- Du prétoire à l’opinion publique : l’évolution d’un rôle
- Communication judiciaire : une deuxième stratégie aussi vitale
- Procès médiatiques : des exemples récents de communication sous haute tension
- Coulisses d’une défense à trois têtes : avocats, dirigeants et communicants
- 2025 : ne plus se passer d’un stratège de la communication judiciaire
Les procès impliquant des entreprises en 2025 ne se jouent plus seulement devant les juges. Dans les prétoires français, aux côtés des avocats et des dirigeants sous pression médiatique, un nouvel acteur s’est rendu indispensable : le communicant de crise. Affaires financières, scandales sanitaires, drames sociaux ou enjeux environnementaux – chaque procès très médiatisé voit désormais ces stratèges de la communication épauler la défense juridique. Leur mission : gérer l’opinion publique, protéger la réputation de l’entreprise et de ses dirigeants, et influencer le récit médiatique en parallèle de la bataille judiciaire. En quelques années, le « tribunal médiatique » s’est imposé comme un enjeu aussi crucial que le tribunal judiciaire. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi est-il aujourd’hui impensable pour un dirigeant mis en cause de se passer de ces « spin doctors » d’un nouveau genre ? Enquête sur l’ascension irrésistible des communicants de crise dans les procès d’entreprise.
Du prétoire à l’opinion publique : l’évolution d’un rôle
La place grandissante des communicants dans les affaires judiciaires est le fruit d’une évolution progressive au cours des dernières années. En France, de plus en plus d’entreprises et de dirigeants se retrouvent mis en cause pour fraude, corruption, mise en danger d’autrui ou harcèlement, et ces procès d’affaires deviennent des événements médiatiques à part entière.
Avec l’essor de l’information en continu et des réseaux sociaux, chaque rebondissement judiciaire est instantanément commenté et analysé. Les chaînes d’info retransmettent les images des prévenus entrant au tribunal, les sites d’actualité relatent les audiences minute par minute, et les réseaux sociaux s’enflamment. Résultat : l’opinion se forge souvent un verdict bien avant le juge.
Dans ce contexte, la communication judiciaire est sortie de l’ombre. Historiquement, gérer la presse lors d’un procès relevait de l’avocat pénaliste – certains ténors du barreau étant passés maîtres dans l’art de délivrer une formule choc sur les marches du palais. Désormais, la communication ne relève plus uniquement des avocats. Depuis une quinzaine d’années, les entreprises font appel à des experts dédiés pour orchestrer leur image pendant les procédures sensibles. Des agences spécialisées ont vu le jour, intégrant juristes, communicants et anciens journalistes. En 2025, il existe un véritable marché du « litigation PR » : plusieurs cabinets de conseil en communication de crise se sont positionnés sur ce créneau, offrant leurs services à des clients engagés dans des procédures sensibles.
Communication judiciaire : une deuxième stratégie aussi vitale
Devenue omniprésente, la gestion de l’opinion publique s’affirme comme un volet stratégique aussi important que la défense juridique elle-même. « La stratégie médiatique est une composante indissociable de la stratégie judiciaire », affirment désormais de nombreux avocats. Autrement dit, impossible aujourd’hui de gagner un procès d’entreprise sans soigner en parallèle la bataille de l’image. D’autant plus que, parfois, un dirigeant peut être relaxé par le tribunal et néanmoins « condamné » par l’opinion publique, ce qui constitue un échec pour sa réputation.
Les avocats eux-mêmes en ont conscience. Longtemps, certains redoutaient de parler publiquement pour ne pas violer le secret de l’instruction. Mais les mentalités ont évolué. Le Code de procédure pénale rappelle certes que l’enquête est couverte par le secret, « sans préjudice des droits de la défense ». Conséquence : s’exprimer publiquement pour défendre son client n’est plus tabou, c’est même devenu utile et nécessaire dans le climat d’instantanéité médiatique actuel.
Pourquoi cette gestion de l’opinion est-elle aussi stratégique ? D’abord parce que la réputation et la confiance sont des actifs vitaux pour une entreprise. Un scandale très médiatisé peut éroder durablement la confiance des clients, des partenaires ou du grand public. Ensuite, parce que les pressions externes induites par l’opinion peuvent influencer indirectement le déroulement de l’affaire : une forte indignation peut encourager le parquet à faire appel, pousser les pouvoirs publics à durcir la réglementation ou inciter d’autres victimes à se manifester. Inversement, une opinion favorable peut conduire à davantage de bienveillance envers l’entreprise en difficulté.
