La stratégie du silence en communication sociale
Etre à la tête d’une entreprise et opter pour un mutisme au moins provisoire en cas de crise : l’idée ne séduit pas vraiment ceux qui réfléchissent aux problèmes de communication sociale interne.
“Quand il y a des mécontents, comment refuser le dialogue ? Il faut bien s’informer sur ce qu’ils veulent et discuter avec eux des solutions possibles“, s’étonne Jacques Bille, directeur de l’Association des agences de conseil en communication (AACC).
PDG de la RATP, Jean-Paul Bailly ne refuserait certainement pas de contresigner une telle déclaration. Et pourtant, lors de la grande grève de son entreprise en novembre et décembre 1995, il s’est fait remarquer par son silence. Aujourd’hui, de nouveau, il opte pour le silence : inutile d’insister, il ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet. Pour les responsables syndicaux, il est clair que cette attitude est à relier à une donnée de base du conflit : les salariés s’opposaient non pas tant à leur direction qu’au gouvernement et à son projet de réforme qui menaçait de réduire leurs droits en matière de retraite et de protection sociale.
“En se taisant, explique Jean Pruchon, secrétaire général CGT à la RATP, il laissait les salariés se polariser sur le seul plan Juppé alors que le mécontentement interne avait été suffisamment fort pendant toute l’année 1995 pour déclencher plusieurs journées de grève“. Une fois pourtant, vers le milieu du conflit, Jean-Paul Bailly a pris la parole face aux responsables syndicaux. “Il nous a expliqué le point de vue gouvernemental, l’impossibilité d’en rester à la situation actuelle en matière de protection sociale. Puis il a demandé de reprendre le travail. Sur l’entreprise elle-même, il n’a pas dit un mot.”
La concertation préalable à la stratégie du silence en communication de crise ?
Resté ainsi en quelque sorte au-dessus de la mêlée par son silence, le PDG est sorti indemne de la bataille de communication.
Suffisamment solide pour se lancer dans une politique de négociations très active débouchant, dès février, sur un contrat salarial, puis sur un protocole en matière d’emploi (“Génération solidaire”) et, enfin, sur un accord en ce qui concerne le dialogue social avec modification du droit syndical. Le silence en pleine crise semble donc avoir été une politique de communication habile. Etait-ce une attitude stratégique comme communication ? Jean Pruchon ne le croit pas : “Il a saisi une opportunité. Rien de plus. Dans d’autres circonstances, il aurait réagi différemment.”
D’ailleurs, la politique de négociations dans laquelle Jean-Paul Bailly s’est lancé est une façon de rendre son importance à la parole. Mais dans un contexte d’échange : “Quand, après le conflit, nous en sommes revenus aux problèmes internes, raconte Jean-François Llos, secrétaire général du Syndicat autonome, les premières discussions nous ont donné le sentiment d’être mieux écoutés qu’auparavant. Je crois que cette grève a marqué notre PDG. Il a compris que les problèmes internes pouvaient, eux aussi, déclencher un mouvement de grande ampleur. Et nous avons vu son comportement se modifier“.
Jean-François Llos souligne l’importance accordée à la parole dans l’accord de mai 1996 sur le droit syndical : “Ses dispositions mettent l’accent sur la communication corporate, la transparence. Nous avons voulu en finir avec une situation où les dossiers de restructuration nous arrivaient bouclés, prêts à l’application, sans concertation préalable; où, pour nous faire entendre, nous sommes obligés d’en venir au conflit. Désormais, dans ces domaines, nous sommes soumis à de nouvelles obligations; mais l’entreprise, elle aussi, a pris des engagements“.
La parole, pourtant, a ses limites : “Nous sommes les premiers, poursuit le syndicaliste, à inciter la direction à ne pas trop s’exprimer à l’extérieur. Car là où nous parlons d’amélioration du dialogue social, les médias traduisent “limitation du droit de grève”. Et c’est faux.“