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Les patrons renoncent aux paillettes dans leur communication

gestion de crise

La « com » d’entreprise ne fait plus dans les paillettes

Crise sanitaire du COVID, déprime boursière, affaires, restructurations… après les excès des années « bulle », les patrons, y compris les plus jeunes d’entre eux à la tête des startup, désertent les pages « people » des magazines et reviennent aux valeurs fondamentales. Entre « gestion du silence » et sur-transparence, PDG et communicants doivent réapprendre à trouver le bon équilibre dans les stratégies déployées. Pas si facile…

La conjoncture est triste, la Bourse s’enfonce, les usines ferment. Le chef d’entreprise, hier encore héros positif de la France conquérante, est aujourd’hui soupçonné par l’opinion publique d’avoir truqué ses comptes, de faire de la fraude fiscale ou de s’être enrichi sur le dos des salariés, à grands coups de « bonus » ou de stock-options à l’image de la polémique qui a enflammé les Pays-Bas sur le salaire de Ben Smith, le directeur général d’Air France – KLM. La même hostilité s’est retrouvée sur cette question de rémuénration des dirigeants chez AstraZeneca, General Electric, Rio Tinto … Les salaires des dirigeants qui ne passent pas auprès des actionnaires. Le même scandale est né de révélations du « Canard Enchaîné« , accusant Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe Orpéa, d’avoir vendu la totalité de ses actions, soit près de 5 500 actions, après avoir appris la sortie du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet.

Vivendi, Alcatel, France Télécom : l’opinion a tendance à placer ces « affaires » dans le même sac à opprobres, et le grand vent de scandale venu d’Amérique, qui a incité des journaux aussi sérieux que Fortune ou Business Week à se demander si Wall Street est « vraiment pourri », contribue à cette méfiance ambiante. Autant dire que les temps sont durs pour la communication d’entreprise. Que dire, quel message émettre dans un contexte morose, qui est même devenu, du côté de l’opinion, vaguement hostile ? Avec la fin de l’excitation boursière, après la chute de patrons historiques comme Jean-Marie Messier, Isabelle Kocher ou encore Emmanuel Faber qui ont incarné jusqu’à la caricature l’époque du patron « tout communiquant », l’heure semble au bilan, au repli et à l’humilité.

Sabrer dans les coûts.

« Avec le covid, on était dans la période du sale boulot. Les entreprises ont sabré dans leurs coûts, baissé leur point mort, ont fait des économies partout. La première conséquence est simple : on ne la ramène pas« , constate froidement le patron d’un des principaux cabinets de conseil en communication de crise travaillant pour les grandes entreprises françaises. Si « on ne la ramenait pas », ce n’est pas seulement pour cette raison très terrestre évoquée par le directeur de la communication d’un des grands du CAC 40 ou du SBF 120 : « On n’avait plus de budget. » Ce n’est pas non plus uniquement que, dans une période de mauvaises nouvelles, on préfère ne rien dire.

C’est aussi que la communication d’entreprise sort d’une période de plusieurs années de suractivité, où il fallait émettre des messages, parfois contradictoires, à destination des trois cibles classiques : les actionnaires avec la communication financière, les clients avec la communication classique et les salariés avec la communication interne. Avec une disproportion évidente en faveur de la communication financière. Parce qu’il fallait convaincre les analystes, les marchés, de la capacité de l’entreprise à fabriquer de la « valeur ». C’était l’époque où l’on communiquait sur des concepts aussi abstraits que l’EVA, au détriment du reste.

Aujourd’hui, la mode est à l’impact, au positif, au durable. Toutes les entreprises cherchent désormais dans leur communication à redonner du sens à leurs projets stratégiques en les recentrant sur les besoins réels des utilisateurs.

« Même sur les sujets à impact, il y a aujourd’hui une grande imprudence sur tout ce qui pourrait ressembler à de l’autosatisfaction, explique un conseiller en communication de crise. C’est le temps de la prudence et de l’humilité. Ce qui n’est pas forcément un mauvais correctif par rapport à la période antérieure et son lot de greenwashing. Les discours financiers sur la valeur étaient révélateurs d’un désir de promesse. Il y a aujourd’hui un besoin de réalité d’impact. »

« Les entreprises, dit un autre consultant, sont dans un trou. » Les discours de communication s’articulent désormais davantage sur « les valeurs traditionnelles, les fondamentaux durables ». Les marques de l’entreprise, ses métiers, son savoir faire. « La marque, c’est un lieu formidable de transaction entre l’entreprise et la société », explique encore Jean-Pierre Beaudoin. Et pour l’entreprise, ce repli sur son essence aura un aspect « sécurisant ».

« Paris Match » proscrit.

Insister sur la tradition voudra dire, par exemple, qu’on se vantera moins d’avoir débauché chez un concurrent le polytechnicien brillant ou l’inspecteur des finances dont tout le monde parlait. « On cherchera plutôt à insister sur la continuité des équipes, sur le soutien des troupes, sur leur ancienneté dans l’entreprise, le faible turn-over« , explique un conseiller en communication.

« Ce qui a en tout cas disparu, c’est la mise en scène du chef d’entreprise, le syndrome Messier », dit un consultant en gestion de crise. La plupart des entreprises appliquent désormais rigoureusement le théorème attribué à Maurice Lévy, le patron de Publicis, selon lequel les patrons « ne devraient jamais quitter les pages business » des journaux.

