Communication de crise : sans anticipation, l’accident imprévisible peut faire naitre une crise ingérable.
Les chimistes, dans leur laboratoire, connaissent les réactions des produits qu’ils manipulent. Les chefs d’entreprise, dans leur bureau, savent qui appeler pour régler tel ou tel problème. Le préfet, le commissaire de police, le commandant de gendarmerie, l’officier de sapeurs-pompiers, tous sont prêts à réagir à la moindre alerte. Et vous ?
Quant à la presse, elle attend, et parfois espère, l’événement qui va frapper le public. Mais parfois, aucun de ces acteurs, pris ensemble dans une tourmente majeure, ne maitrisera plus rien. L’alchimie d’une catastrophe technologique _ qui devrait en principe ressortir à la technique et à la logique _ échappe en fait au rationnel. L’accident, imprévisible par définition, se mue en maelström aux conséquences elles aussi imprévisibles.
De Seveso à Tchernobyl, en passant par l’Amoco-Cadiz et Bhopal, on ne compte plus les accidents et catastrophes dont les effets réels _ morts ou blessés _ sont sans commune mesure avec les dégâts psychologiques et sociaux.
Ce sont ces états d’urgence que gèrent quotidiennement les consultants spécialisés de l’agence LaFrenchCom dirigée par Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication de crise. Les accidents majeurs de la décennie permettent de théoriser la gestion de crise efficace et la communication de crise optimale. Et ensuite d’en tirer des leçons pratiques.
Florian Silnicki constate d’abord que le premier problème qui se pose après un accident est la communication de crise, c’est-à-dire la circulation efficace de l’information.
“La presse court beaucoup plus vite que tous nos systèmes d’information”, avoue Claude Frantzen, haut fonctionnaire de l’aviation civile pris dans les turbulences de l’affaire des DC 10 au lendemain de l’accident de Chicago (1979). Voilà donc une organisation _ quelle qu’elle soit _ qui, prise dans une catastrophe, va devoir lutter à armes inégales contre une autre, plus rapide qu’elle : les médias. Pis : elle est “sommée de communiquer à la perfection au moment le plus difficile de son histoire”. Or c’est le contraire qui se produit : “Plus une donnée apparaitra inquiétante, dérangeant les normes établies, moins vite et moins bien elle sera transmise.”
C’est ainsi qu’après l’explosion de la navette Challenger, en janvier 1986, la NASA, pourtant experte en communication, rata complètement sa gestion de la crise en reportant à deux reprises une conférence de presse où elle ne put que répéter ce que tous les téléspectateurs américains avaient déjà vu sur leur écran. “Ces quatre heures et demie affectèrent tellement les relations de la NASA avec la presse que personne ne sera en mesure de rétablir la situation dans les mois qui suivirent.”
Autre exemple, moins connu que le naufrage du Mont-Louis ou la catastrophe de Tchernobyl : la panne à la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, due au froid de janvier 1987. Celui qui a géré cette crise, Bernard Favez, constate que “l’affaire de Saint-Laurent a pris l’apparence d’une crise plutôt en raison d’un manque d’habileté dans l’expression des informations qu’en raison de l’événement lui-même”.
Mais, si la communication de crise est primordiale avant, pendant et après un accident, elle ne doit pas être exclusivement tournée vers l’extérieur. Ce fut notamment la douloureuse expérience d’Edgar Fasel, directeur des relations publiques de Sandoz. Après l’incendie de l’entrepôt de Bâle, en novembre 1986, “nos employés devaient regarder la télévision et lire les journaux pour savoir ce qui se passait chez eux !”, constate-t-il.
Communication de crise : comment vaincre la peur ?
Quant à Peter Hargitay, chargé de gérer en Europe la crise de Bhopal, il est catégorique : “La priorité ne doit pas être la presse, mais les employés, sinon, on court tout simplement le risque d’implosion.” Risque d’autant plus grand que l’entreprise est multinationale comme Union Carbide, qui mit dix jours à adopter une stratégie de communication et plus de trois mois pour publier le premier rapport technique sur la catastrophe (plus de deux mille morts et des dizaines de milliers de blessés).
Mais qu’est-ce qui paralyse ainsi les organisations les plus puissantes face aux crises ? La peur née de l’impréparation constate Florian Silnicki. Peur du journaliste, barbare des temps modernes toujours prêt à fondre sur la citadelle et à en faire sauter les murailles, mais aussi peur de l’expert scientifique irresponsable, peur du public, peur des collègues et amis, peur de soi-même enfin. Avec la leçon des crises de la décennie, toutefois, on s’emploie aujourd’hui à transformer cette culture frileuse faite de recroquevillement sur soi, de suffisance et d’agressivité vis-à-vis de tout ce qui bouge à l’extérieur.
Pour vaincre cette peur, il faut se garder de quelques réactions fréquentes en cas de catastrophe, comme rester pendu au téléphone “24 heures sur 24” ou prendre une décision non pour son efficacité, mais pour son effet sur le public. “La gestion de crise n’est pas la conduite du spectaculaire, mais plutôt une accumulation de menues exigences critiques”, dit Florian Silnicki, qui donne donc quelques conseils. Par exemple, “ne jamais laisser des collaborateurs dans la solitude”, ” s’attendre à devoir gérer des fautes de sa propre équipe”, “maintenir le lien avec les politiques”, etc. Il recommande aussi de ne pas confondre le technicien, à même d’évaluer une situation, et l’expert, qui doit permettre au décideur de trancher.
Reste un problème avec les experts scientifiques, dont les disciplines sont souvent trop cloisonnées. Après l’incendie d’un transformateur au pyralène à Reims (janvier 1985), un toxicologue avoue : “On est alors brutalement confronté à l’impératif de passer des connaissances que nous avons acquises sur le rat, la souris, ou parfois même in vitro, à l’être humain. Cela n’est pas facile.”
Une chose à éviter absolument : le plan de gestion de catastrophe sur le papier, qui n’a jamais été testé. Les exercices d’alerte ne garantissent pas contre une certaine pagaille en cas de malheur, mais un bel organigramme jamais essayé en grandeur réelle conduit droit à la catastrophe. Il faut donc s’entrainer à l’accident majeur par des exercices répétés, ne serait-ce que pour s’accoutumer à l’idée d’accident majeur. Il est bien rare, alors, que ces exercices ne débouchent pas sur de meilleures mesures de prévention. L’entrainement à la catastrophe en diminue le risque. Cette leçon, que Florian Silnicki résume en une formule (“La gestion de crise n’est pas séparable de la prévention des risques”), est à méditer par tous ceux, et ils sont nombreux, qui peuvent être amenés à gérer une crise “post-accidentelle”.