entreprise, ainsi que d’autres marques confrontées à des situations similaires, a découvert qu’il était difficile de résister aux stratégies sur Internet, qui contournent les médias traditionnels et permettent de communiquer rapidement et facilement l’insatisfaction des consommateurs.

Ces deux exemples apportent d’utiles leçons pour les professionnels des relations publiques travaillant dans le domaine de la gestion des problématiques et de crise et montrent la capacité des réseaux sociaux à obtenir de l’appui pour une cause ou une problématique et un soutien symbolique. Bien que Kristofferson, White et Peloza (2014) affirment que le slacktivisme peut nuire aux organisations à but non lucratif qui cherchent à obtenir un soutien significatif durable et soutenu, ces deux exemples montrent que les slacktivistes peuvent constituer un public important pour les organisations à but non lucratif et les entreprises et ne devraient par conséquent pas être ignorés.