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La manipulation, c’est notamment une branche de la prestidigitation. C’est aussi, au hasard des dictionnaires, une manoeuvre malhonnête ou une entreprise occulte exercée sur un groupe en vue de l’influencer. C’est surtout, en ces temps obliques où l’on pense en biais, le mot péjoratif pour désigner la vache sacrée de la communication .
Analyse d’une critique de la communication
Je n’aurais rien de particulier à lui reprocher, à cette com. qui fait les dir.com. et les point.com. de l’internet, si elle se tenait à sa place.
Mais le moins qu’on puisse en dire est qu’elle est envahissante. Par fonction, elle phagocyte, corrompt et dénature tout ce qu’elle touche. Et notamment l’information , une fonction sociale essentielle pour laquelle j’avoue avoir une faiblesse.
En effet la communication, c’est l’ensemble des techniques médiatiques utilisées – en particulier dans la publicité, les médias, la politique, etc. – pour influencer l’opinion publique en vue de promouvoir ou d’entretenir une image.
C’est donc elle, la com., ses assujettis et ses officiers traitants, qui fait que des pans entiers de notre société fonctionnent dans le leurre et la mystification.
C’est elle, par exemple, qui soutint le mensonge espagnol au sein duquel m’effara la roide Ana Palacio, mi-anguleuse, mi-andalouse, qui figura excellemment la duchesse d’Albuquerque dans Ruy Blas : « Je suis camerera mayor et je remplis ma charge ! (Acte 2, scène I) ».
C’est elle encore, la communication, qui convoqua à Ostende le ban et l’arrière ban de notre gouvernement sur le cuisse-tax’. Estimant sans doute qu’il suffisait de disposer sur un éventaire marin tout ce qui était fait ou à faire, à défaire ou à refaire – avec en surimpression les chevaux de la mer Écolos et CDH qui fonçaient la tête la première et qui fracassaient leurs crinières devant le Casino désert – pour ébaubir le citoyen chaland.
C’est elle enfin qui nous permit de lire dans un grand quotidien français ce titre assurément indécent : Paris-Match a choisi la famille Trintignant, Gala et VSD donnent la parole à la famille Cantat ! Et quel était le score à la mi-temps ?
Je n’ai vraiment pas le coeur à joindre à ce qui précède une allusion au procès Dutroux, lequel devrait nous étreindre en silence. Mais tout de même, qu’est-ce donc que ces quotidiennes apparitions de certains avocats testant, avec gestes et intonations, des morceaux de plaidoiries futures ? Et pour ce faire mimant en alternance, comme à l’Actor’s Studio, l’indignation, la rouerie ou la pugnacité ? Qu’est-ce, sinon une grossière communication judiciaire là où elle n’a vraiment pas sa place, c’est-à-dire aux portes du prétoire ? Certes, les journalistes ne sont pas blanc-bleu dans ces diverses dérives. Leur complaisance ou leur résignation face aux plans media encourage les empiétements des communicants. Et la conférence de presse devient un peu trop souvent, dans des secteurs entiers du journalisme, le substitut de l’investigation et de la vérification. Comme le dit à peu près la chanson, si quand les uns avancent les autres reculent, n’est-il pas normal qu’on nous manipule ?
Tout petit bruit, en revanche, sans les tocsins et les cornes de brume qui signalent les grandes indignations marchantes, pour les prisonniers d’opinion à Cuba.
Car décidément quand on marche à gauche, quand on lève un poing prolétaire ou sénatorial et qu’on embouche le porte-voix, il faut soigneusement distinguer entre les dictatures dégueulasses et les autres. Et Cuba est apparemment à ranger parmi les autres.
Donc, cela se passe au Parlement européen, à Bruxelles. On y annonce que le Prix Mondial de la Liberté de la Presse a été attribué par l’Unesco à M. Paul Ribero, prisonnier d’opinion, condamné à vingt ans de prison par Fidel Castro déguisé en juge.
Qu’Oswaldo Paya, Prix Sakharov 2002 et dissident cubain n’a même pas pu se rendre à Bruxelles pour témoigner, retenu par M. Fidel Castro déguisé en garde frontière.
