En matière de communication de crise, garder le silence est souvent perçu comme une faute majeure. Dans une ère numérique où l’information circule instantanément, le public et les parties prenantes attendent des réponses rapides et transparentes lorsqu’une controverse éclate. Une étude internationale a même révélé que la manière dont une entreprise réagit en situation de crise est, pour 85 % du public interrogé, l’un des deux facteurs les plus déterminants de son image. Autrement dit, ne rien dire n’est plus une option viable : l’époque où l’on pouvait « faire l’autruche » en espérant qu’une attaque médiatique disparaisse d’elle-même est révolue rappelle Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom.
Pourquoi ce silence est-il si mal vécu ? D’abord, parce qu’il laisse un vide. Et « la nature a horreur du vide » : si l’organisation ne communique pas, d’autres le feront à sa place, parfois en déformant les faits. Ensuite, se murer dans le mutisme en pleine crise suscite la suspicion. Aux yeux du grand public, « le silence […] vous fait passer pour celui qui a quelque chose à cacher ». Ce mutisme est interprété comme le signe d’une dissimulation ou d’un aveu implicite de culpabilité. C’est pourquoi les experts en gestion de crise s’accordent à dire que, même si une entreprise ou un leader en difficulté a le « droit » de garder le silence, c’est rarement une bonne stratégie pour s’en sortir. Le public, les clients, les employés ou les citoyens attendent au contraire une prise de parole responsable, des explications et de la considération.
Les effets négatifs du silence
Refuser de s’exprimer face à une controverse enclenche généralement une spirale d’effets négatifs. Parmi ceux-ci :
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Suspicion et présomption de culpabilité : L’absence de réponse alimente l’impression que l’organisation ou la personne mise en cause reconnaît tacitement sa faute. Dans l’imaginaire collectif, « silence » rime avec « sécret néfaste ». Un dirigeant qui ne dément pas une accusation sera vite considéré comme coupable par omission. Psychologiquement, le public a tendance à combler le silence par le pire scénario possible, ce qui peut ancrer une présomption de culpabilité durable.
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Propagation des rumeurs : Le silence crée un vide informationnel que d’autres s’empressent de combler. Les réseaux sociaux et les médias vont spéculer et diffuser des bruits non vérifiés pour répondre à la curiosité générale. Par exemple, lorsqu’un accident est survenu sur une attraction de Disneyland Paris en 2013, le manque de communication immédiate de la part de l’entreprise a laissé libre cours aux spéculations et rumeurs, au risque de porter atteinte à la marque. Plus récemment, des crises sanitaires ou industrielles ont montré que chaque heure de silence supplémentaire voyait enfler des thèses parfois infondées dans l’espace public.
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Perte de contrôle du récit : En ne donnant pas sa version des faits, l’organisation abandonne la maîtrise du narratif de la crise. Les opposants, les médias ou l’opinion publique construisent alors leur récit – souvent au détriment de l’entité silencieuse. « Si vous n’occupez pas le terrain et ne prenez pas l’initiative de l’information, celle-ci vous rattrape et vous dépasse rapidement », avertit un consultant en communication de crise spécialiste de la gestion des enjeux sensible d’image et de réputation. En d’autres termes, ne pas communiquer, c’est laisser les autres définir l’histoire à votre place, avec le risque qu’elle soit bien plus défavorable que la réalité.
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Défiance du public et atteinte à l’image : Un silence prolongé est souvent vécu comme un mépris ou un désintérêt envers les personnes affectées par la crise (clients, victimes, citoyens…). Cela génère de la colère, de la déception et fait chuter la confiance. Aux niveaux émotionnel et réputationnel, « je ne vois rien de plus dévastateur […] qu’un silence qui devient extrêmement vite assourdissant », affirme ainsi un expert en communication. Plus le silence dure, plus la crédibilité de l’organisation s’érode. Une fois la confiance perdue, il est très difficile de la rétablir. En ce sens, le mutisme en temps de crise « ne peut être que mal compris et peut même accroître les tensions », aggravant encore la situation initiale.
En somme, l’absence de réponse ouvre la porte aux interprétations les plus dommageables. Elle laisse le champ libre aux rumeurs, amplifie la crise médiatique et détériore le lien de confiance avec les parties prenantes.
