Les réseaux sociaux et la communication de crise

target crise

Analyse de la communication de crise de la marque Target prise pour cible sur les réseaux sociaux

Quand une étincelle sur les réseaux sociaux provoque une explosion dans les médias traditionnels : quelle communication de crise adopter ?

L’objectif de ce billet est de :

  • analyser comment les professionnels des relations publiques et de la communication peuvent gérer au mieux les crises sur les réseaux sociaux, qui attirent fortement l’attention des médias traditionnels
  • étudier l’importance croissante des réseaux sociaux en tant que sources d’informations pour les médias traditionnels et les conséquences pour les responsables de la communication de toute couverture médiatique négative générée par les réseaux sociaux
  • examiner la valeur médiatique et les habitudes des journalistes, et comprendre comment ceux-ci peuvent amplifier ou dissiper une crise sur les réseaux sociaux
  • définir des stratégies pour faire face à une crise sur les réseaux sociaux et communiquer efficacement avec les médias traditionnels

Les entreprises doivent aujourd’hui prévoir qu’un commentaire furieux sur Facebook est susceptible de provoquer un débat national dans les médias traditionnels, ou qu’un déluge de commentaires négatifs sur une vidéo publiée sur YouTube se retrouvera aux émissions de télévision du matin.

Etre capable d’identifier la valeur médiatique d’un commentaire sur un forum et savoir comment et pourquoi les médias d’information réagissent peut aider les communicants à gérer efficacement de telles crises. Pour cela, il faut comprendre et respecter le point de vue des journalistes et les normes et valeurs qui guident leur travail insiste Florian Silnicki, expert en communication de crise et Fondateur de l’agence LaFrenchCom. Avoir de bonnes relations avec les journalistes, comprendre les cycles des informations et avoir un programme proactif de relations publiques sont des principes importants de la gestion de crise et permettent de s’assurer que les organisations sont prêtes à gérer ces scénarios naissants dans le cadre du contexte médiatique. La manière dont la crise sur les réseaux sociaux sera gérée aura un impact sur la perception que les gens auront de la marque et l’organisation.

Ce billet étudie ces problématiques via l’exemple de la crise médiatique à laquelle a été confronté le distributeur australien Target en 2012, concernant des vêtements pour les filles âgées de 7 à 14 ans. La controverse est née d’un commentaire publié par une mère sur la page Facebook de l’entreprise, demandant que soient vendus des vêtements qui ne fassent pas ressembler les petites filles « à des trainées ». Cette étude de cas est une leçon sur l’importance du suivi des réseaux sociaux et du fait d’être prêt à intervenir pour orienter le débat public, qui aujourd’hui peut avoir lieu sur différents supports.

Contexte de la communication de crise

Les médias traditionnels sont confrontés aux transformations du contexte médiatique, où les entreprises ont moins de contrôle sur les informations les concernant. Ils doivent se redéfinir et trouver de nouveaux moyens de répondre aux défis que représentent les nouvelles formes d’expression et supports de communication associés à l’Internet 2.0. Pour comprendre la manière dont les informations sont définies et produites, il faut se tourner vers ce que Rosen (2006) appelle « les personnes précédemment connues comme le public ». Ces personnes possèdent et utilisent maintenant des outils de communication leur permettant de publier et de diffuser des informations. Ces outils de communication faisaient jusqu’à présent l’objet d’un monopole de la part des professionnels des médias, qui pouvaient donc présenter les informations sous un angle choisi par eux. Maintenant, toute personne disposant d’un smartphone ou d’un ordinateur et d’une connexion Internet peut communiquer des informations instantanément. Cela représente une véritable révolution, à la fois pour ce qui est considéré comme une information et pour la manière dont les informations sont produites. Jarvis (2006), par exemple, décrit l’émergence des blogs et du journalisme citoyen comme un « journalisme en réseaux » qui prend en compte « la nature désormais collaborative du journalisme : professionnels et amateurs travaillent ensemble pour raconter toute l’histoire et communiquent entre eux pour partager les faits, les questions, les réponses, les idées et les points de vue. [Le journalisme en réseaux] reflète les relations complexes qui donnent naissance à l’information et il se concentre sur le processus davantage que sur le résultat. » (Jarvis, 2006)

