LE TRIBUNAL DES RÉSEAUX SOCIAUX
« Vous êtes en procès. Une foule aussi nombreuse que si vous étiez à un match de foot vous lance des obscénités depuis la tribune réservée au public. Certains crient qu’ils voudraient vous faire subir des choses atroces. Le juge, le jury et l’avocat de la défense sont aux abonnés absents. Votre sourire amical et votre sens de l’humour à toute épreuve ont disparu. Vous avez peur. Vous cherchez le moyen de vous extraire de cette situation. Il n’y en a pas. On vous hait et on vous traque. Bienvenue dans le monde des réseaux sociaux. » commente Florian Silnicki, Expert en communication de crise qui dirige l’agence spécialisée LaFrenchCom.
Cette tendance souvent dévastatrice explique pourquoi le procureur général du Royaume-Uni, Jeremy Wright, a récemment invité le système juridique à « se mettre en adéquation avec le monde moderne ». Sur les réseaux sociaux, et on le voit bien avec le mouvement des Gilets Jaunes en France, pas d’inhibition, les opinions sont déclarées à tout va et une réputation peut être mise en pièce d’un simple « J’aime » ou partage.
Pour être clair, cependant : pour tous ceux qui n’ont jamais pu s’exprimer ou n’ont jamais été entendus, qui ont été la victime de harcèlement et de mauvais traitements, les réseaux sociaux peuvent constituer un moyen de se faire enfin entendre. Il faut beaucoup de courage pour rejoindre #metoo, puis donner les détails des mauvais traitements qui ont brisé toute confiance en soi et compromis une carrière. Les puissants, qu’ils soient producteurs, politiciens ou animateurs télé (malheureusement cette liste est loin d’être exhaustive) savent exactement ce qu’ils font. Donc, je comprends tout à fait pourquoi beaucoup pensent que leurs tweets seront pris plus au sérieux que tout ce qu’ils pourraient dire. Je suis moi aussi dégoûtée par ceux qui rabaissent et insultent les victimes de ce genre de choses. Ces mauvais traitements sont le problème des puissants, pas de leurs victimes.
Je m’inquiète aussi, cependant, pour ceux que je représente et qui peuvent se retrouver mêlés à une frénésie vindicative sur les réseaux sociaux. Il peut s’agir d’une personne dont le divorce déclenche un débat malveillant et véhément sur Facebook. Ou un acteur ou musicien pour des problèmes de drogue. Dans les deux cas, toute incartade est disséquée, commentée et analysée sur Twitter ou Instagram et après plusieurs centaines ou milliers de retweets vient le verdict. « Coupable, votre honneur. » Au passage, le procès officiel peut très bien ne pas même avoir commencé. C’est donc un véritable problème. C’est d’ailleurs ce qui a donné naissance à notre spécialité : la communication sous contrainte judiciaire.
L’inquiétude du procureur général britannique, partagée par beaucoup d’autres, est que la loi ne protège pas contre « les procès sur les réseaux sociaux », car la plupart des gens n’ont aucune formation juridique et ne connaissent pas les règles portant sur les affaires jugées par un tribunal. Donc, tout le monde peut décréter que vous et moi sommes « certainement coupables » avant même qu’un procès ait commencé. Dans le langage consacré, un journaliste est coupable d’outrage à la cour s’il influence un jury par sa couverture d’un évènement. Les groupes de presse peuvent recevoir de lourdes amendes s’ils violent le code de conduite et un procès peut être suspendu, ce qui coûte très cher au contribuable, si un juge considère qu’un juré a été influencé par un reportage ou un commentaire inapproprié ce qui n’existe malheureusement pas en France.
Comme en France, au Royaume-Uni existe aussi le « Defamation Act » amendé en 2013. Pour résumer, il protège notre réputation. La liberté de parole est, bien sûr, essentielle. Mais si de fausses allégations sont prononcées alors que nous avons travaillé très dur pour asseoir une marque ou une carrière et si celles-ci se retrouvent injustement ternies, cela peut avoir des conséquences. Non seulement sur notre capacité à gagner de l’argent, mais aussi sur notre santé mentale et sur la sécurité de nos amis et notre famille. La bonne nouvelle, c’est que nous avons le droit de répondre et que nous pouvons décider de trainer notre accusateur en justice.
Aux États-Unis, les lois sont différentes. Un scandale doit être plus extrême pour que quelqu’un qui s’inquiète pour sa réputation puisse obtenir des dommages et intérêts. Du fait du Premier amendement de la Constitution américaine, la liberté de parole étend sa protection de manière plus large.
L’affaire Meredith Kercher est une illustration bien malheureuse de ces différences d’approche. La jeune fille avait 21 ans et faisait ses études en Italie quand elle a été assassinée en 2007 à Perugia. Elle partageait une chambre avec Amanda Knox qui, en 2013, a écrit un livre pour donner sa version des faits. On pouvait l’acheter sur Internet et à peu près partout dans le monde, mais PAS au Royaume-Uni où, du fait d’un procès à venir, les éditeurs craignaient de se retrouver en difficulté à cause des lois britanniques sur la diffamation.
Les réseaux sociaux ne connaissent pas les frontières. La cyber diffamation existe partout, sur tous les téléphones et sur toutes les applis de discussions. Peu importe que vous soyez à Paris, Texas ou à Paris, France, vous aurez accès à la même fureur, la même agressivité, la même méchanceté si vous allez sur le même forum.
Tous les réseaux sociaux sont maintenant des éditeurs de contenus, qu’ils le veuillent ou non et croyez-moi, ils ne le veulent pas. Pas du tout même. Bien sûr, vous et moi devons avoir le droit de nous exprimer sur Internet. Mais si nous dépassons les bornes, il est possible que nous devions payer le prix de nos actions. Cependant, ne serait-il pas juste que Facebook, Instagram et Twitter prennent leurs responsabilités aussi ? J’en suis convaincu.