Les réseaux sociaux ont-ils constitué une révolution pour la communication de crise des entreprises ? Constituent-ils un danger pour la réputation des organisations ou un levier au service de l’image de leurs décideurs ?
Les réseaux sociaux sont-ils un danger à craindre ou une opportunité à saisir pour les marques connues et les personnalités exposées qui font face à un scandale médiatique ou à une affaire judiciaire ? Définitivement les deux, répondent en coeur les meilleurs consultants spécialisés en communication de crise interrogés.
Pendant les crises, les réseaux sociaux sont un support d’expression de l’hystérie collective qui n’ont jamais autant permis de toucher une audience aussi grande de manière aussi forte en aussi peu de temps.
“On peut considérer de manière hémiplégique que face aux crises, les réseaux sociaux accusent, accablent et acculent. On peut aussi considérer que les réseaux sociaux permettent de faire entendre la voix de son client à un coût égal à zéro. C’est une caisse de résonance dont la puissance peut être très efficace pour faire valoir la position de son client. Les réseaux sociaux participent de la conquête de l’opinion au service des intérêts d’image de nos clients.” observe Florian Silnicki, Expert en communication de crise, Fondateur de l’agence LaFrenchCom.
Le rôle du communicant de crise est de protéger son client contre la « chasse à l’homme » dont il peut être victime sur les réseaux sociaux. Les experts en communication de crise affirment qu’on ne peut jamais garantir qu’un magistrat soit bien défait du joug de l’opinion publique qui règne dans ces espaces digitaux.
Tous les experts interrogés s’accordent à dire qu’il faut se méfier des réseaux sociaux qui participent d’un véritable tribunal digital rendant des jugements définitifs à l’emporte-pièce sans respect des droits de la défense, sans considération pour l’égalité des armes, le contradictoire ou le procès équitable. Certains communicants de crise décrivent pendant des heures leur quotidien : des réseaux sociaux qui contribuent à accabler, à lyncher, à salir, à calomnier et à déshonorer leurs clients, à les dénigrer, à les diffamer, des réseaux sociaux qui lancent des traques ouvertes, relaient des appels au lynchage, des rumeurs, des fakenews, des approximations sous forme de réquisitoires violents, … “souvent de manière totalement déconnectée avec l’état d’une instruction judiciaire par exemple ou les pièces au dossier” sourit Florian Silnicki.
L’expert en communication de crise tient cependant à attirer notre attention sur le fait qu’il ne faut pas “réduire les réseaux sociaux à des déversoirs de haine pour écervelés. Vous manqueriez là l’essentiel de leur force et donc de leur atout dans la gestion des crises : les réseaux sociaux ont d’abord été des régulateurs d’émotions collectives avant d’être drogués à l’émotion qui sont aujourd’hui leur carburant essentiel. Colères, agacements, injustices, angoisses, peurs, défiance, révolte : partout sur les réseaux sociaux, les émotions exacerbées ont pris le pouvoir sur l’analyse et le rationnel… Le rôle du communicant de crise est aussi là : remettre du rationnel face à l’émotionnel.”
«Pour comprendre comment protéger nos clients pendant les crises, il faut d’abord comprendre comment les réseaux sociaux se sont développés historiquement. Les réseaux sociaux, qui concernent désormais une part importante de la population, se sont prolongés de la sphère amicale aux relations commerciales et au champ professionnel. Ils influencent la globalité de l’activité économique et toutes les fonctions de l’entreprise (relations clients, segmentations marketing, ventes et expérience client, omnicanal et supply-chain, innovation’) que ce soit sur les marchés btoc ou btob comme au sein de l’entreprise elle-même. Et en tant que consultants, notre rôle est d’aider les entreprises à devenir offensives et non défensives sur ces questions lors des crises. Car les enjeux de marque et de réputation sont très importants lorsque les choses tournent mal pour les organisations présentes sur ces réseaux sociaux qui sont des catalyseurs d’émotions. Les ravages d’une mauvaise gestion de crise ou d’une communication de crise maladroite sur la valorisation d’une marque peuvent être colossaux et durables. Pendant une crise, les réseaux sociaux peuvent à la fois être les fossoyeurs de votre capital réputation comme une opportunité exceptionnelle à saisir », analyse Florian Silnicki
«Dans un premier temps, les sociétés ont abordé les réseaux sociaux de manière institutionnelle, avant de développer des usages marketing puis de gestion des clients. Aujourd’hui, certaines entreprises ont déjà acquis une réelle maturité sociale. Les communautés digitales d’ambassadeurs sont une véritable force dans la gestion de crise pour certains de mes clients.», note Florian Silnicki.
Il est un secteur qui ne connaît pas la crise : celui des réseaux sociaux, en pleine explosion aussi bien dans les usages privés que professionnels. Pour les entreprises, ce nouveau canal est déstabilisant. Obligées d’y aller pour ne pas être dépassées par le mouvement, elles tentent de maîtriser la situation et d’en tirer parti. Pour les consultants, il y a là un nouveau gisement de missions, en pleine croissance.
Retrouver la maîtrise de sa communication et protéger sa réputation face aux crises
Pour les marques, l’une des dimensions particulièrement sensibles à ce nouveau canal est celle de leur relation aux clients.
Premier enjeu : retrouver la maîtrise de cette relation. “Une des particularités des réseaux sociaux est que les entreprises peuvent y être interpellées de manière directe par les clients, sans aucune censure possible d’où la multiplication des crises d’image et de réputation au détriment des entreprises les plus immatures“, prévient Florian Silnicki.