Le contexte numérique signifie aussi que de nombreux médias traditionnels sont de plus en plus connectés et interactifs, car les informations franchissent de plus en plus facilement les barrières géographiques, sociales et techniques (Dueze, 2011, Jenkins, 2006). Les médias traditionnels relaient maintenant l’information sur de nombreux supports médiatiques et les nouvelles et informations peuvent être générées et disséminées rapidement à travers le monde. Suite au changement du modèle commercial des médias, de nombreuses stations de radios, chaines de télévision et journaux ou magazines appartiennent aux mêmes groupes de médias. Grâce à ces nouveaux réseaux, une information « régionale » peut faire les gros titres nationaux, voire mondiaux, d’un simple clic. Cela veut dire aussi que le vieil adage, selon lequel « une nouvelle chasse l’autre » et une information est bien vite oubliée, n’est plus vrai. En effet, tous les contenus sont archivés, des sites Internet d’informations à Google et aux blogs.

Pour les entreprises qui ont subi la vindicte populaire sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, toute la couverture médiatique négative est souvent archivée et stockée sur l’un des relais d’informations les plus puissants du 21e siècle : Google. Si vous tapez « Target Australia girls’ clothing » sur le moteur de recherche Google, vous découvrirez probablement la saga de 2012 en tête des résultats. Ce genre de scandales et de polémiques peut nuire à la réputation ou l’image de l’entreprise des mois voire des années après qu’elle ait été révélée. Les professionnels de la communication doivent impérativement comprendre le processus par lequel des campagnes de citoyens sur les réseaux sociaux peuvent devenir des sujets majeurs pour les médias. Cela leur permettra de gérer efficacement les crises sur les réseaux sociaux et de protéger l’image de leur entreprise. Bien gérer une crise implique pour une organisation de se positionner comme la référence en donnant rapidement sa propre version des faits sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels (Regester et Larkin, 2008). Cela commence par l’identification des problématiques qui émergent et peuvent générer des conversations sur les réseaux sociaux, où de nombreuses personnes auront une opinion sur la question ou auront vécu une expérience similaire. Pour réagir rapidement, les professionnels de la communication doivent suivre avec attention les conversations sur les réseaux sociaux et être capables d’identifier les sujets qui peuvent porter à controverse ou avoir une valeur médiatique élevée. Ils doivent aussi savoir concevoir de solides arguments et commentaires pouvant être utilisés pour influencer les conversations.

L’évolution de la nature de l’information subventionnée

La relation entre la communication et le journalisme relève largement de « l’information subventionnée » (Gandy, 1982) : des informations générées du fait qu’une personne, un groupe ou une organisation fait quelque chose digne d’être mentionné aux informations, ou recherche l’attention des médias. Gandy (1982) affirme que les journalistes « préfèrent les sources qui peuvent assurer un flux régulier, crédible et utilisable d’informations, de données et d’images sur lesquelles se baser pour construire l’information » (p. 13). Les sources haut placées, par exemple travaillant au gouvernement ou au sein d’une organisation puissante, s’efforcent de fournir des informations subventionnées bénéficiant d’une aura d’authenticité et d’une valeur médiatique adéquate pour que les journalistes utilisent ces informations dans l’élaboration de leurs sujets, ce qui permettra au bout du compte de toucher les publics cibles de leur organisation (Gans, 1979).

On sait depuis longtemps que les professionnels de la communication participent au processus d’élaboration des informations via l’information subventionnée, mais, dans ce billet, nous allons démontrer que les réseaux sociaux et « les personnes précédemment connues comme le public » ont maintenant la capacité d’être une importante source d’information subventionnée grâce à des supports comme Twitter et Facebook. Les raisons en sont simples. L’existence des médias traditionnels a toujours reposé sur leur capacité à entretenir un dialogue avec les grandes tendances culturelles du moment (Conboy, 2002), il n’est donc pas surprenant qu’ils soient sur les réseaux sociaux, comme leur audience. Quand une vidéo sur YouTube devient virale, ou qu’un fil de discussion sur Facebook attire des milliers de commentaires en quelques heures, le sujet atteint un certain niveau de popularité et apparait alors à l’ordre du jour des médias, qui souhaitent être proches des utilisateurs des réseaux sociaux et attirer encore plus d’audience. Cette approche est aussi séduisante du point de vue de l’économie politique. Les réseaux sociaux, célébrés pour leur culture participative et libre, sont très intéressants pour les médias traditionnels, car ils représentent une opportunité de faire du crowdsourcing pour trouver des sujets et leur donner une nouvelle vie en dehors de la toile. Comme nous le verrons dans le cas de Target, les journalistes font cela en plaçant un sujet dans un contexte et une problématique plus vastes.

