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Les déontologues, face aux crises

Nombre de grandes entreprises se dotent de déontologues

Tous les deux mois environ, se réunissent à Paris les membres d’une confrérie aux contours variables. Secrétaire Général, responsibility manager, compliance officer, médiateur éthique, business practice officer…, leur qualification varie mais ils se regroupent sous l’appellation «déontologues d’entreprise».

Ils sont concernés par la plupart des dossiers médiatiques. Conflit d’intérêt, fraude, corruption, fuites de données, manquement à l’éthique des affaires ou à la réglementation, …. Ce genre d’affaire peut lourdement affecter l’efficacité d’une entreprise, ou écorner son image, sa réputation et sa valorisation en faisant éclater un scandale médiatique et un bad buzz numérique. Aux côtés des meilleurs experts en communication de crise, on retrouve de plus en plus souvent, en coulisses, les déontologues d’entreprises.

Echanger les expériences sur des cas concrets de risques potentiels et tenter ainsi de faire émerger le profil de ce métier. «Nous avons identifié 150 à 200 grandes entreprises françaises ayant un responsable des questions éthiques. Généralement des cadres ayant la confiance des dirigeants qui font cela à temps partiel. Mais nul ne sait encore définir précisément cette fonction» dit l’animateur de ce cercle des déontologues.

«Nous avons inventé le terme de déontologue car nous ne sommes pas dans le domaine de la morale mais dans ce qui touche à l’ensemble des règles d’une profession dans le monde de l’entreprise.» dit un déontologue.

Quand ils acceptent de parler aux journalistes, les déontologues livrent un discours très rodé sur les grandes valeurs de l’entreprise, sa volonté de rigueur commerciale… mais écartent l’évocation de cas concrets de crises traversées ou de risques pesant sur l’entreprise et ses dirigeants.

La diversité des profils des déontologues

Garde-fous. Un déontologue distingue trois catégories de déontologues.

D’abord, les déontologues du secteur financier : leur mission avait été rendue obligatoire par la loi de 1998. Une carte professionnelle sanctionnait à l’époque leur réussite à un examen.

Puis des cadres en fin de carrière, ex-dirigeants de filiale, qui sont choisis pour leur expérience acquise sur les lieux jugés les plus risqués, l’étranger généralement. Ils bénéficient de la reconnaissance de leurs collègues et d’un accès direct au plus haut niveau hiérarchique de l’entreprise.

Enfin, dernière catégorie très recherchée : les magistrats. On en compte plus d’une cinquantaine dans les grandes entreprises françaises. Certains ont une expérience en tant que juge au Tribunal de Commerce de Paris par exemple.

« Les entreprises éprouvent la nécessité de tels garde-fous, car elles redoutent plus que tout la dégradation de leur image, qui risque d’entraîner l’effondrement de leur cours boursier et de repousser les investisseurs. » analyse Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Fondateur de l’agence LaFrenchCom.

Une crainte réputationnelle alimentée par deux facteurs.

L’internationalisation des affaires

«Les entreprises, particulièrement les monopoles d’Etat devenus des groupes multinationaux concurrentiels, ont été brusquement engagées sur des marchés qu’elles connaissaient mal et confrontées aux exigences de transparence financière anglo-saxonnes, rappelle le communicant Julien Auffret, spécialiste de la gestion de crise et associé de l’agence LaFrenchCom. Quand vous avez 50 cultures et 50 légalités étatiques à gérer, le seul moyen d’unité, c’est un référentiel de valeurs déontologiques, de principes communs.»

Les Pots-de-vin

Autre grand stimulateur : le «plus jamais ça» éprouvé après les affaires juridico-financières qui ont entaché les grands groupes industriels.

A Suez, la fonction de déontologue date de 1994. «C’était, rappellait Patrick Ouart, directeur au secrétariat général, une réponse aux affaires politico-financières qui avaient défrayé la chronique autour de la Lyonnaise des eaux», condamnée pour avoir versé des pots-de-vin à des élus en échange de l’attribution des marchés.

A la SNCF, ce sont les déboires autour du TGV Nord ­ des cheminots mis en examen pour «recel d’abus de biens sociaux et corruption passive» ­ qui ont poussé le président Louis Gallois à créer, il y a trois ans, un service pour prévenir toute tentative de corruption ou de malversations dans la passation des marchés.

«Pour restaurer leur image, les groupes industriels ont mis en place des dispositifs chargés de les protéger et de faire savoir qu’une page était tournée dans les pratiques commerciales», souligne Florian Silnicki.

Les entreprises sont aussi confrontées à un changement idéologique qui pourrait se résumer grossièrement par « on ne peut plus faire n’importe quoi ». « Selon de récents sondages, deux tiers des Français se disent prêts à sanctionner les entreprises qui se comporteraient mal. » ajoute Julien Auffret.

Le profit de respectabilité

Alors, les managers ont mis en place un « appareillage déontologique » (programmes anticorruption, charte éthique, codes de conduite…) destiné à gérer le risque de réputation, à accroître ce que l’agence LaFrenchCom, l’une des références de la communication de crise en France, nomme le « profit de respectabilité » de l’entreprise.

« L’entreprise gagne à être reconnue plus vertueuse. Bon nombre de managers ont pressenti qu’au-delà de la préservation de la réputation de l’entreprise, il y a aussi un moyen de se différencier. Plus la réputation est bonne, plus on génère un profit de respectabilité. On intéresse plus encore les fonds d’investissement, les actionnaires. »

Aucune philanthropie donc dans la démarche «déontologique» des entreprises. Florian Silnicki évoque même « un nouveau stade de développement du capitalisme, plus efficace car plus soucieux de sa responsabilité économique, environnementale et sociale ».

En tous cas, l’observation de l’indice américain Domini Impact International Equity Fund Institutional Shares qui cote les entreprises selon des valeurs éthiques montre que les mieux cotées dans ce domaine sont aussi celles qui ont les meilleurs résultats financiers. Qui s’en plaindrait ?