Comment gérer une crise sociale ?
Face à la multiplication des séquestrations de dirigeants d’entreprise, les communicants de crise s’adaptent pour répondre aux demandes et aux craintes de leurs clients. Certains y voient un marché porteur…
Sony (1 jour), Continental (2 heures), 3M (2 jours), Caterpillar (1 jour), Scapa (1 jour)… Sur les seuls mois de mars et avril, pas moins de 9 séquestrations de dirigeants (Molex étant le dernier en date) ont été dénombrées.
Le contexte économique et son flot quasi quotidien de restructurations laissent penser que cette liste est loin d’être close. Certes, le procédé n’est pas nouveau. Mais il est jugé assez porteur pour que certains professionnels de la communication managériale et d’entreprise y voient l’occasion de mettre sur le marché toute une batterie de prestations spécialisées.
Chez Vae Solis Communications, on propose ainsi une formation à la “communication sous contrainte“, les consultants d’Horemis, s’ils misent aussi sur de la formation et du coaching, se sont démarqués en promouvant le désormais célèbre “kit de survie” du dirigeant séquestré (toilette de rechange, trousse de toilette, deuxième téléphone portable avec les numéros d’urgence…).
Chez Geos, société spécialisée dans la gestion des risques, on propose des formations pour préparer les cadres à être retenus par les salariés en s’inspirant des enlèvements en Colombie ! Ces initiatives, au caractère incontestablement opportuniste, ne ” gadgétisent “-elles pas un phénomène qui, bien que d’une très forte dimension médiatique, dépasse le champ de la communication corporate ?
L’affirmation d’un besoin de lien : les conseils de LaFrenchCom, une agence de communication de crise rompue à la gestion des crises sociales
C’est d’ailleurs ce caractère médiatique qui participe à expliquer le phénomène. Les médias s’y intéressent parce que c’est fait pour intéresser les médias, insiste Jean-Pierre Beaudoin, coprésident d’I&E.
L’exercice vise d’abord à manifester de manière puissante la détermination d’une population face à la responsabilité des dirigeants. C’est un moyen d’avoir prise, dès lors que des salariés considèrent que les syndicats n’ont plus prise sur le bon niveau décision. Tous les professionnels, qu’ils aient ou non lancé des offres dédiées, sont d’accord : ces phénomènes sont détectables avant leur intervention. Pour Jean-Pierre Beaudoin, la séquestration de dirigeants est “un symptôme avant d’être un risque. Risque dont il faut déterminer les sources et, en premier lieu, tout ce qui est de l’ordre de la déconnexion sociale”.
Ou quand les salariés se sentent considérés comme des objets – et que toutes les décisions sont prises dans un monde qui leur est lointain -, affirmant, par le biais de la séquestration, un besoin de lien. Ce travail de détection peut-il être réalisé dans le cadre d’une formation d’une demi-journée ?
Jean-Pierre Beaudoin est catégorique : “C’est être à côté de la plaque. Ce sont des sujets sérieux de mode de management, et pas des questions d’acquisition de techniques. Par ailleurs, le kit de survie fait partie des choses auxquelles il faut penser. Mais si on est dans le Titanic et que la seule chose à laquelle on a pensé, c’est ledit kit, l’issue ne sera pas très différente.”
Des entreprises peu préparées à la gestion de crise sociale ou aux crises RH : elles imposent pourtant une communication sensible adaptée pour pouvoir être surmontées.
La présentation presse de Vae Solis Communications est on ne peut plus “explicite”. L’agence propose deux modules dans sa formation à la “communication sous la contrainte”. Le premier, dit de “prévention”, dure une demi-journée (six heures, en fait), et comporte un volet ” leviers de négociation ” animé par des professionnels de la négociation formés au sein des unités spéciales des forces de l’ordre et de sécurité (dont le GIGN !), et un volet “stratégie de communication et de relations presse” (choix de la posture, plan d’actions, messages…).
Quant au second module, il est à activer “si la séquestration intervient”, et repose principalement sur de l’accompagnement (conseil et appui du porte-parole désigné et mise en place d’un press-office spécialisé). Des prestations qui sont facturées dans une fourchette de 5 000 à 15 000 euros. Interrogé sur l’effet réel de la demi-journée de formation, Arnaud Dupui-Castérès, président de Vae Solis Communications, bien qu’il en défende l’intérêt, reconnaît que dans la pratique, la réalité est un peu moins schématique. Refusant d’y voir un “gadget”, il insiste sur son caractère “déclencheur”.
“Globalement, les entreprises ne se préparent pas assez, ne communiquent pas assez, ajoute-t-il. Que fabriquait l’usine de Sony ? Des cassettes VHS ! Compte tenu des évolutions technologiques, ils auraient dû se pencher sur la question depuis bien longtemps.” Et l’intéressé d’ajouter, pragmatique : “Dans ce type d’accompagnement, il ne se fait rien de sérieux en moins de six mois.”