Burns (2012) indique que si la valeur médiatique, que nous allons bientôt étudiée, est utile pour comprendre comment les journalistes élaborent des sujets d’informations, elle n’est pas le seul facteur dans leurs décisions. Elle cite d’autres problèmes, comme les contraintes de temps, d’espace et de personnel – des problèmes liés à la nature commerciale de l’information – qui amènent les journalistes à « capituler et choisir les sujets qui sont les plus faciles à trouver et mettre en forme ». Sissons (2006) affirme que dans un contexte de baisse des coûts, de rationalisation économique et de diminution des effectifs, les journalistes dépendent de plus en plus, et excessivement, des informations qui leur sont fournies. Davis (2003), de son côté, indique que les journalistes se sentent de plus en plus obligés d’utiliser ce qu’on leur donne gratuitement plutôt que de rechercher activement des sujets, ce qui prend du temps et exige des ressources.

La valeur médiatique en communication de crise

Les professionnels de la communication doivent être conscients de l’ensemble des codes culturels collectifs qui aident les journalistes à compiler et élaborer les informations, afin d’identifier les types de conversations sur les réseaux sociaux pouvant évoluer en crise de grande ampleur. L’étude des informations de Galtung et Ruge (1965) détaille huit valeurs médiatiques fréquemment citées :

  • l’impact : l’importance d’un évènement. Plus les conséquences sont grandes, et plus le nombre de personnes concernées par l’évènement est élevé, plus la valeur médiatique est importante.
  • la récence : plus l’évènement est récent, plus sa valeur médiatique est élevée.
  • la prééminence : les évènements impliquant des personnes ou institutions connues et/ou puissantes ont une plus grande valeur médiatique.
  • la proximité : la proximité, soit géographique, soit du fait des valeurs, intérêts et attentes de l’audience, est un facteur important.
  • le bizarre : l’inhabituel, l’insolite ou l’inattendu a tendance à attirer l’attention.
  • le conflit : les controverses ou les affrontements ont une forte valeur médiatique, attirent l’attention, souvent quel que soit l’objet du conflit. Le conflit révèle les causes sous-jacentes du désaccord entre des personnes et institutions.
  • l’air du temps : parfois, une idée s’impose, car elle est dans l’air du temps. Le sujet a presque une existence propre et monopolise l’attention des médias pendant un temps.
  • la dimension humaine : ces sujets ont davantage une dimension de divertissement.

Généralement, on sépare aussi les sujets d’actualité entre informations sérieuses et de divertissement. Bien qu’il y ait beaucoup de débats entre experts sur la signification du mot (Reinemann et al., 2012), les « informations sérieuses » peuvent être définies comme le type d’informations portant sur des sujets graves ou importants, avec une dimension d’immédiateté, comme les discours de personnes importantes, les crimes et les grandes catastrophes naturelles comme les inondations et les incendies. La notion d’« informations de divertissement », quant à elle, renvoie à un ensemble de caractéristiques, comme les dimensions informatives, éducatives, émotionnelles ou divertissantes. Lynch (2012) affirme que ces types de sujets sont des « récits qui réchauffent le cœur à propos de personnes ordinaires qui surmontent des obstacles, font des choses extraordinaires ou accomplissent quelque chose d’intéressant » (p. 56). Ces types de sujets apportent aussi une « dimension humaine » à des sujets plus sérieux, notamment pour les reportages sur les sujets sociaux ou sur des chiffres, comme on le verra dans l’exemple de Target.

