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«Ras-le-bol» des numéros verts : mais pourquoi y en a-t-il autant ?

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Par Juliette Pousson

« Ras-le-bol des numéros verts dans tous les sens. » La diatribe du président Emmanuel Macron, formulée jeudi devant des boulangers réunis pour entendre ses propositions d’aides sur les coûts de l’énergie, a pu surprendre, tant ces lignes téléphoniques étatiques -qui « ne marchent pas », selon les mots du chef de l’État- étaient devenues un marqueur de son premier quinquennat.

Numéro vert sur la canicule, sur les punaises de lit, pour prévenir les suicides dans la police ou encore à destination des étudiants précaires… Depuis 2017, les différents gouvernements ont mis en place une multitude de plates-formes téléphoniques pour répondre à des sujets de société. Et la crise sanitaire en a rajouté : un 0800 pour les informations sur le coronavirus, un autre pour trouver un centre de vaccination, un autre pour le même objectif mais réservé aux plus de 80 ans, un 08 pour les salariés en télétravailen difficulté -ce dernier n’existe plus aujourd’hui.

Pour combien de temps encore ? « Il y a le bon numéro vert et le mauvais numéro vert », a reconnu ce vendredi le porte-parole du gouvernement Olivier Véran. Créer un numéro vert pour accompagner tout dispositif gouvernemental est « probablement un réflexe qu’il nous faut perdre », a-t-il ainsi admis sur RMC-BFMTV. Jeudi, le président de la République avait lui-même indiqué avoir testé un numéro destiné aux entreprises en difficulté. « Ça ne marche pas », avait-il déploré, disant vouloir renforcer les standards des préfectures.

« Un numéro vert, ce n’est pas un numéro d’urgence ! »

La création de numéros verts était pourtant devenue un symbole de la gestion de crise gouvernementale. « On a eu Sarkozy qui faisait un fait divers, une loi, Hollande avec un problème, une commissionet maintenant on a cette démultiplication de l’utilisation des numéros verts », souligne Christel Bertrand, consultante en communication politique. « Emmanuel Macron, c’est le président des numéros verts », abonde Florian Silnicki, fondateur de LaFrenchCom, une agence de communication de crise portée sur le numérique.

Facile à mettre en place, indispensable pour toucher un maximum de personnes, cet outil « permet d’occuper le devant de la scène politique », estime le spécialiste. Christel Bertrand, elle, y voit une « une façon de dire aux gens en détresse qu’on est à leur écoute ». Mais, « comme un boomerang, ça se retourne souvent contre ceux qui l’ont lancé, reprend Florian Silnicki : ce qui est censé incarner une réponse politique se révèle être un reflet de l’inefficacité d’une action politique. »

Le problème, selon ces deux spécialistes, c’est que le gouvernement a détourné l’usage du numéro vert -à la base créé dans un but marketing afin d’améliorer l’image des entreprises- en une stratégie de gestion de crise. « Un numéro vert, ce n’est pas un numéro d’urgence ! » rappelle Christel Bertrand. « Au bout du fil, on peut avoir des personnes employées par des plates-formes privées qui ne sont pas forcément spécialistes des questions dont elles sont censées avoir les réponses. On est vite renvoyé vers un autre numéro, ou un site. »

Frustration pour l’appelant

Un manque de documentation, ou de préparation, qui peut frustrer l’appelant. Ou pire : « Parfois des conseils prodigués ont pu être en contradiction avec les recommandations officielles », prévient Florian Silnicki, qui l’a lui-même constaté au début de la pandémie de Covid. Christel Bertrand, de son côté, cite en exemple le fiasco du numéro vert lancé en 2019 une semaine après l’incendie de l’usine Lubrizol, pour répondre aux inquiétudes des habitants. Près de 91 % des participants ayant fait appel à ce numéro s’étaient déclarés « insatisfaits », selon un rapportd’une mission d’information de l’Assemblée nationale.

« Tous les numéros verts ne se valent pas », concède Florian Silnicki. Olivier Véran l’a d’ailleurs affirmé ce vendredi matin : certains numéros, comme celui de la prévention du suicide (3114) ou celui des violences conjugales (3919), sont reconnus pour leur utilité et « sauvent des vies ». À noter que tous deux sont des numéros à quatre chiffres, bien plus faciles à retenir que ceux à dix chiffres commençant par 08. « Même s’il est fonctionnel, un numéro vert ne reste qu’un outil, insiste Florian Silnicki. Ce n’est jamais une stratégie de gestion de crise en tant que tel s’il n’est pas accompagné par d’autres outils. »