Étude de cas : un PDG s’enflamme sur Facebook
L’entreprise
Badger Coal Corporation, située en Virginie, est une filiale américaine d’une société anglaise, International Clean Coal Enterprise. Badger, qui est peu connu du grand public, emploie environ 550 personnes, mineurs et personnels administratifs. Ses activités lui ont faire acquérir une bonne réputation auprès des autorités règlementaires et des politiques. Le seul problème de Badger était la langue bien trop pendue de son PDG, Ben Carter.
La crise
Après plusieurs mois de déclarations incontrôlées, les choses se sont précipitées le jour de Memorial Day (dernier lundi du mois de mai, férié aux États-Unis), où Ben Carter a publié l’une de ses déclarations fracassantes habituelles sur Facebook. C’était une déclaration raciste, misogyne, insultante et incroyablement stupide.
Des centaines de milliers de personnes ont lu cette déclaration. Des employés ont envoyé un e-mail aux membres du Conseil d’administration pour demander que ceux-ci mettent un terme au comportement de Ben Carter.
Le Conseil d’administration avait déjà essayé à plusieurs reprises de le faire cesser. Après un incident similaire, les avocats du Conseil d’administration avaient réprimandé Ben Carter et lui avaient dit qu’il lui était désormais interdit d’utiliser Facebook et qu’il ne pouvait plus s’exprimer de manière aussi haineuse.
Les complexités de la crise
Facebook a refusé la demande des avocats de fermer le compte de Carter et d’effacer les publications existantes. Les commentaires sur son compte étaient en grande majorité (6 contre 1) des critiques de ce qu’il écrivait. Cependant, il disposait littéralement de milliers de fans, dont beaucoup d’entre eux complimentaient l’entreprise pour avoir permis à un cadre dirigeant de s’exprimer de manière aussi libre et franche.
Les groupes de défense des droits des femmes et des minorités ethniques et religieuses ont envoyé à leurs membres des extraits de ces commentaires racistes et sexistes. L’un de ces groupes a demandé à tous les clients de Badger de cesser de se fournir auprès de l’entreprise, même si cela impliquait de ne pas respecter des contrats signés. Ils ont déclaré que le fonds de pension de l’entreprise devait se débarrasser de ses actions ou attaquer les directeurs en justice.
Des manifestations avaient lieu toutes les semaines à l’extérieur des locaux de l’entreprise et du domicile des directeurs. Les groupes de pression en colère menaçaient non seulement de publier les noms des directeurs de l’entreprise, mais aussi d’indiquer l’adresse de leur domicile et d’autres informations confidentielles comme le nom de leurs enfants et où ils allaient à l’école. En dépit de toutes ces protestations et de l’agitation causée par son comportement, Ben Carter a profité du week-end prolongé de Memorial Day pour publier un nouveau commentaire sur Facebook. La situation a alors atteint son point culminant.
Les choix effectués
Quatre options s’offraient à l’entreprise, selon Florian Silnicki, expert en stratégies de communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom’ :
1. Ne rien faire, arguer que la situation relevait de la liberté d’expression et affirmer que, quoi qu’on pense des déclarations de Ben Carter, il avait le droit de dire ce qu’il voulait.
2. Agir de manière décisive pour interdire à Ben Carter de faire des déclarations racistes ou misogynes sur sa page Facebook, en imposant des sanctions comme une amende ou une suspension.
3. Fermer la page Facebook, la désavouer et désavouer ce qu’avait fait le PDG, puis le pénaliser sans toutefois aller jusqu’au renvoi.
4. Renvoyer le PDG, fermer la page Facebook, contacter les groupes représentant les femmes et les minorités ethniques et religieuses, et présenter des excuses publiques. S’efforcer de résoudre les problèmes et recouvrer un semblant de réputation, en tentant d’empêcher les poursuites pour incitation à la haine que l’Attorney General de l’État de Virginie menaçait de lancer.
Le point culminant de la crise
- Le Conseil d’administration était paralysé et ne parvenait pas à prendre une décision. De ce fait, Badger et le comportement de son PDG faisaient de plus en plus les choux gras des chaines de télévision et de radio aux États-Unis et au Canada. Plusieurs groupes de discussions suivaient de près le comportement de Ben Carter.
- Des personnes connues dans les secteurs public et privé ont commencé à attaquer Badger et son PDG, et le silence du Conseil a été interprété comme une forme de soutien aux déclarations de Ben Carter. Les efforts de l’entreprise pour prendre ses distances avec son PDG ont échoué.
- Les membres des syndicats dans toutes les mines de l’entreprise signaient des pétitions et déclaraient publiquement que le comportement du chef de l’entreprise était mauvais pour Badger et humiliant pour ses employés.
Conclusions de l’étude de cas
Le soir de Memorial Day 2012, le Conseil s’est réuni par téléconférence. Ils ont alors pris les mesures les plus extrêmes possible. Ben Carter a été relevé de ses fonctions et un nouveau PDG par intérim a été nommé. Une déclaration publique a annoncé que Ben Carter avait été renvoyé, ne siégeait plus au Conseil et que l’entreprise, de ses employés les plus juniors à ses dirigeants les plus hauts placés, désavouait complètement ce que le PDG avait dit et fait.
Le nouveau PDG a déclaré : « aucun de nous ne souhaite être associé avec ce genre d’individu ou ce type de déclarations ».
La déclaration du Conseil indiquait que si le PDG n’avait pas accepté ces conditions, Badger Coal aurait déposé plainte contre lui, demandant que le ministère de la Justice le poursuive pour incitation à la haine raciale.
En contrepartie d’indemnités de licenciement s’élevant à plusieurs millions de dollars, il a été demandé à Ben Carson de vendre toutes ses actions, de donner ses stock-options à un organisme de bienfaisance approprié et de ne plus jamais entrer en contact avec Badger pour le restant de ses jours. De nombreux employés ont été choqués que l’ancien PDG ait reçu des indemnités aussi élevées pour son départ.
Le président du comité de rémunération du Conseil leur a dit : « Nous avons les mains liées. Nous devions le payer pour qu’il s’en aille. »
Le Parquet de Virginie n’a pas encore décidé s’il fallait poursuivre Ben Carter pour incitation à la haine raciale. L’affaire est loin d’être close.