Un exemple éloquent est celui des suites du scandale des suicides chez France Télécom. Lors du procès pour harcèlement moral, le groupe – rebaptisé Orange – a annoncé la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes, geste salué par les parties civiles. La direction actuelle a communiqué son empathie et son engagement à ne plus revivre de tels drames humains, cherchant ainsi à préserver l’image de l’entreprise et à rassurer salariés et clients. Cette gestion de l’opinion, au-delà de la défense purement juridique, a contribué à limiter l’impact négatif de l’affaire sur la réputation du groupe.
Procès médiatiques : des exemples récents de communication sous haute tension
Dans le monde de la finance, de la santé ou de l’environnement, les dernières années offrent de nombreux cas d’école où communicants de crise et avocats ont dû œuvrer de concert.
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Affaire Kerviel (Société Générale). L’affaire du « trader fou » Jérôme Kerviel a marqué un tournant en matière de communication de crise financière. Très vite, banque et ex-trader ont compris que le procès pénal se doublait d’une bataille de communication acharnée. Côté Kerviel, des communicants ont veillé à ce qu’il occupe l’espace médiatique, pour le repositionner en victime du système plutôt qu’en coupable unique. En face, la banque déployait sa propre stratégie pour rassurer les marchés et présenter le prévenu comme un fraudeur isolé. Des années plus tard, si la justice a condamné Kerviel, l’opinion publique française garde une image plus nuancée de l’affaire.
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Scandale du Mediator (laboratoires Servier). L’affaire Mediator, médicament antidiabétique tenu pour responsable de centaines de décès, a donné lieu à un procès pénal retentissant. Servier a fait appel à plusieurs experts pour soigner son image. Mais le comportement de son fondateur, parfois en contradiction avec les recommandations des communicants, a pu compliquer la défense publique de l’entreprise. Malgré une condamnation, le groupe a cherché à redorer sa réputation en soulignant ses mesures de transparence et en multipliant les gestes envers les victimes.
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Procès France Télécom / Orange (harcèlement moral). Premier procès pénal pour souffrance au travail en France, cette affaire de suicides a mobilisé intensément communicants et dirigeants. La direction actuelle d’Orange s’est efforcée de démontrer qu’elle tournait la page d’une époque managériale toxique, multipliant les déclarations empreintes d’empathie et renonçant à faire appel pour clore le chapitre. L’entreprise a ainsi préservé l’essentiel : la confiance de ses salariés et de ses clients.
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Contentieux environnementaux. Dans les litiges liés à la pollution ou au climat, la bataille de l’image est tout aussi cruciale. Dans le procès climatique lancé en 2023 contre une grande entreprise énergétique, la communication proactive a consisté à assurer qu’elle démontrerait son respect de la loi devant le tribunal, tout en se présentant comme un acteur responsable. Cette démarche vise à éviter une condamnation populaire avant même le jugement.
Coulisses d’une défense à trois têtes : avocats, dirigeants et communicants
Comment travaillent ces communicants de crise aux côtés des avocats et des dirigeants ? De l’avis des spécialistes, le trio forme un véritable attelage indissociable pendant les périodes de turbulence judiciaire. Autour du dirigeant mis en cause ou de l’entreprise poursuivie, on constitue généralement une cellule de crise réunissant un avocat, un communicant et parfois d’autres experts (juristes spécialisés, spécialistes des réseaux sociaux, etc.). Chacun y tient un rôle précis, mais les échanges sont constants pour affiner la stratégie globale.
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L’avocat reste le maître de la stratégie judiciaire, bâtissant l’argumentation en droit et pilotant la procédure. Il est aussi un porte-parole naturel du client : c’est lui qui s’exprime sur les marches du tribunal, devant caméras et micros. Il veille toutefois à ce que la parole publique ne compromette pas la défense légale.
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Le communicant de crise, lui, est l’artisan de l’ombre qui conçoit et déploie la stratégie médiatique. En amont du procès, il effectue une veille de l’opinion, prépare des éléments de langage et entraîne le dirigeant aux questions pièges. Pendant les audiences, il sert d’interface avec les journalistes, rédige les communiqués, gère la communication digitale et suit en temps réel l’évolution des réactions publiques. En cas de rebondissement à l’audience, il adapte immédiatement la riposte médiatique.
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Le dirigeant, ou le représentant de l’entreprise, est le visage public de la défense. Son attitude et sa parole pèsent lourd dans la perception du procès. Les communicants veillent à sculpter son image : choix de la tenue lors des audiences, posture corporelle, éventuels interviews. Parfois, le dirigeant est mis en retrait pour éviter tout faux-pas médiatique, et c’est l’avocat ou un porte-parole qui prend le relai.