Que Mme Beatriz Roque, économiste cubaine – vingt ans à tirer, elle aussi – et dont on parlera davantage, sans doute, quand elle sera Prix Nobel de la Paix, est gravement malade mais soignée par M. Fidel Castro déguisé en infirmier.
Ces cas particuliers sont emblématiques. Pour le reste, le monde entier sait qu’à Cuba c’est par charrettes qu’on envoie les dissidents en prison. C’est par grappes qu’on humilie les homosexuels. C’est en les baillonnant qu’on étouffe les voix des journalistes.
Bref, que la petite île parfumée, si longtemps symbole d’une lutte héroïque contre l’impérialisme, illusion lyrique célébrée par Sartre et chantée par Jean Ferrat et qui fit tourner la tête et le coeur de quelques générations chaleureusement progressistes , n’est plus aujourd’hui qu’une dictature pétrifiée, avec à sa tête une icône moisie.
Le dire, même en y mettant davantage de formes, évoquer Amnesty International qui a adopté plusieurs des prisonniers de conscience qui croupissent dans les geôles cubaines, citer Vaclav Havel, Bronislav Geremek, dissidents d’hier, Hélène Passtoors qui fut prisonnière d’opinion en Afrique du Sud, José Sarramago, communiste et prix Nobel de littérature et tant d’autres est, semble-t-il, incorrect et en tout cas suspect.
Notamment parce que le dire – cela a encore été clamé à Bruxelles, face à M. Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières – c’est « faire le jeu des États-Unis » !
Et voilà. Revoici donc Billancourt qu’il ne faut pas désespérer. Et le bébé qu’il ne faut surtout pas jeter avec l’eau du bain. Et la vérité, qui, loin d’être révolutionnaire est parfois mauvaise à dire. Et toutes ces couleuvres qu’il faut déglutir, aujourd’hui comme avant-hier, cependant que l’histoire, imperturbablement, repasse les plats.
Résultat ? Infime petit bruit dans les rues de Bruxelles. Et une Europe un peu sourde qui entend mal Geremek dire une chose toute simple, poignante, et peu susceptible de faire le jeu de quelqu’un. Il fit : « Je sais ce que c’est quand un signe de solidarité arrive dans une cellule où l’on est condamné à la solitude ».
Une des rares parades à l’accablement que provoquent les régimes répressifs reste le rire. Il est d’ailleurs à juste titre interdit dans toutes les dictatures et, par conséquent, pratiqué par toutes les dissidences. Figaro qui était, on s’en souvient, un subversif, se pressait de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer.
Alors, rions un peu. Et d’abord avec ce dialogue, dûment enregistré avant quelques consultations électorales récentes, entre deux futurs ex-Premiers Ministres :
– Jean-Pierre Raffarin : Notre modèle, en France, c’est le Parti Populaire espagnol
– José-Maria Aznar : « Le modèle que vous choisissez aujourd’hui, marche !
Il y a aussi cette curieuse formule du Premier ministre du Luxembourg, M. Jean-Claude Juncker, interrogé sur une éventuelle relance de l’Union européenne à laquelle contribueraient les socialistes espagnols : Les gouvernements socialistes que j’ai connus pendant douze ans n’avaient pas a priori avec l’Europe une relation plus érotique que les gouvernements conservateurs . Dommage.
Et enfin, puisqu’il est admis que l’on peut rire de tout du moment que ce n’est pas avec n’importe qui, il y a le dessin de Charb dans Charlie Hebdo qui représente une chaise roulante disloquée avec cette légende : « Régionales à Gaza : Cheikh Yassine perd son siège » .
On peut gager que ceux qui hurlaient de rire en entendant Dieudonné, le bras tendu, éructer « IsraHeil ! » vont derechef se tenir les côtes. Pas les mêmes ? Ah bon ? Vous croyez ?·
Yvon Toussaint est écrivain et journaliste, ancien directeur-rédacteur en chef du « Soir ». Dernier roman : « Le manuscrit de la Giudecca » (Le livre de poche).