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Les multinationales redoutent de plus en plus les ONG

ong communication de crise

La communication de crise face aux pétitions, happenings de protestation

Avec leurs colères sur les réseaux sociaux, leurs contre-rapports RSE chiffrés, les poursuites judiciaires lancées contre les entreprises, les militants et activistes, ces «chiens de garde», font peur aux dirigeants d’entreprises.

atelier textile du Rana Plaza

En avril 2013, l’effondrement de l’atelier textile du Rana Plaza au Bangladesh avait provoqué une émotion dans le monde entier. Deux ans plus tard, Benetton s’est résolu à verser 1,1 million de dollars au fonds de compensation des victimes. Pourtant, dans une communication de crise maladroite et inefficace, l’entreprise a d’abord longtemps cherché à se dédouaner de la responsabilité de ses sous-traitants dans la catastrophe qui a coûté la vie à plus de 1000 ouvriers.

Elle admet aujourd’hui que « l’initiative de l’ONG Avaaz a représenté une motivation supplémentaire importante pour accélérer » sa décision.

Avaaz

Avaaz ? « Mouvement mondial en ligne qui permet aux citoyens de peser sur les prises de décisions », comme le proclame l’organisation sur son site Internet, Avaaz est le symbole de ces organisations non gouvernementales (ONG) que craignent de plus en plus les multinationales. Car elles peuvent sortir l’artillerie lourde : après un premier refus de discussion de Benetton, une pétition a recueilli plus d’1 million de signatures, et les messages critiques se sont multipliés sur Facebook et Twitter.

Pendant la Fashion Week de Milan, Avaaz a même fait circuler une camionnette publicitaire « Montrez-moi votre vraie couleur! » autour du siège italien de Benetton, pris au piège de son slogan politiquement correct « United Colors of Benetton ». Marie Yared, chargée de campagne France pour Avaaz, ne se cache pas derrière son petit doigt : « Nous ciblons des marques connues, des histoires où il y a de l’affect, des visages »

Avaaz benetton mobile camion

Les watchdogs montent au créneau

Bienvenue dans l’univers de ces watchdogs qui rivalisent d’imagination pour porter au regard du public les dérives des grandes entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale.

« Ce n’est pas une raison pour les considérer comme des ennemis, temporise le directeur du cabinet de communication éponyme, spécialisé dans la « gestion des enjeux sensibles ». Les ONG représentent les inquiétudes de la société civile Et donc des consommateurs ».

Pour l’avocat William Bourdon, président de l’ONG Sherpa chargée de défendre les populations victimes de crimes économiques, « la mondialisation a offert aux multinationales de nombreuses possibilités de jouer avec les législations (financements, filiales et sous-traitants), et les Etats sont impuissants à les contrôler. C’est à nous d’agir pour engager la responsabilité des entreprises, de gré ou de force ».

En 2006 déjà, le panorama des relations ONG-entreprises de Novethic notait que les 100 premières marques mondiales n’avaient pas échappé à une crise d’image initiée par une ONG. C’est toujours le lot quotidien des entreprises du CAC 40. Et l’impact est sérieux : « La réputation éthique est un élément de valorisation de leur actif, précise William Bourdon. Une mauvaise image fera de plus en plus dévisser le titre en Bourse. »

Or les grandes entreprises sont généralement démunies face aux attaques. Leur premier réflexe ? « Attendre, en tentant de déterminer si l’ONG a pignon sur rue, constate le consultant en communication de crise. Car répondre, c’est transférer la légitimité à l’adversaire. Elles pensent à tort qu’il vaut mieux éteindre l’incendie après. »

Orange a été pris au piège

Depuis mai 2014, le CCFDTerre solidaire tentait de contacter l’opérateur en lui reprochant de vendre sa marque à Partner Communications Company, un groupe israélien implanté dans les colonies occupées. Sans résultat. Le Parisien publie un rapport de l’ONG insinuant qu’Orange « contribuerait au maintien des colonies israéliennes, une situation considérée comme illégale par la communauté internationale ».

L’entreprise sort enfin de son silence : elle affirme « n’avoir aucun lien capitalistique ou opérationnel avec Partner » et accepte de rencontrer les ONG pour « faire de la pédagogie ». Ce conflit aurait pourtant pu être évité.

Les maîtres du buzz négatif

Sur le Web 2.0, devenu le mégaphone d’ONG qui maîtrisent très bien ces supports et la fidélisation des internautes engagés, les multinationales sont tout aussi démunies. D’après une étude du cabinet Fresh-fields Bruckhaus Deringer, 40% des entreprises n’ont pas de plan d’urgence en cas de buzz négatif; et les marques commencent à communiquer en moyenne vingt et une heures après le début d’une crise.

« Elles sont déstabilisées par ces attaques frontales qui visent parfois directement leur produit, leur raison d’exister », remarque le responsable TBWA Corporate et auteur de Bad Buzz. Gérer une crise sur les médias sociaux (Eyrolles). Leur première réaction est en inadéquation avec le Web : elles n’écoutent pas, manquent d’humilité. C’est dans la confrontation qu’elles apprennent de leurs erreurs et mettent en place des process. »

Le cas d’école, c’est Greenpeace contre Nestlé

En 2010, l’ONG publie un rapport sur la déforestation en Indonésie, où le groupe agroalimentaire est critiqué pour son utilisation de l’huile de palme. Greenpeace sort le grand jeu : un site parodique sur KitKat avec l’amusant logo Killer et une vidéo virale moquant la pub de la marque.

kitkat killer

Nestlé demande à ses avocats de faire supprimer la vidéo.

Repostée dans la foulée, elle a été vue 1,5 million de fois! Assailli de commentaires, le community manager de la marque répond agressivement, avant de laisser la page inactive.

« Depuis, Nestlé a fait de la communication en ligne un leitmotiv, analyse le spécialiste de la gestion de crise. Des outils de veille digitale ont été mis en place afin d’anticiper les crises et de préparer des messages. »

Les leçons de BP et Michelin

Sans doute une leçon de l’attitude de BP, après l’explosion d’une plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique : le groupe a limité le bad buzz sur les réseaux sociaux en faisant amende honorable et en communiquant sur les opérations en cours pour colmater la fuite.

« Généralement, les entreprises se trompent de crise, regrette l’expert en communication de crise. Le problème, ce n’est pas les journalistes devant la porte, mais l’installation progressive de mauvaises pratiques. Les attaques devraient être considérées comme des alertes pour les gestionnaires qui ont le nez dans les chiffres. »

Certaines entreprises l’ont compris. Michelin a ainsi changé d’approche, après avoir été épinglé pour « violation des droits humains » par le CCFD et Sherpa pour l’installation d’une usine en Inde en 2010, sans consultation préalable des populations. « Nous avons accepté la médiation de l’OCDE et répondu aux questions des organisations », affirme Claire Dorland-Clauzel, directrice de la marque. Mieux, l’entreprise est engagée dans une démarche « performance et responsabilité » depuis 2002, et a « nommé un responsable du dialogue avec les associations, persuadée que les ONG peuvent nous apporter d’autres connaissances du terrain ». Manière d’apprivoiser les watchdogs ?