En pratique, cette coopération ressemble souvent à une équation délicate, car il faut concilier exigences juridiques et exigences médiatiques. Par exemple, présenter des excuses trop détaillées peut juridiquement être interprété comme un aveu, tandis qu’en rester à un mutisme peut s’avérer désastreux pour l’opinion publique. De même, l’avocat peut vouloir temporiser, alors que le communicant jugera indispensable d’occuper l’espace médiatique. Ces arbitrages se règlent au cas par cas, dans l’urgence, et exigent une confiance mutuelle totale.
2025 : ne plus se passer d’un stratège de la communication judiciaire
En 2025, imaginer un grand procès d’entreprise sans communicant de crise relève de l’inconscience. La complexité nouvelle des procès rend leur présence indispensable aux côtés des dirigeants et de leurs avocats. Chaque détail peut devenir viral en quelques minutes, un tweet hasardeux peut mettre le feu aux poudres, les parties civiles s’organisent en collectif sur les réseaux sociaux, et les journalistes publient des révélations en temps réel. Maîtriser la communication n’est plus un luxe, c’est devenu un impératif stratégique.
Les dirigeants l’ont bien compris et intègrent désormais ce réflexe dès que la menace d’un procès se profile. Sans communicant pour orchestrer la prise de parole, une entreprise subirait passivement le récit médiatique, risquant de voir son image démolie en place publique. L’enjeu n’est rien de moins que la survie médiatique en période de tempête judiciaire.
D’autant que les procès actuels mobilisent un écosystème élargi d’acteurs : syndicats, associations, influenceurs, élus locaux ou actionnaires activistes. Un communicant de crise aguerri sait cartographier ces parties prenantes, adapter le discours à chacune (clients, victimes, régulateurs, partenaires), et maintenir la cohérence du message. C’est un travail d’équilibriste qui nécessite expertise juridique, sens politique et maîtrise des réseaux sociaux.
Par ailleurs, le communicant de 2025 s’appuie sur de nouveaux outils digitaux : veille algorithmique, ripostes ciblées sur les réseaux, vidéos explicatives diffusées sur YouTube, podcasts, voire community managers mobilisant des soutiens. Pour les multinationales, la communication de crise déborde parfois le cadre national et doit être coordonnée à l’échelle internationale. Cette sophistication dépasse souvent les compétences d’un service communication classique ou d’un avocat seul, ce qui explique le recours à des agences spécialisées.
En conséquence, les communicants de crise bénéficient en 2025 d’une légitimité accrue. Considérés comme des conseillers stratégiques de haut niveau, certains d’entre eux acquièrent une notoriété presque équivalente à celle des grands avocats pénalistes. D’anciens journalistes ou collaborateurs politiques se reconvertissent dans ce métier, apportant leurs réseaux et leur compréhension fine des médias. On pourrait presque parler d’une forme de « starisation » de la profession, reflet de l’importance cruciale de son rôle.
Pour les dirigeants d’entreprises, s’attacher les services de ces experts est désormais un réflexe de survie. Dans un grand procès, l’alliance avocat-dirigeant-communicant forme un trio gagnant. L’avocat plaide en justice, le communicant plaide dans l’opinion, et le dirigeant navigue entre ces deux arènes. Un procès se mène sur tous les fronts : juridique, médiatique et moral.
Qu’il s’agisse d’un drame humain, d’une crise sanitaire ou d’une polémique environnementale, le communicant de crise est devenu l’allié indispensable des entreprises en procès. Désormais, « gérer la crise » ne consiste plus seulement à préparer une défense devant le juge : il faut aussi savoir occuper l’espace médiatique avec intelligence. La vérité judiciaire et la vérité médiatique cohabitent et peuvent parfois diverger, mais il est indispensable de garder la main sur ces deux fronts.
Avocats et communicants avancent main dans la main pour conseiller les dirigeants et affronter ces procès 2.0 où tout se joue à la fois dans le prétoire et sur la place publique. L’ère du silence ou du « no comment » est révolue. En 2025, la stratégie de communication est un rouage essentiel d’une bonne défense, aussi déterminant que la qualité de l’argumentation juridique. Celui qui néglige ce volet s’expose à perdre la guerre de l’opinion, et la réputation d’une entreprise peut alors être mise en péril de façon irrémédiable. Dans ce nouveau monde, le communicant de crise est un partenaire indispensable pour tenir la barre lors de la tempête judiciaire et espérer maintenir à flot la réputation de l’entreprise.