La valeur médiatique, ainsi que le style et les habitudes des journalistes, évolue constamment dans le contexte de l’ère numérique. Nous pensons, par exemple, que les tendances sur les réseaux sociaux s’inscrivent dans la 1re valeur médiatique de « l’impact ». Nous y reviendrons dans l’étude de cas. Des experts comme Harcup et O’Neill (2001) affirment que puisque de nombreuses informations sont fabriquées, la liste traditionnelle de la valeur médiatique selon Galtung et Ruge (1965) devrait être révisée. Selon eux, la dominance des célébrités, le fait que la distinction entre informations et téléréalité s’estompe de plus en plus et le développement du journalisme citoyen donnent à penser que la nature de l’« information » et la valeur médiatique sont en train d’évoluer et que les modèles traditionnels d’élaboration de l’information ne sont aujourd’hui que partiellement pertinents. Dans un effort visant à continuer à attirer leur audience et ainsi maintenir leur part de marché dans un contexte qui évolue rapidement, les groupes médiatiques se retrouvent obligés de réexaminer la valeur médiatique. Comme nous l’avons déjà évoqué, le développement des médias interactifs et du journalisme citoyen sont en train de bouleverser la distinction traditionnelle entre ceux qui élaborent l’information et ceux qui la consomment passivement. Les réseaux sociaux sont déjà omniprésents dans le paysage médiatique et un plus grand nombre de supports sont utilisés pour identifier et diffuser l’information. Deitz (2010) affirme que Facebook, YouTube et Twitter ne remplacent pas les journalistes ou le journalisme « mais par leur existence même ils remettent en question les conventions des informations traditionnelles, notamment ce qui est considéré comme digne de figurer aux informations » (Deitz, 2010, p. 7).

Tendances : la plupart des sites d’informations et de réseaux sociaux ont maintenant une rubrique intitulée « tendances » où les visiteurs peuvent voir les articles et tweets les plus populaires.

Analyse de la communication de crise

Comme nous l’avons souligné, la capacité des publics « de tous les jours » à utiliser les réseaux sociaux pour critiquer les personnalités, les marques ou les magasins qui, selon eux, ont violé des valeurs morales – et à lancer des campagnes efficaces contre eux – peut vite se transformer en cauchemar pour les équipes de relations publiques. Cette étude de cas constitue une analyse étape par étape d’une crise de ce type. Elle évoque les répercussions pour le distributeur australien Target d’une campagne sur les réseaux sociaux concernant sa ligne de vêtements pour enfants. Elle révèle certaines des tactiques employées par des experts de la communication dans des situations de crise et les leçons qui peuvent en être tirées.

En août 2012, une mère australienne furieuse a posté un commentaire sur la page Facebook de Target, demandant que l’entreprise arrête de vendre des vêtements faisant la promotion de la sexualisation des jeunes filles et leur donnant l’air de « trainées ». Ana Amini, institutrice à l’école primaire et mère d’une petite fille de 6 ans, a écrit :

« Cher Target, pourriez-vous fabriquer une ligne de vêtements pour filles de 7 à 14 ans qui ne les fassent pas ressembler à des trainées ? Je ne retournerai jamais chez vous pour acheter des vêtements à ma fille, car je ne veux pas qu’elles pensent que porter des shorts qui lui remontent jusqu’aux fesses soit la norme en matière de mode. »

Sa lettre ouverte a provoqué une tempête sur les réseaux sociaux et a attiré plus de 44 000 réponses en un peu plus de 24 heures. En l’espace de deux jours, le sujet avait été repris par le réseau Fairfax Media, un groupe médiatique australien possédant des stations de radios, des journaux et des chaines de télévision. Ce n’est que quelque temps après que le sujet se soit retrouvé dans les médias traditionnels (environ 72 heures après la publication initiale du message) que Target a répondu sur sa page Facebook, avec la lettre suivante, adressée à ses clients :

