Florian Silnicki, Fondateur de l’agence LaFrenchCom est interrogé par Le Parisien sur la stratégie de communication de crise d’Auchan après les révélations du Journal Le Monde l’accusant de participer à l’effort de guerre russe.
Auchan soupçonné de participer à l’effort de guerre russe : les clients restent fidèles… pour l’instant
Par Aurélie Lebelle
Émilie hésite entre deux pulls, les positionne l’un après l’autre devant elle et attend l’avis de son conjoint, dubitatif. Dans le rayon vêtements pour femme du supermarché Auchan de Soisy-sous-Montmorency (Val-d’Oise), on échappe quelques instants à l’effervescence de ce samedi après-midi, aux caddies bondés, aux files d’attente à la caisse, aux enfants qui chouinent, impatients de rentrer. « On vient toujours ici car on habite à côté, se justifie la trentenaire, timidement. On a la carte fidélité, vous savez. » Voilà plus de cinq ans qu’ils « cumulent des points » à Auchan. Pas question de changer d’enseigne.
Tant pis pour les récentes révélations d’un article du Monde, réalisé avec le site d’investigation The Insider et l’ONG Bellingcat, dans lequel on apprend que la chaîne de supermarchés – qui a fait le choix de rester en Russie malgré le conflit avec l’Ukraine– aurait livré gratuitement des marchandises à l’armée russe. Et si Auchan Retail « dément catégoriquement » ces informations dans un communiqué de presse, elles pourraient toutefois venir entacher la réputation de l’enseigne auprès des consommateurs en France.
« Rester en Russie est un choix politique »
« Je n’en ai pas entendu parler, glisse toutefois Émilie. Après, les entreprises font du business avant tout… Mais c’est vrai que ce n’est pas normal. » Dans les rayons, la plupart des clients partagent son avis. « Quand Renault est rentrée (en se séparant de sa filiale en Russie AvtoVAZ), j’ai trouvé ça patriotique, lance cependant Jacques, retraité. Auchan aurait dû faire la même chose. J’ai entendu cette histoire de livraison gratuite de produits sur le front et ça m’a révolté. Mais moi, j’ai 72 ans et je viens à pied faire mes emplettes, donc je ne vais pas changer de crémerie à cause de ça. »
Liliane non plus. « Ça ne m’intéresse pas », tacle cette mère de famille, en poussant son panier. « J’ai lu l’article sur les réseaux sociaux, l’interrompt son adolescente, lui rappelant que toute la famille a participé à des collectes alimentaires en faveur de l’Ukraine, il y a quelques mois de cela. C’est abusé ce qu’Auchan fait en Russie ! Les parents d’une de mes copines ont décidé de boycotter. Je trouve ça bien… » C’est aussi le cas de la soeur de Pierre, croisé au rayon poissonnerie : « Sur le fond, elle a raison, je devrais faire comme elle. Mais j’avoue aller au plus simple pour mes courses, même si je me sens un peu coupable. »
Les consommateurs risquent-ils, à terme, de faire payer ces révélations à Auchan ?
Il est vrai, déjà, que les appels au boycott et les commentaires accusateurs se multiplient sur les réseaux sociaux. « Cela me paraissait déjà kamikaze pour une entreprise française de rester en Russie au début de la guerre mais les dommages à long terme seront catastrophiques pour Auchan, assure Florian Silnicki, le fondateur de LaFrenchCom, une agence spécialisée dans la communication de crise. Aujourd’hui, aux yeux de l’opinion publique, vous êtes soit un ennemi, soit un allié; un collaborateur ou un résistant. Une entreprise est obligée de prendre position. Rester en Russie, c’est un choix politique. Cette affaire va enfoncer le clou et nuire gravement à la réputation d’Auchan. »
Et à son porte-monnaie ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais en maintenant sa présence en Russie – ainsi qu’en Ukraine – la famille Mulliez (également propriétaire des enseignes Decathlon et Leroy Merlin) a aussi protégé une partie non négligeable de son chiffre d’affaires. Au 30 juin 2022, selon la documentation financière du groupe, Auchan comptait 230 magasins en Russie et 42 en Ukraine. Ces deux pays avaient généré, en 2021, « environ 12 % du chiffre d’affaires » du groupe, soit près de 3,6 milliards d’euros.
« Une ONG pourrait porter plainte pour complicité de crimes de guerre »
« Il est évident qu’un groupe comme Auchan ne pouvait pas fermer tous ses magasins du jour au lendemain, comme l’a fait McDonald’s qui fonctionne avec des franchisés, poursuit Florian Silnicki. Mais le prix à payer, en choisissant de rester, leur coûtera très cher. Si cela ne passe pas par le boycott des consommateurs, le risque viendra des investisseurs. Aujourd’hui, les financeurs exigent, au-delà des performances financières, des gages environnementaux, sociaux, sociétaux… Le choix d’Auchan aura un impact sur le taux de son crédit ! Sans compter qu’une réputation en berne c’est, pour plus d’une entreprise sur cinq, une capitalisation boursière en chute libre. »
Pour l’instant, le cours d’Auchan se maintient à 99,62 euros, en baisse de seulement 2,44 % depuis un an. L’enquête du Monde et les propos du chef de la diplomatie ukrainienne, accusant Auchan d’être « une arme à part entière de l’agression russe », n’ont pas déstabilisé le titre. « Tout cela pourrait toutefois avoir des conséquences judiciaires en France, glisse un avocat d’un grand cabinet d’affaires parisien. Une ONG pourrait porter plainte pour complicité de crimes de guerre. Cela ouvrirait une enquête qui, peut-être, ne déboucherait sur rien de concret mais pourrait entacher l’image d’Auchan dans l’opinion publique. »
Le communiqué de presse d’Auchan Retail à propos de la guerre russe en Ukraine