Des exemples de crises aggravées par le silence
De nombreuses crises ont été empirées par une stratégie du silence. Voici quelques exemples récents et marquants :
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Disneyland Paris (2013) – Lorsqu’un accident sur l’attraction Pirates des Caraïbes provoque une blessure grave, Disneyland Paris tarde à communiquer officiellement. Ce silence initial permet aux spéculations de fleurir dans les médias et sur Internet, certains allant jusqu’à exagérer la dangerosité du parc. Faute d’information fiable fournie rapidement, la marque subit un bad buzz important. Cet épisode illustre comment « le silence peut laisser un vide que d’autres sont prêts à combler », souvent au détriment de l’entité concernée.
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Lactalis (2018) – Le géant laitier français se retrouve au cœur d’un scandale de salmonellose infantile (plusieurs bébés contaminés par du lait en poudre). Dans un premier temps, l’entreprise – historiquement peu communicante – ne s’exprime pas publiquement et tarde à rappeler ses produits. Ce retard à réagir a été vivement critiqué. Pendant ce silence, l’affaire a pris une ampleur nationale, les autorités et les parents inquiets fustigeant le manque de transparence. Lactalis, connu pour sa culture du secret, a vu son image se dégrader davantage à cause de cette absence de communication. L’entreprise a depuis admis que son silence initial avait été une erreur qui a aggravé la défiance du public à son égard.
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Facebook – Scandale Cambridge Analytica (2018) – En mars 2018, des révélations éclatent sur l’utilisation indue des données de 50 millions d’utilisateurs Facebook par la firme Cambridge Analytica. Durant les cinq jours qui suivent, Mark Zuckerberg garde un silence radio, ce qui choque utilisateurs et autorités. Cette absence de réaction immédiate est perçue comme de l’indifférence et attise la controverse. La pression médiatique et politique s’intensifie de jour en jour : les hashtags appelant à supprimer son compte Facebook se multiplient et des parlementaires exigent des explications publiques. Quand Zuckerberg finit par s’exprimer et présenter ses excuses, le mal est fait. Comme l’a analysé la presse anglo-saxonne, ces cinq jours de silence pourraient s’avérer plus préjudiciables pour Facebook que le scandale lui-même, tant ils ont entamé la confiance du public et donné le sentiment que le réseau social n’assumait pas ses responsabilités.
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Affaire Benalla – Élysée (2018) – En juillet 2018, une vidéo dévoile qu’Alexandre Benalla, collaborateur de l’Élysée, a brutalisé des manifestants en usurpant le rôle de policier. Pendant près d’une semaine après ces révélations, le président Emmanuel Macron – habituellement très communicant – garde le silence en public sur cette affaire. Ce mutisme de cinq jours met ses ministres et députés dans l’embarras pour le défendre et alimente les soupçons de couverture au plus haut niveau de l’État. Face à l’indignation croissante, Macron finit par « sortir de son silence » pour admettre des dysfonctionnements. Mais entre-temps, sa cote de popularité a plongé et l’affaire a pris des proportions bien plus graves, précisément à cause de l’absence de réponse claire dès le départ. Ce cas illustre qu’en politique aussi, ne pas s’exprimer “à chaud” peut coûter très cher en termes d’opinion et de maîtrise de l’agenda médiatique.
Dans chacun de ces exemples, le refus initial de communiquer a servi de catalyseur à la crise au lieu de la juguler. Le silence a laissé libre cours à l’indignation, aux rumeurs ou aux interprétations accusatoires, rendant la situation finale bien pire qu’elle n’aurait été avec une réaction rapide et adéquate.
Pourquoi certaines entreprises ou figures publiques choisissent-elles de se taire ?
Malgré ces écueils bien connus, pourquoi observe-t-on encore des dirigeants, politiques ou organisations adopter la stratégie du silence ? Plusieurs raisons, souvent malavisées, peuvent l’expliquer :
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Consignes juridiques et peur d’aggraver son cas : Sous la menace de poursuites, les avocats recommandent fréquemment à leurs clients de ne pas s’exprimer publiquement. Juridiquement, le droit au silence vise à éviter toute déclaration qui pourrait se retourner contre l’accusé. Toutefois, ce conseil légal va à l’encontre des impératifs de l’opinion : « En cas de crise, le silence fait souvent de vous un suspect ou un coupable » rappelle une agence de communication de crise. S’en tenir strictement au silence “pour raisons juridiques” équivaut à perdre la bataille de l’opinion, ce qui peut causer in fine des torts tout aussi importants que le risque judiciaire.
