Retour sur le scandale Volkswagen
En matière de responsabilité des entreprises, le test de Milton Friedman place la barre à un niveau le plus bas possible : l’économiste lauréat du prix Nobel estimait que l’unique responsabilité sociale d’une entreprise consistait à augmenter ses bénéfices, « tant qu’elle respecte les règles du jeu, à savoir opérer dans un contexte de concurrence libre et ouverte, sans fraude ni tromperie ». Quand le Financial Times rédige un éditorial affirmant que votre entreprise n’a même pas réussi à répondre à cette norme (et qu’elle a terni la réputation des grandes entreprises du monde entier), vous savez que vous allez vous retrouver dans de beaux draps.
Lors de la crise d’entreprise qui a certainement été la plus importante de 2015, il a été découvert que Volkswagen, l’un des plus grands constructeurs automobiles mondiaux, avait installé un « dispositif logiciel de manipulation » ayant pour rôle d’aider les véhicules à passer les tests d’émission. Le message de rappel qui a suivi a concerné 8,5 millions de véhicules en Europe et 500 000 aux États-Unis, et l’entreprise a rapidement annoncé qu’elle mettrait de côté 6,5 milliards d’euros afin de pouvoir payer les amendes et les sommes liées aux poursuites judiciaires (un chiffre qui, selon la plupart des observateurs, est amené à augmenter). Les ventes automobiles ont diminué de 5 pour cent au cours du mois qui a suivi le scandale.
Les experts en matière de communication de crise semblent unanimes dans leur évaluation du comportement adopté par l’entreprise avant la crise. Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication de crise et gestion de crises souligne le fait que les fournisseurs avaient identifié le problème il y a au moins six ans et que VW avait pris conscience au moins un an avant que n’éclate le scandale qu’une enquête était réalisée. « L’entreprise aurait pu mettre au point une stratégie de communication proactive mais ce n’est qu’en septembre 2015 qu’elle a réagi publiquement ».
Des problèmes culturels ont peut-être joué un rôle dans cette affaire. VW est le plus grand employeur de la ville de Wolfsbourg, et l’entreprise est supervisée par un conseil comprenant des responsables syndicaux et des politiciens originaires de Basse-Saxe, à savoir des personnes qui auraient pu procéder à des vérifications externes en matière d’actes de malfaisance commis par des sociétés dans le cadre d’une culture moins insulaire et moins collégiale. « Volkswagen ne possédait aucun dispositif permettant de détecter des crises et d’identifier les individus qui contournent le système », déclare Florian Silnicki.
Une communication hasardeuse
De la même manière, on s’interroge au sujet des premiers jours qui ont suivi la réponse de l’entreprise, lorsque Martin Winterkorn, encore PDG à l’époque, a formulé ce que Florian Silnicki appelle des « excuses mitigées… sa principale préoccupation étant d’affirmer qu’il n’avait aucune connaissance de la manipulation illégale ». Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, les informations ont continué à émerger progressivement.
« Volkswagen a eu du mal à montrer qu’elle contrôlait la situation », affirme Florian Silnicki, Expert en stratégies de communication de crise et fondateur de LaFrenchCom.
« Sa réponse initiale n’exprimait aucun regret alors que presque aussitôt après l’éclatement du scandale, il apparaissait clairement que la société avait agi de manière incorrecte… L’incapacité de VW à rassurer rapidement ses clients, mêlée à une utilisation incohérente de ses pages de médias sociaux au lendemain de la crise, font qu’il sera également encore plus difficile pour l’entreprise de regagner la confiance de ses clients ».
Cela dit, quand l’entreprise s’est finalement décidée à agir, elle l’a fait de manière ferme, en licenciant Winterkorn et plusieurs dirigeants clés qui étaient en mesure d’avoir connaissance de cette fraude. Et bien que certains ont pu être étonnés lorsque l’entreprise a demandé à un initié (Matthias Mueller, de chez Porsche) de prendre les rênes, l’une des premières actions de ce dernier fut de mettre en place une communication interne annonçant clairement que l’entreprise devait changer d’attitude, adopter une culture hiérarchique et tribale, encourager une meilleure collaboration, mais aussi offrir la possibilité de contester les mauvaises décisions.
L’une des dernières leçons à retenir suite à ce scandale est que la gestion des litiges représente l’une des principales différences observées entre l’Europe et les États-Unis. On a exprimé certaines critiques à l’égard de la manière dont la crise de relations publiques a été gérée aux États-Unis, mais les initiés allemands affirment que l’influence des conseillers juridiques dans la partie Ouest de l’océan Atlantique reste considérablement plus forte (pour des motifs qui sont compréhensibles, malgré qu’il ne s’agisse pas de bonnes raisons) aux États-Unis qu’en Europe.