Le féminisme, nouveau graal de la pub ?
Oubliez la ménagère bonne à faire la vaisselle : la nouvelle déesse de la pub, c’est la femme forte, qui se joue des stéréotypes et a crevé le plafond de verre. Comment la com’ a-t-elle mis la main sur le féminisme ? Décryptage. PAR VALENTINE FAURE
Jadis, la pub était décriée pour la vision sexiste qu’elle donnait des femmes, juste bonnes à repasser le linge ou à se dénuder pour vendre n’importe quoi. C’était toujours « au nom du glamour et de l’humour », comme le rappelle Marie-Noëlle Bas, des Chiennes de garde. Mais la pub a remis ses pendules à l’heure. Mieux : elle a décidé d’embrasser le discours féministe. Alors, on nous montre des femmes fortes. Always et son spot « #like a girl », qui montre des femmes courir comme des cruches parce qu’on leur a demandé de courir « comme une fille », puis des petites filles faire les mêmes gestes avec assurance (moralité: c’est à l’adolescence que faire les choses « comme une fille » devient une insulte.)
Pub et féminisme : décryptage d’une pratique qui génère le buzz
Il y a aussi Pantene qui exhorte les femmes à être « not sorry » (arrêter de s’excuser sans arrêt). Mais aussi des marques pas spécialement destinées à la gent féminine, comme l’opérateur téléphonique Verizon, dont la pub enjoint les filles à embrasser les carrières scientifiques, Google qui occupe le terrain du codage au féminin, ou la marque Decathlon avec son slogan « tout le monde a le droit de jouer » (au foot, évidemment). Bref, la pub s’est mise à « l’empowerment », comprendre: l’émancipation. Logique: les femmes qui détenaient les cordons de la bourse des achats ménagers, ont étendu leur pouvoir à presque tous les domaines. En outre, le succès d’une pub peut maintenant se mesurer à son degré de viralité.
Les campagnes Pantene (1), Verizon (2) et Always (3) bien compris qu’il y avait une opportunité de générer du buzz, poursuit-il, c’est une aubaine pour leur image et beaucoup moins cher qu’une campagne télé. » Et ça marche : les spots susnommés comptent parmi les succès viraux 2014 (57 millions de vues pour Always, 15 millions pour Pantene). A condition de ne pas faire n’importe quoi : « La pub Pantene a été plus mal perçue, poursuit Benjamin Smadja, parce qu’elle disait qu’avoir des cheveux brillants, ça permet d’avoir confiance en soi et donc de réussir dans l’entreprise. L’intention était louable, mais le lien entre cheveux brillants et estime de soi, c’était compliqué. »
Une communication GAGNANTE-GAGNANTE ?
« Ces campagnes sont liées au boom des réseaux sociaux. Les marques ont compris qu’il y avait une opportunité de générer du buzz. C’est une aubaine pour leur image et beaucoup moins cher qu’une campagne télé. »
Car les femmes sont plus actives sur le Net que les hommes: elles représentent 58% des membres de Facebook, ont 8% d’amis en plus, et totalisent 62 % des partages. « Ces campagnes sont liées au boom des réseaux sociaux, confirme Benjamin Smadja, directeur marketing d’Aufeminin.com, et éditeur du blog Womenology.fr. Tout ce qui concerne le féminisme, le sexisme, les gens s’en emparent, ils ont envie d’exprimer leur opinion là-dessus. »
Le magazine Forbes a déclaré 2014 l’année du « hashtag activism » sur les questions qui concernent les femmes et les filles grâce aux mouvements viraux comme Lean In, I Am Malala, ou Bring Back Our Girls. « Les marques ont Le pionnier du « femvertising » (contraction de « feminism » et «advertising») fut Dove, qui depuis des années utilise des femmes «normales» pour ses campagnes. Et pour conserver son train d’avance, la marque a mis le paquet, en produisant un genre de faux documentaire qui met en scène des femmes devant deux portes, sous des inscriptions « average » (moyenne) et «beautiful», et qui, de façon fort opportune pour le plan de com’ de Dove, choisissent à 96 % la première. Autre vidéo de la même marque devenue virale : des femmes se décrivent à un dessinateur qui dresse leur portrait, puis des inconnues décrivent ces mêmes femmes au même dessinateur. Et bien sûr, le dessin fait d’après leur description d’elle-même est bien moins flatteur que l’autre. Résultat : des centaines de millions de vues, une hausse significative des ventes et des récompenses à la pelle pour ces spots déguisés en expériences sociales qui ont suscité leur lot d’agacement et de parodies, au motif que ce type de communication reconduit un cliché et fait de son fonds de commerce le manque de confiance des femmes. En effet, Dove serait bien embêté si d’un coup les femmes se mettaient à se sentir « beautiful ».
Car si ça marche pour les marques, le femvertising est-il bon pour les femmes ? « Les études montrent que les publicités sexistes contribuent aux sexismes. Je pense que tout ce qui concourt à déconstruire les stéréotypes est bon », juge Marie-Noëlle Bas, des Chiennes de garde. Bien sûr, on peut aussi reprocher au femvertising de vouloir surfer sur la vague de l’empowerment, voire de véhiculer une fausse image des femmes. Ainsi cette pub SFR montrant une patronne qui gère son foyer à distance depuis sa réunion qui s’éternise. « Bien sûr les femmes ne sont pas toutes chefs d’entreprise, il n’y en a qu’une sur 39 hommes au Cac 40, poursuit Marie-Noëlle Bas. C’est ce que nous répond l’ARPP [l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, NDLR] : “Nous n’avons pas à être précurseurs, à pousser une sociologie et anticiper les droits des femmes s’ils n’existent pas.” Et c’est la raison pour laquelle on continue à montrer des femmes avec des aspirateurs. Mais le sexisme ne marche pas : les consommateurs ont de plus « On voit de plus en plus de marques tentées de s’investir dans le débat social parce que les consommateurs attendent d’elles qu’elles soient responsables. Mais il faut que ce soit en adéquation avec le produit. »
Une ÉTHIQUE moins toc ?
Florian Silnicki, spécialiste en communication de crise et fondateur de l’agence de communication LaFrenchCom, qui «récupère souvent les labels qui se sont mis à dos une communauté», confirme: «On voit de plus en plus de marques tentées de s’investir dans le débat social parce que les consommateurs attendent d’elles qu’elles soient responsables. Mais dès lors que vous faites une pub dans cet esprit-là, vous créez des attentes, des espoirs, il faut que ce soit en adéquation avec votre produit, votre univers. » Le discours doit être cohérent : « Decathlon ne peut plus proposer des coupe-vent bleus pour les garçons et roses pour les filles. » Car ces pubs féministes arrivent alors qu’on observe une recrudescence de pubs sexistes (Eden Park, Sport 2000, Numericable ou Cuir Center). Un phénomène miroir du «femvertising», puisqu’il compte aussi sur la mobilisation des réseaux sociaux, mais cette fois sur leur indignation. Ainsi ce film pour la marque Parisian Gentleman montrant des femmes faisant des « trucs de mec » (comme péter dans le bain).
On croirait un appel à la transgression, un pur produit femvertising… jusqu’au slogan «un monde sans gentlemen est un monde sans ladies ». La route est encore longue.