Pour l’entreprise, ce dialogue avec les clients sur les médias sociaux ne va pas de soi. La question de l’organisation se pose souvent chez les clients des agences en communication. Faut-il un service spécifique ou peut-on intégrer ce canal avec les autres (mail, téléphone?) dans le cadre d’une relation client multicanaux ? Faut-il gérer les réseaux sociaux de manière distincte car il s’agit d’un média de masse instantané qui comprend des risques importants de bad buzz ? Les entreprises se retrouvent parfois débordées par les communications les concernant sur Twitter. En contrepartie, ces outils leur permettent aussi de réagir vite et de contribuer à leur communication de crise en imposant leur voix au chapitre.
Cette communication informelle qui passe par les forums, réseaux sociaux et autres blogs riches en commentaires impactent directement les décisions d’achat. Les réseaux sociaux et Internet en général s’imposent de manière croissante dans la prescription produits. Dans l’automobile par exemple, 93 % des acheteurs se sont renseignés sur Internet avant d’acheter, et au sein de cette proportion, au moins 88 % se sont renseignés sur des forums, comme le confirment toutes les études menées sur le sujet en Europe. Il s’agit d’un levier de prescription énorme et puissant qui échappe aux marques en général. La publicité à la télévision ne suffit plus depuis longtemps et la publicité sur internet non plus. De récentes études ont constaté que les personnes faisaient davantage confiance aux avis de leurs pairs (utilisateurs d’un forum, blogueur, influenceur, amis) qu’à ceux des journalistes ou directement des marques. Les entreprises doivent apprendre à maitriser cette tendance.
Comment industrialiser la gestion des réseaux sociaux ?
Dans ce nouveau paysage où chaque voix peut trouver écho, l’industrialisation de la relation à l’usager est d’autant plus complexe. “L’un des défis majeurs à relever est celui de la massification de la communication via les réseaux sociaux, pointe Florian Silnicki. Car, au quotidien, mais encore plus pendant les crises, le community manager peut être enseveli par les questions individuelles. Des outils de sémantique sont aujourd’hui capables d’analyser efficacement le sens des messages (de voir par exemple s’ils sont critiques ou neutres) et de trier ce qui ressort du service client, du community manager, ou directement de la direction de la communication. Des outils permettent également de hiérarchiser les messages en fonction du scoring d’influence sociale de leurs émetteurs (nombre de relations, activité sur les réseaux sociaux, connexion avec des influenceurs, positionnement plus ou moins central sur le réseau social).”
La mise en place de plusieurs fils Twitter ou page Facebook pour segmenter les usages et les positionnements est un choix fait par plusieurs grandes entreprises.
S’ils représentent des risques pour les marques, les réseaux sociaux offrent aussi des opportunités pour la fonction marketing. Les réseaux sociaux permettent de mieux connaître les clients et ont ouvert la voie à de nouvelles façons de mener des études de marché, plus rapides et à moindre coût, en allant notamment sur les forums et en accédant à des retours non filtrés. Ce nouveau canal constitue aussi un bon moyen de lancer un produit et de disposer d’un retour client immédiat. Concernant l’après-vente, les réseaux sociaux permettent aux utilisateurs d’obtenir des réponses directement d’autres clients.
Au-delà de la seule dimension marketing, c’est jusqu’au modèle économique qui peut être impacté. “Nos clients nous interrogent sur ce qu’ils peuvent retirer de manière concrète des réseaux sociaux en matière de communication de crise et de gestion de crise. Certaines tendances comme la gamification ont été efficacement mises à profit et de manière très concrète par les entreprises”, analyse Florian Silnicki.
Révolution en interne
L’autre grand défi des réseaux sociaux pour les entreprises est celui de leur impact dans l’organisation interne. «Les réseaux sociaux induisent un dé-silotage des fonctions et départements déstabilisant pour les entreprises», témoigne Florian Silnicki.
En interne, les réseaux sociaux contribuent à une gestion à la fois extrêmement décentralisée et centralisée des ressources humaines. Ils contribuent à l’agilité, l’innovation et le partage des compétences. Mais une communauté nécessite des compétences de gestion très précises.
“Le réseau social est un bon outil pour faire à la crise mais il ne se décrète pas, il s’accompagne dans la durée“, lance Florian Silnicki. Aux entreprises de proposer les bons outils. Car quelle que soit la direction opérationnelle, il existe des réseaux sociaux externes que les collaborateurs trouvent utile d’utiliser professionnellement. Par exemple, les directions métier qui n’ont pas la possibilité d’échanger des documents volumineux vont recourir à des plateformes grand public, sans prendre nécessairement conscience que cette solution va faire sortir le document à l’extérieur de l’entreprise. L’évolution des usages aussi continue à être très rapide, un peu darwinienne même !
Le rôle des DRH dans la gestion des crises
Le contexte mouvant, déstabilisé même, à voir la crise actuelle, où les catastrophes ne sont plus impossibles à imaginer, du terrorisme à la grippe aviaire, impacte également les DRH, de plus en plus soucieuses d’intégrer une dimension gestion des risques
«La Fonction RH a chez nos clients participé activement ces dernières années à des plans très opérationnels de crise, comme, par exemple, les PCA (Plans de Continuité d’Activité) en cas de catastrophe ou épidémie, pointe Florian Silnicki. Comment s’organiser en cas de perte de ressources suite à une épidémie de grippe aviaire ? Quelle capacité de mobilité géographique? »