Com’ qui tue, com’ qui sauve
L’ancien PDG de l’AFP, Eric Giuily, passé par Publicis Consultants, scrute dans un livre bienfaits et méfaits de la communication. De l’entreprise à la politique, il en explique ici les règles et les limites.
Renault, Société générale, Vivendi sous l’ère Messier… Un certain nombre de carambolages retentissants ont contribué, ces dernières années, à dégrader l’image de l’entreprise. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La situation ne s’est guère améliorée. La crise économique, conjuguée au scandale des subprimes et à un certain nombre d’affaires, comme celle des laboratoires Servier, en France, ont encore détérioré cette image face à une opinion de plus en plus méfiante. Dans le même temps, on constate que la défiance dépasse le cadre de l’entreprise : effondrement des élites, érosion croissante de la confiance que pouvaient avoir les citoyens à l’égard des institutions et du politique, ce sont toutes les fondations de notre environnement politico-économique qui sont atteintes. Et la crise financière qui frappe la planète ne devrait pas arranger les choses.
La communication des entreprises semble faire office de gadget ou de rustine, quand tout prend l’eau…
La communication devient gadget quand elle n’est plus en adéquation avec la stratégie de l’entreprise ou avec le discours de son PDG. Exemple, Didier Lombard à France Télécom, qui n’avait pas pris la mesure du désarroi d’une partie de ses salariés et dont la « communication de crise‘ » était alors en complet décalage avec la réalité sociale de son groupe. Vous pouviez être à l’époque le meilleur communicant du monde, sauver le soldat Lombard relevait de la mission impossible.
Et pourtant, la communication peut aussi, à l’inverse, faire parfois des miracles !
Oui, quand elle est bien menée. Souvenons-nous du cas d’Alcan, cette grande entreprise canadienne qui décida, un matin de 1996, de jeter son dévolu sur Pechiney. Moyennant une communication très habile, très ciblée, très étayée, ses dirigeants ont réussi à convaincre l’opinion, les syndicats et les pouvoirs publics qu’un groupe étranger pouvait déclencher une OPA sur l’un des fleurons de l’industrie française sans que cela se traduise par un massacre. Résultat, l’opération fut un grand succès. Mais une fois l’affaire bouclée, une fois aux commandes de ce vaste ensemble, ces mêmes dirigeants, qui tinrent pourtant toutes leurs promesses, notamment sur le plan social, décidèrent de ne plus du tout communiquer. Résultat, le doute s’installa, prospéra, et l’on vit fleurir dans la presse, au fil des mois, quantité d’articles négatifs sur ces Canadiens qui auraient renié tous leurs engagements. Alors que c’était l’inverse. Du bon usage de la communication…
Vous évoquez dans votre livre la com’ qui tue et la com’ qui sauve : que voulez-vous dire par là ?
La com’ qui sauve, pour commencer par du positif, c’est celle de Bernard Kouchner. Mis en cause par le journaliste Pierre Péan pour ses travaux de consultant de luxe dans un certain nombre de pays d’Afrique noire, le ministre des Affaires étrangères avait habilement répliqué en extirpant de l’ouvrage un seul mot, « cosmopolitisme », laissant ainsi sous-entendre que Pierre Péan était antisémite. Cet artifice permit à Kouchner d’oblitérer tout le reste : laminé par la polémique, l’accusateur Péan est devenu accusé !
A l’inverse, la com’ qui tue, c’est celle de Didier Lombard, toujours, qui, voulant éteindre l’incendie, au sortir d’un entretien avec le ministre du Travail, explique devant une forêt de micros qu’il faut en finir avec « cette mode des suicides ». Il aurait fait immédiatement amende honorable, au terme de cette sortie pour la moins maladroite, l’effet aurait été diminué sans doute des trois quarts, mais il a préféré s’enferrer. La com’ qui sauve, c’est aussi François Fillon : sur la sellette pour avoir utilisé un avion de Moubarak lors de vacances en Egypte, à la fin de 2010, le Premier ministre a reconnu les faits de manière extrêmement détaillée et cela a permis de tuer dans l’oeuf toute polémique. Ce sont moins les questions de fond qui ont ébranlé Eric Woerth, dans l’affaire Bettencourt, que ses maladresses de communication, lesquelles n’ont fait qu’ajouter à la suspicion.
Fini les années Tapie, on assiste parallèlement à une désacralisation des grands patrons : exemple, le PDG de Renault, Carlos Ghosn, hier au pinacle…
L’érosion de l’image de ce patron, porté aux nues quand il était à la tête de Nissan, tient à la personnalisation excessive de son mode de gouvernance : il n’y a ni écran ni filtre entre lui et son entreprise, entre lui et l’extérieur. Aveuglement, outrecuidance ? Carlos Ghosn a choisi de prendre toute la lumière, au risque de se brûler les ailes. C’est exactement le même problème que Nicolas Sarkozy : vouloir être, ostensiblement, publiquement, à la source de toute décision, vous conduit à une surexposition dangereuse. La première erreur du président de la République a sans doute été de considérer que tout est médiatique, que tout peut se régler par de la communication politique. L’immédiateté et la personnalisation, au détriment de la mise en perspective et de la délégation, sont les deux écueils que doivent éviter les patrons de grande entreprise comme les dirigeants politiques.
Mais l’emballement médiatique, conjugué au diktat d’Internet, contraint souvent ces derniers à réagir à chaud…
Ils ne sont pas obligés d’entretenir le phénomène ! Michèle Alliot-Marie et Eric Woerth, par leurs maladresses, leurs demi-vérités et contradictions, ont contribué à alimenter la polémique et la machine médiatique. La fulgurance avec laquelle les médias réagissent aujourd’hui à l’actualité devrait conduire les uns et les autres à penser leur communication différemment. On ne peut plus passer à travers les gouttes : tout faux pas, toute approximation, est immédiatement sanctionné. Il y a vingt ans, le « Casse-toi pauv’ con » de Nicolas Sarkozy aurait fait dix lignes dans Le Canard enchaîné. Contrairement à la presse écrite, le Net n’est pas amnésique : l’information y chemine inlassablement et s’y enracine comme du chiendent. Or la communication des dirigeants politiques et industriels est d’autant plus difficile aujourd’hui qu’Internet est une centrifugeuse qui recycle de l’information à l’infini.
S’il fallait citer un patron français qui allie une bonne image, adossée à une bonne communication, le tout sous-tendu par une bonne stratégie, qui verriez-vous ?
Indiscutablement, le PDG de GDF Suez, Gérard Mestrallet. Ce dernier, d’une grande discrétion, a réussi avec brio la difficile fusion entre ces deux entreprises, tout en restant personnellement, médiatiquement, très en retrait. Voilà donc un patron parlant avec parcimonie et à bon escient, qui a développé une communication forte, non pas organisée autour de sa propre personne ou de son propre bilan, mais autour de l’activité du groupe qu’il dirige. C’est l’envers des années Messier.