Faut-il faire taire les rumeurs sur les marchés ?

rumeurs

Le gendarme de la Bourse s’en inquiète, les sociétés cotées s’en alarment et les fonds spécialisés dans les rachats d’entreprises se déclarent en être victimes : la rumeur de marché est devenue la cible de toutes les critiques. “Naturelle” pour les uns, “manipulation” pour les autres, certains songent à durcir la réglementation.

Oui : “Le marché y est devenu particulièrement sensible aux rumeurs”

La rumeur a toujours fait partie du marché. Mais je remarque que celui-ci est actuellement particulièrement sensible aux rumeurs. Cela provient, me semble-t-il, de deux raisons : une hausse des cours qui rend les valorisations plus fragiles et la multiplication d’opérations de fusions et acquisitions avec des intervenants disposant de beaucoup de cash. Dans ce contexte, un certain nombre d’acteurs, souvent très avertis, peuvent avoir intérêt à diffuser les rumeurs, d’autant que le marché est très réceptif.

Pour assurer à la fois le bon fonctionnement du marché et une bonne qualité des informations, le régulateur n’est pas démuni, même s’il est par nature difficile de combattre la rumeur. Il y a déjà un constat que l’on peut rappeler : mieux une société communique, moins elle est sujette aux rumeurs. Dans les situations de crise, l’AMF dispose déjà de règles strictes, notamment celles encadrant l’information privilégiée.

À la suite de “l’affaire Danone“, nous avons récemment complété ce dispositif. L’AMF peut ainsi obliger “toute personne” à déclarer ses intentions dès lors qu’il existe des éléments objectifs laissant à penser qu’elle prépare une offre.

Nous avons conscience que certains acteurs pourraient être tentés d’utiliser ce dispositif pour gêner la préparation de certaines opérations, mais l’exemple britanniquemontre qu’il est efficace. Deux pistes pourraient néanmoins, à mon sens, être explorées : entamer un dialogue entre le régulateur et la presse, souvent “utilisée” pour relayer les rumeurs, et renforcer la coopération entre régulateurs européens sur cette question.

Non : “La rumeur est une catégorie spécifique d’informations”

Intrinsèque au marché, la rumeur constitue une catégorie spécifique d’informations, que chacun doit apprécier selon ses propres critères. Dire par exemple que telle ou telle société est une proie idéale pour un fonds n’est pas une rumeur mais une information portant sur une caractéristique de la société qui peut alerter le marché. Il existe plusieurs types de rumeurs, celles fondées sur des éléments objectifs et fondamentaux, ou celles farfelues, de loin les plus nombreuses, qui s’évaporent aussi vite qu’elles sont apparues. Il est donc très difficile de contrôler, voire de freiner les rumeurs. Surtout que nous évoluons actuellement dans un cycle extrêmement propice à la rumeur.

Non seulement les fonds d’investissement et les gérants n’ont jamais eu autant de cash à investir, mais le marché aborde une période sans grand thème d’investissement et sans réelle visibilité sur les résultats des entreprises en 2007. Ce qui est nouveau en revanche, et inquiète légitimement les autorités de tutelle et les sociétés cotées, c’est l’impact beaucoup plus important que les rumeurs ont sur le cours de Bourse, y compris pour les grandes capitalisations. Cela tient à l’évolution de la structure du marché où les fonds de ” private equity ” ou les hedge funds ont désormais un poids considérable. Celui qui ” achète la rumeur ” n’est pas celui qui achète un titre sur ses fondamentaux.

Ce qui est condamnable, ce n’est pas la rumeur elle-même, mais plutôt son origine et pour quel objectif. Si elle vise à créer de la volatilité sur un titre, cela devient de la manipulation de cours. Le régulateur doit alors intervenir. Pas d’égalité devant l’information Saint-Gobain ou Vivendi rachetés par un fonds d’investissement. Pour le marché, c’est un scénario crédible que le moindre bruit transforme en pari gagnant. La SNCF a besoin de fonds propres pour couvrir ses engagements de retraite. Elle ne va pas manquer alors de céder prochainement sa filiale Geodis, propulsant son titre à des sommets.

Chaque jour apporte son lot de spéculations, d’extrapolations aussitôt muées en rumeurs par la force de la globalisation des marchés. Le phénomène n’est certes pas nouveau. La rumeur est même aussi ancienne que l’humanité et a fortiori… que la Bourse.”On ne fera jamais taire une rumeur et si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer”, avance même le patron d’un grand courtier parisien. Seulement, il pose aujourd’hui deux problèmes : son impact inégalé sur les cours, au point d’inquiéter les régulateurs et les émetteurs. Et cet impact incite tous les acteurs des marchés courtiers, avocats, banquiers, fonds d’investissement à l’utiliser à leurs fins. Et sur une Bourse promise à un relatif sur-place, sans grande volatilité, où la performance repose sur la capacité des gérants à bouger vite, la rumeur est devenue un acteur en soi du marché, du moins pour quelques happy fews, mais souvent au détriment de ceux qui n’ont ni les moyens, ni le temps, de les apprécier à leur juste valeur.

D’après la rumeur, il y aurait une rumeur selon laquelle la rumeur qui veut qu’une rumeur prétende qu’il existe une rumeur ne serait qu’une rumeur. Auquel cas il conviendrait de savoir si c’est la rumeur elle-même qui fait l’objet d‘une rumeur, ou bien la rumeur de la rumeur colportée par la rumeur, ce qui donnerait du crédit à la rumeur d’une rumeur ourdie par la rumeur d’une rumeur propagée par la rumeur. Les choses se compliquent quand on décide de démentir la rumeur. Car s’agit-il de démentir la rumeur, ou de démentir la rumeur selon laquelle il y a une rumeur ? Surtout quand le démenti lui-même fait l’objet d’une rumeur, qui veut qu’il a été imposé par la rumeur suscitée par la rumeur. Le mieux est sans doute de ne démentir ni la rumeur, ni la rumeur de la rumeur, encore moins la rumeur d’un démenti de la rumeur à cause de la rumeur. Quant à tuer la rumeur dans l’oeuf, dont la rumeur dit que c’est le meilleur moyen de combattre la rumeur, inutile d’y songer : avant de tuer l’oeuf, il faudrait tuer la poule qui fait l’oeuf qui fait la poule qui fait l’oeuf qui fait la rumeur.