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L'art et les marques grand public

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’appuyer sur le caractère non éphémère des oeuvres d’art pour renforcer la longévité de leur stratégie marketing. Une voie choisie notamment par BMW et SEB. 

Peut-on associer l’univers artistique d’un créateur à celui d’une marque ? La banque Caixa s’y est essayée, il y a moins d’un an, avec une campagne signée Ben. Et elle est loin d’être la seule.

« De plus en plus d’entreprises ressentent que cette association de l’art à leur stratégie de communication améliore considérablement leur image« , affirme Anne Kieffer, la directrice générale de MPG Art, une filiale d’une société d’achat d’espaces publicitaires appartenant au groupe Havas ! Parmi ses clients, SEB est sans doute le moins attendu. On imagine mal le leader mondial du petit électroménager dans un registre qui rompt autant avec les canons traditionnels de la publicité (censés toucher la ménagère de moins de cinquante ans). Mais Anne Kieffer a su apparemment trouver les mots justes. Et l’opération, en cours d’élaboration, devrait voir le jour cette année avec un artiste dont le nom est encore tenu secret. 

La publicité lutte en permanence contre l’éphémère. L’art échappe à ce combat. D’où l’intérêt que portent les promoteurs des marques à ces créateurs capables de s’imposer dans le temps. Un intérêt qui n’est pas totalement nouveau. Il y a trois ans déjà, le magazine CB News mettait déjà en avant cette tendance, chez les créatifs des agences de publicité et de design, à récupérer au profit de grandes marques les chefs-d’oeuvre les plus parlants de Léonard de Vinci, Van Gogh, Klimt ou Mondrian. 

Si les secteurs du luxe, des spiritueux et du vin s’avèrent de fervents adeptes de ce mariage, ils ne sont pas les seuls. Les constructeurs automobiles figurent désormais aussi parmi ses laudateurs. Citroën a donné le ton il y a plus de quatre ans en achetant au prix fort le droit de baptiser « Picasso » sa Xsara concurrente de la Mégane Scenic de Renault. Volkswagen avait suivi avec un spot publicitaire pour la Golf jouant sur les créations d’un artiste contemporain. Et BMW vient de les rejoindre avec un mailing intégrant des reproductions de tableaux célèbres, le tout sur un papier glacé haut de gamme rappelant les livres d’art. Objectif : inciter les personnes recevant son courrier à ne pas le jeter dans la foulée. Toujours cette lutte contre l’éphémère. 

Deux fois gagnant. Les liaisons fructueuses entre le monde des créateurs et celui des entreprises peut prendre toutes sortes de formes. EDF-GDF et IBM ont récemment confié une partie infime ! de leurs déchets à la galerie Artkraft Diffusion qui se charge de les confier à des artistes triés sur le volet. « EDF nous a commandé 300 lampes avec leur packaging pour les offrir à leurs meilleurs clients sur Paris qui se trouvent être les musées nationaux », confie son dirigeant Pierre-Henri Damour. Lequel travaille en ce moment au recyclage artistique des ampoules au mercure qui servaient, il y a encore un an, à éclairer la Tour Eiffel. Les entreprises qui font appel à lui peuvent ainsi gagner sur deux tableaux : apparaître comme des défenseurs de l’art et communiquer en même temps sur leur respect de l’environnement. L’intérêt porté par les entreprises pour une communication par l’art dépassant les traditionnelles opérations de mécénat suscite un peu la méfiance des artistes.

« Ils ne sont pas tous adaptés mentalement à travailler avec des entreprises », reconnaît Mathias Duhamel, un ancien directeur artistique d’agence publicitaire revenu à ses anciennes amours (la peinture, pour satisfaire cette nouvelle demande des entreprises). Lui-même ne propose sa palette et ses pinceaux qu’aux dirigeants qui acceptent de le laisser libre d’interpréter sa vision de l’entreprise. « Je fais un audit qui s’étale sur plusieurs mois avant de proposer un projet », explique-t-il. Pour l’heure, les dirigeants de PME sont les plus nombreux à s’être montrés sensibles à cette démarche. Mais Mathias Duhamel a tout de même convaincu le groupe de travaux publics Eiffage de dépenser 15.000 euros pour un tableau résumant les valeurs de l’entreprise. « C’est tout de même plus parlant qu’un logo », clame-t-il. 

« Avec l’art, les annonceurs souhaitent donner du sens à leur marque avec une communication plus durable que celle qui se cantonne dans les codes de la publicité traditionnelle », assure Bertrand de Lestapis, le PDG de MPG France. « L’art n’est pas qu’un média, mais le média par excellence. Il faut juste trouver l’artiste qui correspond le mieux au patrimoine culturel de la marque », ajoute Anne Kieffer, à qui le « media planner » a confié la direction générale de MPG Art. Pour chacun de ses clients potentiels, cette marieuse regorge d’idées : « Constable, qui a beaucoup travaillé avec les nuages, irait par exemple très bien avec Air France. » 

Sans tabou. Même l’épineuse question du retour sur investissement est abordée sans crainte : « Nous n’avons qu’un recul d’un an, note Anne Kieffer. Mais il est intéressant de noter que dans les études dont disposent nos clients la connexion de la marque à l’univers artistique a permis de faire progresser les items suivants : créativité, innovation, adhésion et proximité vis-à-vis du public. » 

Une analyse qui se confirme semble-t-il dans des enquêtes plus généralistes. Selon la société d’études stratégiques marketing Millward Brown, La Laitière figure encore en 2002 parmi les 30 premières marques agroalimentaires suscitant un fort attachement auprès des Français (« La Tribune » du lundi 27 janvier 2003). Or, Nestlé a toujours soigneusement entretenu la communication de la marque autour du tableau de Vermeer qui a inspiré son nom. Quoi de mieux que ce chef-d’oeuvre pour inspirer la confiance de consommateurs en quête d’authenticité et de tradition.