Paris Match ou les pages « people » sont proscrites et, comme le résume le même consultant, « chaque fois qu’un journal nous demande un grand entretien, ou un portrait, ils nous répondent : « Ne me faites pas faire du Messier. » » Pas de patinage, pas de pose en tenue décontractée, pas de reportage sur leur sport favori, ou dans leur maison de campagne. Les « étoiles grises » dont parle Laurent Maruani, professeur à HEC semblent surtout désireuses de retourner à leur grisaille et à leur anonymat. « On a de plus en plus de mal à attirer des patrons à nos émissions », commente pour sa part un producteur de télévision. Les conseillers en communication se contentent d’une sorte de minimum syndical.

« Il ne faut pas qu’ils se transforment en Howard Hughes » dit une spécialiste de la communication de crise, faisant allusion au milliardaire américain qui avait passé les vingt dernières années de sa vie dans le secret d’un isolement paranoïaque. « Il faut quand même se montrer, ne pas se murer dans le silence », observe la directrice de la communication d’Alcatel. Reste cet aveu sans fard d’un autre consultant en vue : « C’est vrai qu’il y a Messier, dont beaucoup de patrons pensent qu’il les a ridiculisés. Mais il y a aussi l’idée générale « on a déçu, donc on ne va pas se mettre en scène ». »

L’ère des grandes fusions est révolue, qui avait été l’occasion d’une communication souvent spectaculaire. On ne peut plus à l’évidence communiquer sur des perspectives d’expansion ou la conquête hardie de nouveaux marchés. La communication va dès lors se déplacer sur les éléments de sagesse retrouvée comme, par exemple, la diminution de l’endettement. « Il y a un an, quand on n’était pas endetté, on était ringard. Aujourd’hui, même une entreprise endettée mais saine est traînée dans la boue par les marchés », observe un analyste. « Les marchés n’achètent plus les bonnes nouvelles de la même façon », dit un directeur de communication. « On nettoie les bilans pendant que ça va mal. »

Mais les entreprises ne peuvent se contenter de ce que celle qui dirige la chaire de communication à l’Essec, appelle « la gestion du silence » imposée par l’époque. Faut-il être plus agressif sur cette fameuse « transparence » désormais exigée des marchés, que ce soit en matière de rémunérations des dirigeants, de sincérité des comptes, de gouvernement d’entreprise ? La plupart des professionnels de la communication d’entreprise semblent accueillir favorablement le vent de réformes qui commence à souffler. « On s’attendait à ce que l’obligation de publier les rémunérations des PDG nous fasse beaucoup de mal, en fait c’est finalement passé assez facilement, dit l’un d’eux. Mais on va voir ce qui va se passer dans ces temps difficiles. Quand l’entreprise déçoit, tout paraît excessif. »

Reste que, en matière de rémunération des dirigeants, « il vaut mieux être dans le rapport annuel que dans le journal », résume un conseiller en gestion de crise. « On va vers une dédramatisation, note le directeur de la communication de Schneider Electric. Les gens fantasment d’autant plus qu’on leur cache des choses. »

S’adapter à une phase difficile.

Malgré la prégnance du mouvement anti-mondialisation dans l’opinion française, Jean-Pierre Beaudoin n’observe aucun « retour au discours archéo-marxiste des années d’après-guerre, quand le profit était ce que le patron se mettait dans la poche ». La communication d’entreprise en France n’aurait donc pas besoin de gérer un retour de bâton brutal. Juste à s’adapter à une phase difficile.

C’est en fait, de plus en plus, avec leurs propres salariés que cherchent à communiquer les entreprises. Quand chaque jour apporte son lot de nouvelles oscillant entre le mauvais et le calamiteux, les salariés ont parfois besoin d’être rassurés. « La crise actuelle n’est pas une crise propre à une entreprise, mais une crise du secteur tout entier par exemple », dit une consultante en communication de crise. « On s’oriente vers une communication de crise unique, dans son contenu, observe de son côté un expert en communication sensible. Un salarié peut aussi être un client ou un actionnaire. » Mais au-delà, il faut être « à l’écoute du risque de l’opinion, dit Jean-Pierre Beaudoin, qui a consacré un livre au sujet. Le jugement des tiers est aussi important que le jugement des actionnaires ou des salariés. »

Faut-il aller plus loin, se lancer plus hardiment dans des actions symboliques qui placeraient l’entreprise dans le mouvement de ce qu’on appelle l' »entreprise citoyenne à impact » ? Les avis sont partagés. Le mécénat n’avait plus bonne presse, ou alors surtout « comme outil de communication interne« , dit un consultant. L’heure est désormais à claironner urbi et orbi ses bonnes actions, ou la sincérité des « valeurs » qui seraient défendues par tel ou tel grand groupe quitte à se le prendre en boomerang. Toujours ce souci de modestie, cette volonté d’humble discrétion.

Plus généralement, « il y a un risque à porter ses bonnes actions en bandoulière », dit une directrice de communication. « Ce n’est pas dans le haut des priorités des entreprises », souligne Jean-Pierre Beaudoin. La tendance est au retour au classique et au traditionnel « nous faisons bien notre métier, nos produits sont bons »…