Depuis le lancement de cette offre le 17 avril, l’agence a eu quelques prises de contact (5 ou 6, à la date du 22), mais n’a pas encore organisé de formation. Néanmoins, quelques heures après l’envoi de son communiqué de presse, elle a eu droit à une dépêche AFP, à une flopée d’articles dans la presse écrite et d’émissions de radio (Europe 1, RTL…), aux télés (BFMTV) et même au plateau du JT de France 2 le 21 avril !
Neuf cas de séquestrations en mars et avril. Dernier en date : Molex, la semaine passée
Séquestration de dirigeants, saccages: des dérapages très rarement sanctionnés
La condamnation à une peine de prison ferme de huit ex-salariés de Goodyear est une première, selon des avocats interrogés par l’AFP: les débordements dans les entreprises (séquestrations, violences ou menaces de sabotage) donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires.
Sur 23 séquestrations de dirigeants recensées par l’AFP depuis 2009 -année marquée par un fort regain-, une seule a donné lieu à une condamnation à une peine d’amende (La Poste en 2010).
Il faut remonter à 1999 pour retrouver une condamnation avec sursis à l’encontre de deux manifestants pour avoir retenu, deux ans plus tôt, le directeur de l’entreprise de chaussures Myrys à Limoux (Aude).
En théorie, les peines sont lourdes : en-deçà de sept jours, la séquestration est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende; au-delà, de vingt ans de réclusion criminelle et 150.000 euros.
Mais en pratique, les poursuites sont rares.
Le plus souvent, les séquestrations interviennent après l’annonce de restructurations.
2015
====
– Octobre : une manifestation dégénère au siège d’Air France, deux dirigeants voient leurs chemises arrachées. Cinq salariés seront jugés en correctionnelle le 27 mai pour violences.
2014
====
– Mai : cinq cadres de l’usine Seita (cigarettes) de Nantes sont retenus pendant près de 24 heures.
– Janvier : deux responsables de Centre France/La Montagne sont retenus pendant une nuit et une journée.
2013
====
– Novembre : le directeur de la forge Forgital du Chambon-Feugerolles (Loire) est retenu près de 24 heures.
– Octobre : une vingtaine de cadres de la Coopérative France Prune (Lot-et-Garonne) sont retenus plusieurs heures par des producteurs de pruneaux qui obtiennent une hausse du prix d’achat.
2012
====
– Novembre : deux dirigeants de la laiterie Novandie de Marcillé-Raoul (Ille-et-Vilaine) sont retenus deux nuits.
– Octobre : un cadre de PSA Aulnay est retenu 11 heures à l’usine de Seine-Saint-Denis. La direction renonce à des sanctions.
– Mai : des agents du réseau Ametis, les transports urbains d’Amiens-Métropole, retiennent pendant une nuit des dirigeants.
2011
====
– Septembre : deux dirigeants de l’usine Still dans l’Oise séquestrés pendant près de six heures.
– Quatre cadres de Constellium, groupe d’aluminium, retenus à Ham (Somme). Dans la nuit, ils s’échappent avec l’aide de la gendarmerie.
2010
====
– Mai : des cadres de la Poste séquestrés à Nanterre. Trois salariés sont condamnés en appel en février 2013 à des amendes, 12 sont relaxés dont l’ex-chef de file du NPA Olivier Besancenot.
– Mars : le dirigeant de Sullair Europe (outils pneumatiques) passe la nuit dans l’usine de Montbrison (Loire).
– Deux cadres de Siemens VAI MT séquestrés à Saint-Chamond (Loire).
– Février : une cinquantaine de salariés de Pier Import, travaillant pour des magasins en liquidation, retiennent toute une nuit la PDG et son directeur général, au siège à Villepinte (Seine-Saint-Denis).
– Janvier : quatre cadres du groupe métallurgique suédois Akers retenus plus de 24 heures à Fraisses (Loire).
2009
===
Neuf séquestrations recensées entre mars et juillet, notamment à l’usine Michelin de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), à l’usine Molex de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), Faurecia à Brières-les-Scellés (Essonne), Caterpillar à Grenoble et Sony dans l’usine de Pontonx-sur-l’Adour (Landes).
Sans être allés jusque là, les salariés de l’usine Fulmen (batteries automobiles) à Auxerre avaient enmmené de force leur directeur pour manifester.
Autres violences répertoriées cette année-là: en juillet les 366 salariés de New Fabris (pièces automobiles) à Châtellerault (Vienne) menacent de faire sauter les locaux avec des bonbonnes de gaz.