« Bonjour à tous. Nous sommes toujours heureux de lire vos commentaires sur notre ligne de vêtements pour enfants. La plupart du temps, avant que Target lance des produits en magasin, ils sont évalués par un comité composé de nos clients et leurs commentaires sont pris en compte. Nous sommes conscients qu’il y a de nombreuses opinions différentes sur les vêtements pour enfants. C’est pourquoi nous faisons en sorte que nos vêtements soient appropriés pour l’âge de vos enfants et que ceux-ci aiment les porter. Notre objectif est de proposer des produits variés, que ce soit dans nos magasins physiques ou sur Internet, pour que vous ayez le choix. Il est très important pour notre équipe travaillant sur les vêtements pour enfants de comprendre vos inquiétudes et vos suggestions concernant notre ligne, pour que nous puissions les prendre en compte pour de prochains produits. Si vous souhaitez nous donner plus de détails sur des produits spécifiques, nous vous invitons à nous écrire à facebook@target.com.au. Nous voudrions nous excuser pour le retard mis à répondre à votre commentaire. L’un des mots mentionnés dans votre commentaire initial a été signalé par Facebook comme étant inapproprié et nous n’en avions de ce fait pas eu connaissance jusqu’à aujourd’hui. Merci de votre patience et de votre précieuse contribution. »

Mais les dégâts étaient déjà faits. L’anecdote était publiée dans la presse locale, régionale et nationale, discutée dans les émissions d’actualité et gagnait en visibilité sur Twitter. En l’espace d’une semaine, avant qu’il ne soit supprimé par le site de Target, le commentaire initial sur Facebook avait reçu plus de 80 000 « J’aime ».

Une lectrice de Fairfax, qui partageait ses impressions dans le cadre d’un sondage organisé par le journal The Age pour évaluer la réaction des gens, a déclaré :

« Je suis surprise qu’il ait fallu attendre si longtemps pour que cela fasse les gros titres, car c’est un sujet discuté ad nausea [sic] par les mères et les filles de cet âge. »

Cette lectrice a identifié un point important, qui fait notamment l’objet de ce billet : qu’est-ce qui fait que certains commentaires et certaines campagnes sont repris par les médias et d’autres non ? Sur la base des recherches effectuées et des idées évoquées plus haut dans ce billet, il y a deux raisons pour lesquelles un problème tel que celui-ci attire autant l’attention des médias.

La première raison est liée aux conventions et codes culturels que les journalistes utilisent pour créer de l’information – ce que nous appelons la valeur médiatique. Harcup et O’Neill (2001) avancent que l’idée de « magnitude » est une valeur médiatique importante qui doit être prise en compte pour générer des informations. La notion de magnitude se réfère aux sujets qui sont perçus comme « suffisamment importants, soit au sens du nombre de gens concernés soit au sens de l’impact potentiel ». Les réseaux sociaux servent de baromètre pour le type de problématiques qui intéressent le public, donc quand une anecdote obtient des milliers de « J’aime » en peu de temps, il est presque sûr qu’elle apparaitra dans les médias traditionnels d’une manière ou d’une autre. Par exemple, on peut raisonnablement penser que 80 000 J’aime sur Facebook vont se transformer en une audience médiatique toute faite pour les médias traditionnels.

Décider quels sujets couvrir dépend énormément du type de valeur médiatique qui y est associé. La lectrice mentionnée plus haut faisait remarquer que la sexualisation des enfants et le type de vêtements que portent les petites filles n’est pas un problème nouveau, mais la lame de fond observée sur les réseaux sociaux a garanti que le sujet remplisse le critère de récence du modèle de la valeur médiatique. Le sujet a aussi une dimension de conflit (des mères en colère qui défient une grosse entreprise) et il y a des éléments de prééminence (Target est probablement l’un des plus gros groupes distributeurs d’Australie, avec des magasins implantés dans des centaines de villes et métropoles du pays) et de proximité (le public était très largement australien, bien que le sujet ait été mentionné dans le journal The Irish Independent près d’un an après, dans le cadre d’une crise similaire à laquelle étaient confrontés des grands magasins britanniques pour avoir vendu des déguisements d’Halloween inappropriés (O’Shea, 2013). La couverture médiatique générée par la controverse Target montre que c’était un sujet auquel il était facile de donner une dimension locale : les journalistes, de Toowoomba à Perth, ont interviewé des mères de jeunes filles de leurs régions.

