Longtemps, le lobbying est resté un tabou solide en France.
Cette pudeur encore persistante peut surprendre car désormais, comme l’explique Florence Autret, spécialiste de l’intelligence économique, “le lobbying est à la vie des affaires ce que la publicité est à l’univers de la consommation“. Un constat sans détour : “Les professionnels de l’influence sont en passe d’accéder, si ce n’est à un véritable statut, au moins au coeur des réseaux de pouvoir.” Pour elle, tout l’art de l’influence consiste à faire passer une chose et son contraire pour une décision juste, rationnelle et, si possible, conforme à l’intérêt général.
Créer l’actualité. Fusions et acquisitions, communication de crise, autorisations sanitaires, révision de la TVA ; il n’est pas une seule décision stratégique importante des grands groupes qui ne s’appuie désormais sur ce que les professionnels appellent le “marché de l’influence”. La question de la gouvernance d’entreprise a institutionnalisé le lobbying. Mais c’est aussi la vague des réglementations, la concurrence débridée, les problèmes de régulation et aujourd’hui le développement durable qui stimulent la dynamique de ce nouveau marché.
“Le vrai enjeu des lobbystes, c’est de créer l’actualité”, soutient Florence Autret. Qu’il s’agisse d’empêcher le rachat d’Orangina par Coca-Cola en favorisant Pepsi, ou d’intégrer l’utilisation des édulcorants dans l’alimentation, ou bien d’obtenir, contre la pression d’Air France, des créneaux horaires à Orly, ou encore de défendre auprès du Parlement les intérêts d’une fédération professionnelle, le lobbying fait l’événement et place les grands groupes au coeur du pouvoir.
Financer à l’Assemblée nationale un colloque sur l’environnement comme l’ont fait EDF, la Cogema et Suez-Lyonnaise des Eaux permet, par exemple, de se rapprocher d’un rapporteur de la loi X ou Y et de profiter d’un label officiel en jouant sur l’ambiguïté “colloque à l’Assemblée/débat à l’Assemblée”. Le maïs, le tabac, les biotechnologies, l’aéronautique ou la filière ovine, autant de domaines qui occasionnent la constitution de groupes d’études parlementaires auprès desquels s’exerce le lobbying.
Cette proximité explique que le lobbying hexagonal, largement investi par des hommes de cabinets ou d’administrations publiques, soit devenu une véritable entreprise de recyclage du sous-personnel politique. Certains deviennent lobbystes maison dans des multinationales, d’autres dans des grandes agences de communication d’entreprise ou dans les cabinets d’avocats, qui représentent l’un des meilleurs passeports pour le métier de l’influence. De nombreux énarques se retrouvent ainsi chez Gide Loyrette Nouel, Francis Lefebvre ou August et Debouzy. Ce dernier a ainsi débauché Christian Pierret ex-ministre de l’Industrie. L’ancienne juge Noëlle Lenoire, aujourd’hui secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, a fait un passage par le cabinet d’avocats Herbert Smith, premier britannique à s’être lancé dans le lobbying sur la place de Paris.
La tenue du communicant. Les places sont chères pour les petits cabinets et pour les petites agences des géants américains. Le vieux problème entre public et privé rend les choses difficiles. Défendre les intérêts d’un groupe américain auprès de l’administration française n’est pas une partie facile. Mais surtout la place est occupée par deux grandes agences de communication, EuroRSCG et Publicis. La tendance est manifeste : les agences de communication vont de plus en plus vers la communication d’influence. Du coup, “les lobbystes n’hésitent pas à troquer la défroque de l’avocat pour la tenue plus décontractée du conseiller en communication“, note Florence Autret.
Sur les 75 millions d’euros dépensés par les entreprises françaises en 2000 pour leur communication hors publicité, 37,5 millions vont à des travaux d’édition, 8 millions aux médias (publicité de complaisance), 15 millions pour les colloques et manifestations, et 15 millions pour les conseils en affaires publiques. Sur ces 15 millions, EuroRSCG et Publicis en absorbent 10. Restent 5 millions à partager entre les petites officines dont certaines sont américaines. Encore handicapées par leur petitesse locale, malgré l’énormité de leur maison mère, leur tendance est à la prise de poids (Edelman, Hill & Knowlton) par rachat de petites agences ou prise de participation (Freishman-Hillard).