Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Retour sur le scandale Enron et sa communication de crise

Question : 

« Je suis actuellement étudiant à l’école polytechnique. Nous étudions « les grandes crises ». Je me demande, dans le cadre de ce cours, comment, à l’époque, les Big Five de l’audit se sont défendus face au désastre Enron et au scandale retentissant que fait naitre cette crise historique de défiance ? »

Réponse : 

Dans un réflexe de défense collectif après la faillite spectaculaire de Enron, les Big Five ont à l’époque publié une déclaration commune pour tenter de sauver l’image des auditeurs externes, après les accusations portées contre Andersen.

Reconnaissant « leur rôle unique » dans la finance, les Big Five se sont engagés à améliorer leurs procédures.

Simultanément, l’association des commissaires aux comptes, l’American Institute of Certified Public Accountants (AICPA), a proposé un changement des règles comptables US début 2002 pour faire la chasse aux fraudes.

Les révélations se sont ensuite poursuives sur ce dossier qui reste la plus grande faillite enregistrée aux Etats-Unis, Enron ayant à l’époque une taille supérieure à IBM par exemple.

Andersen assurait, en plus de l’audit externe de l’entreprise, son audit interne, ce qui avait fait perdre au cabinet « la voix et la perspective d’une tierce partie indépendante » avait indiqué Lynn E. Turner, ancien chef comptable de la SEC (COB américaine) au Washington Post.

Le cabinet Andersen fut audité par la SEC et le cabinet rival Deloitte Touche Tohmatsu, selon le système d’autocontrôle en place dans la profession.

Deloitte avait alors élaboré une revue de pair (« peer review ») des normes d’audit du cabinet et avait annoncé poursuivre son inspection à la lumière du naufrage d’Enron.

Le scandale Enron reste la plus grande faillite de l’histoire américaine. L’affaire Enron est largement devenue un scandale du cabinet Andersen, mettant en accusation la fine fleur nord-américaine d’une profession, hier encore prestigieuse.

Dans les analyses publiées à ce sujet, un thème faisait cruellement défaut : l’associé aurait été soumis à une pression psychologique interne terrible pour doper sa rémunération (il aurait souvent été rémunéré au variable en fonction du succès de sa mission) et pour l’évolution de sa carrière. Cette évolution favorable de sa situation aurait dépendu de la satisfaction de son client. Alors, foin du respect des règles : il aurait fait ce qui arrangeait le client, pour qui le respect de l’éthique de son sous-traitant aurait été le cadet de ses soucis.

L’accusation portait sur plusieurs points :

– Le cabinet aurait passé sous silence les malversations financières de Enron, ces transactions hors bilan visant à cacher des milliards de dettes et à réduire les résultats de $600 millions.

– Le cabinet aurait procédé à la destruction de documents papier et électronique relatifs à Enron après que l’associé Duncan, en charge du compte Enron à Houston, eut appris que la SEC, le gendarme de la Bourse, sollicitait des informations sur Enron. Un avocat de Duncan a déclaré à l’époque que son client suivait les instructions d’un avocat d’Andersen.

– Le cabinet aurait menti aux medias et aux autorités en se défaussant sur le bureau de Houston alors même qu’un juriste était descendu du siège de Chicago pour superviser la destruction de documents.

– Le cabinet était implicitement accusé de corruption. Presque tous les députés et sénateurs siégeant aux commissions d’enquête sur Enron – 212 sur 248 exactement – avaient perçu des contributions électorales du courtier failli ou d’Andersen.

Des conséquences dommageables

Avant même que l’entreprise ne disparaisse, les conséquences de l’affaire ont été immédiatement dommageables :

– au plan de l’entreprise : La chute de l’action a immédiatement réduit à néant les économies du personnel (plus d’un milliard de dollars) dont les comptes d’épargne étaient essentiellement constitués d’actions Enron. Dans le même temps, 29 hauts responsables du groupe ont commis des délits d’initié avant le dépôt de bilan et récolté des millions de dollars.

– pour le cabinet Andersen: Les conséquences commerciales ont également été brutales. Enron a rompu le contrat qui le liait à Andersen. En 2000, Andersen gagnait 1 million de dollars par semaine rien qu’avec le groupe de Houston.

Andersen a du faire face à des procès des actionnaires d’Enron totalisant plusieurs milliards de dollars, et les assurances n’ont pas suffit à couvrir les dédommagements.

Il est intéressant, dans l’étude de cette crise de noter que le patron du cabinet Andersen a immédiatement reconnu la perte de clients dés le déclenchement de l’affaire alors que les dirigeants français la niaient. 

En termes d’image, les manoeuvres d’Andersen pour redorer son blason ont fait long feu. Sa communication de crise et sa gestion de crise furent inadaptées. Il a fait publier début janvier dans les grands journaux américains une pleine page de publicité pour regagner la confiance du public mise à mal par la destruction de documents d’audit. Elle représentait un courrier du DG d’Andersen, Joseph Berardino, et dresse la liste des mesures prises. Parmi elles, le renvoi de David Duncan, pour la destruction des documents.

« Sans l’ombre d’un doute, il s’agit de l’épisode le plus difficile et du plus grand défi de l’histoire de notre entreprise » , écrivait Joseph Berardino.  « Le test ultime pour mesurer le caractère et la capacité de résistance d’une organisation réside dans sa manière de faire face à l’adversité, et dans quel état elle sort de ce genre d’expérience » , ajoutait-il.

– sur la profession : En Europe, l’Association des Assureurs Britanniques avait publiquement fait part de son inquiétude quant à la valeur du conseil professionnel par les « Big Five » aux sociétés cotées, et sur leur indépendance. Les Big Five touchaient alors en Grande-Bretagne pour 12 milliards de dollars de CA dans le conseil en 2001.

Les cabinets de conseil étaient ces dernières années le plus souvent regardés comme des cabinets prestigieux, écoutés des Dieux, des capitaines d’industrie et des princes. A coups d’études et de conseil stratégique, ils assénaient les grandes tendances du monde en devenir et annonçaient aux dirigeants de ce monde la marché à suivre. A peine si perçaient çà et là quelques critiques, souvent à fleurets mouchetés, sur des pratiques tarifaires exorbitantes et sur des lacunes de compétences.

Puis l’affaire Enron explosa, avec une série de révélations en chaîne, entraînant dans leur sillage les pratiques condamnables révélées par l’affaire Andersen. On a peu dit que Jeffrey Skilling, le Pdg d’Enron qui a tout conçu des différentes structures de filiales dans des paradis fiscaux, conçues pour faire apparaître un bénéfice comptable artificiel, était un ancien du cabinet de conseil en stratégie McKinsey. 

D’où la question : faut-il pointer un doigt accusateur sur une culture qui voue des associés à tout accepter du client, tant qu’il augmente le chiffre d’affaires du cabinet ou simplement incriminer des lacunes de management dues à la taille devenue trop grande du cabinet Andersen ? Cocasse pour une profession qui s’était faite une spécialité de faire et défaire les modes en termes de gestion des entreprises. Et nouvelle illustration du vieux principe, « cordonnier, le plus mal chaussé ».