Les réseaux sociaux en communication de crise

La deuxième raison pour laquelle un sujet comme celui-ci attire une telle attention des médias est l’accessibilité facile à des contenus générés sur des réseaux sociaux comme YouTube et Facebook. D’un seul clic, les journalistes peuvent juger quels sont les sujets populaires et qui attirent l’attention. Ils peuvent aussi identifier quasi instantanément les personnes à interviewer ou rencontrer pour avoir plus d’informations. Comme nous l’avons souligné, il s’agit d’une nouvelle forme de ce que Gandy (1982) appelle « l’information subventionnée ». Quand un sujet est beaucoup repris sur les réseaux sociaux, les journalistes cherchent à le mettre en contexte pour l’étoffer. Ils rencontrent donc des experts pour obtenir des points de vue différents et ils examinent le sujet sous l’angle socio-économique ou politique, mais aussi sous l’angle humain. Si de nombreux médias ont essayé d’interviewer la femme à l’origine du débat, d’autres se sont tournés vers d’autres mères qui ont partagé leurs points de vue sur l’éducation des enfants et la mode enfants actuelle. Le Townsville Bulletin, quant à lui, a rencontré des professeurs de psychologie pour discuter de l’impact sur les enfants des images et vêtements à connotation sexuelle présentés dans les médias (Mosch, 2012).

Les journalistes, tout comme les professionnels des relations publiques et les responsables de la communication, doivent apprendre à travailler avec les réseaux sociaux, sous tous leurs aspects. En effet, ils doivent s’adapter au phénomène relativement récent des campagnes sur les réseaux sociaux et à la manière dont celles-ci peuvent devenir des sujets d’actualité majeurs (Murthy, 2013). La vérification est un élément incontournable pour les journalistes s’appuyant sur les réseaux sociaux pour leurs articles. Les journalistes doivent respecter les règles de la profession et s’assurer que les sujets qu’ils présentent sont factuellement justes et comportent des points de vue différents (Burns, 2012). De la même manière, les professionnels de la communication doivent suivre avec attention ce qui parait dans les médias traditionnels et être proactifs dans leurs demandes de corriger toute erreur faite par les journalistes quand ils parlent d’une crise ayant démarré sur les réseaux sociaux (Regester et Larkin, 2008).

On voit que les impératifs traditionnels du « journalisme de qualité » ont été respectés dans le cas de la controverse portant sur Target, lorsque les journalistes ont fait observer que blâmer une chaine de magasins pour un phénomène social comme la sexualisation des enfants est un raisonnement simpliste. Cela a amené plusieurs journalistes à prendre la défense de Target dans cette controverse. Un journaliste bien connu de Fairfax a affirmé, dans un article intitulé « Pourquoi reprocher à un magasin de vendre des vêtements sexy pour enfants est hors Target » (Safe, 2012), que les magasins existent pour faire de l’argent, pas pour prendre parti sur le terrain des valeurs morales.

Cet article n’avait pas été subtilement influencé par une stratégie de communication de Target, mais était bien motivé par les convictions du journaliste. Cependant, il a constitué un appui pour Target et a contribué à détourner l’attention de la chaine de magasins au profit du problème plus large de la sexualisation des enfants. En Australie, deux enquêtes diligentées par le Sénat (en 2008 et 2011) ont étudié le problème des jeunes enfants soumis à la pression des médias et du marketing, qui les encouragent à être « sexy ». Le gouvernement n’a pas fait grand-chose (cf. childrenandmedia.org.au). Au Royaume-Uni, le rapport Bailey (2011) a recommandé de rendre toutes les images figurant dans les lieux publics et à la télévision plus « adaptées à un public familial ». Le rapport a notamment demandé aux magasins d’arrêter de vendre et de promouvoir des vêtements, produits ou services inappropriés pour les enfants. L’article de Safe en 2012 souligne l’importance de cette problématique au sens large et montre que les médias peuvent en fait représenter un allié, via le journalisme de qualité, qui implique d’étudier un problème au-delà de la crise ou du sujet immédiat. Les bons journalistes veulent explorer la complexité d’un problème, comme l’a fait Safe, et montrer l’importance d’autres acteurs et facteurs sociaux dans ce scénario. Savoir qui sont ces bons journalistes et avoir de bons rapports avec eux est une partie intégrante d’une solide stratégie de gestion de crise. Doorley et Garcia (2011) affirment que l’attitude des médias envers les organisations lors d’une crise sur les réseaux sociaux peut commencer par être neutre (au pire) ou favorable (au mieux). Selon eux, ce n’est que lorsque les médias pensent qu’une organisation au cœur d’une crise met trop de temps à fournir des informations, est réticente à envoyer des porte-paroles pour les interviews ou semble vouloir dissimuler des informations, qu’ils deviennent hostiles. Du point de vue des journalistes, ces éléments empêchent d’informer sur un sujet rapidement et sont autant de raisons de perdre confiance en une organisation ou ses porte-paroles.

