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Les marques dans le bourbier de la guerre en UkraineCommunication politiqueLes marques dans le bourbier de la guerre en Ukraine

Les marques dans le bourbier de la guerre en Ukraine

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En juillet 2022, cinq mois après le début de la guerre en Ukraine, une minutieuse étude menée par l’équipe de Jeffrey A. Sonnenfeld de Yale School of Management dénombrait plus de 1000 entreprises s’étant prononcées sur l’arrêt complet ou partiel de leurs activités en Russie. Au début du conflit russo-ukrainien, elles n’étaient spontanément qu’une douzaine à s’être engagées. Ce basculement et l’ampleur de la réponse interpelle.

Rester ou partir de Russie : le dilemme des entreprises françaises

Une entreprise doit-elle réellement quitter la Russie pour respecter ses engagements de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) ?

Rester, est-il nécessairement la preuve qu’une entreprise se désintéresse des vies humaines en jeu ? La réponse n’est pas si simple.

Tiraillées sur la question du respect de « l’impact », les entreprises se sont vite retrouvées assaillies de commentaires acerbes et de critiques acides. On peut attribuer à la communication politique savamment articulée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le départ de certains grands groupes. En durcissant son ton, celui-ci n’a pas hésité à utiliser la stratégie du « naming by shaming » lors de son discours devant le Parlement français le 23 mars 2022. Les entreprises Leroy Merlin, Decathlon, Auchan, TotalEnergies et Renault étaient notamment visées. Leur communication corporate en a souffert.

« Renault, Auchan, Leroy-Merlin doivent cesser d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie, arrêter de financer le meurtre d’enfants et de femmes, les viols. » (Le Monde, 24 mars 2022).

Le lendemain, Renault annonçait son départ de Russie, bien que ce pays représentait son deuxième marché mondial après l’Europe.

D’autres, à l’instar de Leroy Merlin ou Auchan, firent le choix de rester. Ce positionnement assumé des entreprises sous des prétextes de « vies humaines » – celles des employés et de leurs clients – a provoqué une déferlante de messages offensifs d’activistes sur les réseaux sociaux. Ces entreprises furent accusées de « purpose washing », de manquer de morale et d’éthique.

Rappelons-le, la RSE vise à promouvoir des comportements plus éthiques et durables au sein des entreprises. Or, celle-ci s’est invitée au débat, que ce soit par les annonces des entreprises explicitant leur position sur la guerre en Ukraine ou à travers les opinions personnelles exprimées par les internautes sur les réseaux sociaux comme Twitter ou Meta.

Si certaines entreprises, à l’instar des géants pétroliers Shell et BP, ont fini par quitter la Russie pour éviter des sanctions de leur gouvernement, la France, elle, ne sanctionnait pas les sociétés françaises. Le gouvernement avait même réagi face à l’annonce du départ de Renault en soulignant que cette décision ne découlait pas d’une demande gouvernementale.

Dans ce cas, stratégiquement, pourquoi partir ?

La RSE et le risque réputationnel au coeur du conflit russo-ukrainien

Un mot : réputation.

Véritable outil de communication pour valoriser les engagements sociétaux et environnementaux d’une entreprise, les crises liées au sujet de l’impact peuvent être très coûteuses.

Le risque réputationnel peut rapidement entraîner la baisse des cours de bourse et le boycott des produits ou services commercialisés par l’entreprise.

Selon une enquête du cabinet d’analyses anglais Global Data, réalisé plus d’un mois après le début du conflit, la guerre a fait son apparition dans les critères des consommateurs aux côtés des préoccupations environnementales et du bien-être des employés. Plus de 40% se disaient ainsi prêts à boycotter une marque si celle-ci ne prenait pas de décision ferme sur l’arrêt de ses activités en Russie.

Les entreprises occidentales font donc face à un dilemme moral. Rester, c’était donner l’impression qu’elles se détournaient de la souffrance ukrainienne et acceptaient l’invasion russe. Partir, c’était délaisser les employés sur place sans compter des actifs et des infrastructures qui seraient très certainement immédiatement nationalisés. Ces actifs pouvant, rappela Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, financer l’effort de guerre russe, que ce départ était censé combattre !

Les réponses des entreprises continuent de diviser. Difficile de distinguer l’engagement réel de certaines et l’opportunisme des autres. Le pire fut d’annoncer se désengager économiquement de la Russie sans que cela ne soit suivi d’effet.

Lors des précédents conflits armés, l’engagement des entreprises ne fut pas aussi fort. Des marques ont ainsi subi des appels au boycott ponctuels comme celui en faveur de la cause du peuple Ouïghours en Chine mettant en cause plus de 80 marques internationales. Nike, Adidas, H&M… ont ainsi été prises dans la tourmente subissant les foudres chinoises, après leurs boycotts du coton du Xinjiang sur fond d’allégations de « travail forcé » de musulmans.

Le désengagement en Russie signifie-t-il que les entreprises doivent se désengager de toutes les zones de conflits ? La politique RSE des entreprises les guident-elle efficacement quand il n’existe ni lignes directrices internationales ni demandes explicites gouvernementales ?

Ce conflit aura illustré une nouvelle fois l’entremêlement de la RSE et de la situation géopolitique. Les entreprises françaises auparavant frileuses sur le fait de se positionner, devront se doter d’une politique RSE  intégrant cette question sensible afin de protéger leur image de marque et la réputation de leurs dirigeants.