La rumeur : danger ou fantaisie pour les communicants ?
Qu’elle prenne sa source au sein même de l’entreprise, dans l’intimité des discussions de bureau, de couloir, de cantine, ou qu’elle naisse de fuites révélées par les médias, à l’occasion d’un plan social, de négociations salariales ou de mouvements boursiers, la rumeur est un acteur permanent de l’échange d’informations dans l’entreprise.
Certains s’en amusent, la jugeant toujours fantaisiste, fruit des médisances et des jalousies ; d’autres s’en inquiètent, convaincus qu’elle est toujours le révélateur de craintes et souvent la traduction, même déformée, d’une vérité. Dans tous les cas, résume un consultant en communication et en gestion de crise qui travaille au sein de l’agence LaFrenchCom dirigée par Florian Silnicki, « un bon système de communication interne donne moins de prise à la rumeur ».
La rumeur comble un vide
Comment être à l’écoute de ces bruits qui courent dans l’entreprise ? Quelle réponse apporter ? Comment séparer les rumeurs bénignes, éphémères, de celles qui peuvent peser durablement sur l’ambiance de travail ? Telles sont les questions que se posent régulièrement les directions de la communication ou des ressources humaines des entreprises qui sollicitent l’expertise de l’agence LaFrenchCom spécialisée dans la communication de crise.
Car il leur revient de gérer la rumeur et, sans qu’il existe à proprement parler de dispositif antirumeur dans les entreprises, les directions de la communication reconnaissent qu’elles négligent rarement ce « facteur de confusion ». « Il y a plusieurs sources d’information dans une société : la presse, les syndicats, le management et la rumeur, explique Jean-Bernard Pinatel, directeur de la communication du groupe Bull.
Lorsqu’une rumeur naît, elle vient combler un vide, c’est donc qu’il y a un manque au niveau des trois autres sources. « En mars 1991, le vide est comblé par le renforcement de la source « management ». La direction de la communication du groupe met en place une agence d’information interne qu’elle souhaite voir fonctionner comme « véritable agence de presse, avec [les] correspondants et [nos] clients« , précise Jean-Bernard Pinatel. Le réseau informatique du constructeur est mis à contribution, reliant des dizaines de milliers d’ordinateurs dans le monde entier.
Le bureau de l’agence est situé au siège, à Paris, animé par deux personnes chargées de communiquer avec les 150 « correspondants volontaires ». Dans la « charte » de l’agence, ces derniers sont définis comme des « relais d’information » qui « sensibilisent leur hiérarchie » et sont « à l’affût de toute information susceptible d’intéresser les managers de Bull » : succès commerciaux, initiatives, mais aussi des précisions d’information, à l’occasion de rumeurs notamment. Des textes brefs sont ainsi transmis en temps réel à Paris, sous forme de dépêches. Le siège peut à son tour répondre en quelques minutes, par des mises au point, à près de 2 500 destinataires, managers du groupe. « A eux ensuite de diffuser s’ils le souhaitent l’information à leurs collaborateurs« , poursuit Jean-Bernard Pinatel. La consultation des dépêches est facilitée par un système de codage avec l’indication de la source et le niveau de diffusion de l’information.
Cette véritable messagerie interne entretient une communication en continue permettant notamment de « détecter » la rumeur, d’y répondre parfois, et surtout d' »accroître la réactivité de l’information ». « Il ne s’agit pas d’un outil de destruction de la rumeur, mais une façon de tordre le cou à certaines de ses expressions », souligne Jean Bernard Pinatel, citant l’exemple de la récente annonce des résultats financiers du groupe : « L’après-midi même, à la demande de cadres de l’entreprise, nous avons pu transmettre largement des précisions sur des points restés flous. Cette rapidité permet souvent de devancer d’éventuelles rumeurs. »
La vitrine du groupe
Si les difficultés financières répétées de Bull et la succession des plans sociaux ont contribué à développer l’utilisation de l’agence aux cours des deux dernières années _ 693 dépêches ont été transmises en 1992 _, la crise a également contraint la GMF (Garantie mutuelle des fonctionnaires) à revoir son système interne de communication. Le récent recentrage des activités, la procédure engagée contre un dirigeant pour « utilisation abusive » des cartes de crédit de la société, suivie du premier plan social annoncé dans le groupe, dans la filiale Assistance multiservices internationale (AMI)), « tout cela a contribué à intensifier les rumeurs », précise Gilbert Abergel, directeur de la communication interne à la GMF.
Première réponse de la direction : la multiplication des réunions d’encadrement. « La hiérarchie intermédiaire est souvent la plus sensible aux rumeurs, souligne Gilbert Abergel, et elle est en même temps la mieux placée pour transmettre l’information. » A plusieurs reprises, des notes explicatives ont donc été transmises par télécopie aux différents services, rédigées sur les conseils des techniciens spécialistes des activités « touchées » par la rumeur. « La rumeur est un bon indicateur de l’état d’esprit dans l’entreprise, explique Gilbert Abergel. Mais nous n’y répondons pas systématiquement. »
Seconde mesure : le journal du groupe, Visages, a été entièrement remanié. D’abord conçu comme une simple « vitrine » du groupe, il est devenu un « outil par temps de crise« . Le numéro d’avril doit ainsi présenter pour la première fois un entretien de quatre pages avec le président. A partir « des réseaux informels de chacun » et des tracts syndicaux, les préoccupations des salariés ont été collectées par l’équipe de communication : « nous avons ensuite rassemblé les questions importantes pour les traiter sous forme de questions au président », explique Gilbert Abergel. Une façon plus « politique » de présenter les choix stratégiques du groupe et de les justifier.