Donc, quels enseignements les consultants en relations publiques peuvent-ils tirer de leurs connaissances des processus d’élaboration de l’information, à l’ère des crises générées par les réseaux sociaux ? L’exemple de Target donne quelques indications sur les choses à faire et ne pas faire.

Empêchez les « montées de crises » : suivez en permanence les débats et commentaires sur les réseaux sociaux et réagissez rapidement.

Target a probablement mis trop longtemps à réagir à la tempête qui se déchainait sur les réseaux sociaux. Facebook n’est pas un support fonctionnant du lundi au vendredi, de 9 heures à 18heures. Si votre organisation veut être sur les réseaux sociaux, elle doit aussi être continuellement en veille, car les crises peuvent s’y déclarer très vite. Si votre entreprise a une page Facebook ou est présente sur Twitter et YouTube, vous devez être conscient du fait qu’assurer la promotion de votre marque sur ces réseaux souvent imprévisibles peut avoir des conséquences négatives. L’expert des réseaux sociaux Thomas Tudehope fait observer qu’historiquement, les organisations ont considéré leurs pages sur les réseaux sociaux comme étant surtout « axées sur leurs contenus : qu’allons-nous publier sur notre page aujourd’hui ? or maintenant, c’est plutôt l’inverse : que vont dire les utilisateurs sur notre page aujourd’hui ? » (Lee, 2012). Facebook est apprécié pour sa capacité à connecter les gens – y compris ceux qui veulent en découdre. Lorsque Target a fini par s’excuser sur Facebook, l’entreprise a essayé de basculer la discussion hors d’Internet, en demandant aux clients d’envoyer leurs e-mails au service clients de la chaine. Elle aurait cependant pu proposer d’autres coordonnées.

Faites de l’organisation la source d’informations faisant autorité sur ce qui s’est réellement passé et ce qui est fait

Les responsables de la communication sont les membres d’une entreprise les plus aptes à gérer les réseaux sociaux en toutes circonstances, et notamment lors de crises, puisqu’ils sont les spécialistes des relations avec les médias et de la communication avec toutes les parties prenantes. Florian Silnicki, fondateur de la FrenchCom, un cabinet de consultants spécialistes des réseaux sociaux et de la communication de crise, a déclaré qu’il y avait récemment eu des exemples en Europe où les crises sur les réseaux sociaux s’étaient emballées, en partie à cause du fait que « les mauvaises personnes » géraient les pages Facebook : « Le contrôle des pages des organisations sur les réseaux sociaux ne devrait pas être confié aux agences de marketing et publicité, qui ne s’en servent que pour diffuser des messages, et devrait être placé entre les mains des relations publiques, qui sont mieux préparées à gérer tous les aspects, notamment les crises. ».

L’expert – la personne que les journalistes, le public et les parties concernées considèrent comme le responsable et principal porte-parole de l’organisation – est son président (Doorley et Garcia, 2011). Lors d’une crise, ne le faites pas remplacer par quelqu’un d’autre : un professionnel des RP, aussi qualifié soit-il, ne fera pas autorité comme un PDG, notamment aux yeux des journalistes. Aussi, quand Target a publié ses excuses sur Facebook, l’entreprise aurait dû personnaliser son message et le faire suivre de la signature du PDG, pour souligner l’importance qui avait été accordée au problème. Le message doit aussi communiquer l’émotion ressentie par l’organisation et les actions qu’elle va mettre en place (Regester, 2005). Il doit y avoir un suivi étroit des réseaux sociaux et des médias traditionnels, et l’organisation doit réagir rapidement pour corriger toutes les erreurs dans la manière dont les faits sont rapportés.

Communication de crise : constituez une liste d’experts pour prendre le contrôle de la conversation

Il faut aussi que les organisations et entreprises créent leur propre liste d’experts, qu’elles puissent contacter pour obtenir des conseils ou trouver un angle favorable en cas de crise. Les journalistes utilisent précisément le point de vue des experts pour donner du contexte à des sujets comme celui-ci, cela aurait donc pu permettre à Target d’orienter la conversation dans les médias traditionnels. En faisant appel à ses propres experts pour parler du problème ou s’adresser aux journalistes, Target aurait détourné au moins une partie de l’attention pour la recentrer sur la problématique large de la sexualisation des enfants. Target aurait également pu diffuser un communiqué de presse indiquant les chiffres de vente élevés de cette ligne de vêtements et ainsi souligner qu’elle répondait à une demande de la part des consommateurs.

Communication de crise : tissez et entretenez de bons rapports avec les journalistes et leur audience

Une intervention rapide et honnête de la communication peut empêcher qu’une étincelle négative sur les réseaux sociaux se transforme en explosion dans les médias. Cependant, quand une action immédiate n’est pas possible, ayez en tête que les médias traditionnels vont s’y intéresser, or ils restent la source la plus crédible d’informations et représentent donc le support médiatique le plus important pour influencer les convictions et le comportement des gens. Les professionnels des RP doivent donc prendre en compte les médias traditionnels dans leur programme de gestion de crise sur les réseaux sociaux. Les médias de masse restent les médias les plus importants pour les relations publiques et une fois qu’ils se sont fait une idée et l’ont communiquée, les professionnels des RP en sont réduits à s’efforcer de limiter les dégâts. Garder de bons rapports avec les journalistes est de ce fait un aspect important de la gestion de crise en général (Regester et Larkin, 2008) et peut permettre aux organisations d’être prêtes à faire face à des crises sur les réseaux sociaux ayant gagné les médias traditionnels. Les organisations doivent constamment s’efforcer de tisser et entretenir leurs relations avec les journalistes. Rester en contact étroit avec les journalistes pendant une crise est l’un des meilleurs moyens de découvrir ce qui les intéresse et ce à quoi ils s’attendent. Cela peut en effet aider les professionnels des RP à adapter le style et le contenu de leurs conférences de presse et à sélectionner les informations contenues dans les communiqués de presse. L’idée maitresse est de faire des principaux journalistes et médias d’information vos alliés : une relation respectueuse et amicale peut permettre de créer des opportunités de discuter de sujets sensibles officieusement et de fournir des informations sur le contexte, si nécessaire. Une communication de crise ouverte et honnête, ainsi qu’être prêt à montrer qu’on fait ce qui est bien lors d’une crise, peuvent permettre de se faire un allié des médias. On trouve cette idée dans tous les ouvrages de communication de crise (Doorley et Garcia, 2011).

Envisagez d’effectuer une campagne pour limiter les dégâts après-coup

Les entreprises peuvent reconstruire leur réputation en organisant une campagne pour améliorer l’image de l’entreprise sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels. Target a apporté des modifications à sa ligne de vêtements pour enfants et a fait état publiquement de ces changements, en réaction aux commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels (Davies, 2013). Cela peut aussi être une bonne idée d’acheter des espaces publicitaires dans les médias traditionnels pour envoyer un message au grand public.

Les réseaux sociaux et Internet sont souvent représentés comme une forme de démocratisation des médias d’information. Cependant, les entreprises et organisations se rendent compte que les réseaux sociaux n’ont pas que des avantages et qu’il faut des experts de la communication de crise pour les gérer. Les consommateurs furieux qui expriment leur frustration sur les réseaux sociaux représentent une menace pour la réputation d’une entreprise, surtout quand ce qu’ils disent trouve un écho auprès du public sur Facebook et Twitter. La controverse de Target montre que lorsqu’une opinion fait étincelle sur les réseaux sociaux, elle peut se répandre comme une trainée de poudre et déclencher une véritable tempête médiatique si les médias d’information, forts de leurs réseaux locaux et internationaux, s’en emparent et amplifient le problème. Un professionnel de la communication de crise armé des stratégies appropriées et de connaissances approfondies du fonctionnement des réseaux sociaux et du monde du journalisme sera en mesure de dissiper le mécontentement aussi rapidement et efficacement que possible.