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Minimisation de la crise (stratégie de l’autruche) : Certaines organisations parient sur la courte durée de la polémique. Elles font le pari risqué que la crise s’éteindra d’elle-même si elles refusent de l’alimenter. Cette « stratégie du silence » vise à assoiffer la matière de controverse en ne répondant pas. C’est souvent un calcul basé sur l’espoir qu’un scandale en chasse un autre et que l’attention médiatique finira par décrocher. Or, à l’heure des réseaux sociaux, cette attente passive aboutit généralement à l’effet inverse : plus l’organisation se terre, plus la pression monte pour qu’elle sorte du bois. Miser sur l’oubli rapide est une illusion dangereuse, car peu de crises graves disparaissent spontanément sans explication ni résolution aux yeux du public.
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Inertie interne et culture du secret : Dans certains cas, le silence n’est pas tant un choix conscient qu’un résultat de la lenteur décisionnelle. Des processus internes lourds, des chaînes de validation interminables ou une tradition de communication discrète peuvent empêcher de réagir vite. Par exemple, une entreprise habituée à garder ses informations confidentielles mettra du temps à admettre qu’elle doit s’exprimer publiquement. De même, l’absence de préparation (pas de plan de communication de crise préétabli) conduit à la paralysie : on ne sait pas qui doit prendre la parole, ni comment, alors on ne dit rien. Cette culture du silence – parfois encouragée par un management qui craint les médias – est toutefois en décalage avec les attentes modernes de transparence. Elle constitue presque toujours une erreur stratégique, car pendant les tergiversations internes, le récit extérieur s’emballe (voir les exemples Disneyland ou Lactalis).
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Crainte de faire pire en communiquant : De nombreux responsables redoutent que “tout ce qu’ils diront pourra être utilisé contre eux” dans les médias. Ils imaginent qu’en restant muets, ils évitent de jeter de l’huile sur le feu ou de commettre un faux pas supplémentaire. Cette peur est compréhensible – on craint de dire une bêtise, d’avouer un tort qui n’est pas encore prouvé, ou de s’excuser indûment. Cependant, choisir le silence par peur de l’erreur revient à abandonner la possibilité d’influencer le cours des choses. En ne livrant aucun message, on laisse la place à tous les messages adverses. Paradoxalement, parler comporte certes un risque, mais ne pas parler assure presque à coup sûr une dégradation de l’image. Comme le souligne un spécialiste, c’est précisément parce que les médias vont s’emparer de vos propos qu’il faut les fournir : c’est l’occasion de « faire entendre votre position face à la crise et de la légitimer dans l’opinion ». En d’autres termes, il vaut mieux occuper l’espace médiatique avec votre version, même imparfaite, que de le laisser intégralement à l’accusation ou aux rumeurs.
En résumé, les motivations qui poussent au silence – protection juridique, espoir d’oubli, réflexes bureaucratiques ou peur de mal faire – sont généralement des faux amis. Elles soulagent peut-être sur le moment (en évitant une confrontation immédiate), mais elles préparent une crise encore plus aiguë à moyen terme. Dans un monde hyperconnecté, ces justifications ne tiennent plus : un silence prolongé finit presque toujours par se retourner contre son auteur, validant l’adage qu’« le remède est pire que le mal » lorsqu’il s’agit de mutisme en situation critique.
L’alternative au silence : comment bien gérer une communication de crise ?
Puisque ne rien dire n’est pas une solution, quelle attitude adopter lorsque la tempête médiatique gronde ? La clé réside dans une communication maîtrisée, réactive mais réfléchie, qui permet de reprendre l’initiative sans précipitation. Concrètement, cela signifie qu’il faut réagir vite, mais bien – en préparant un message clair et honnête dès que possible, plutôt que de se taire ou de s’exprimer de façon impulsive. Voici quelques bonnes pratiques pour éviter le piège du silence coupable :
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Occuper le terrain dès le départ – Ne laissez pas le vide s’installer. Il est crucial de s’exprimer très rapidement après le déclenchement d’une crise, ne serait-ce que pour dire « Nous sommes conscients du problème et nous réunissons actuellement les informations pour y répondre ». Même une communication limitée donne l’image d’une organisation prudente et responsable, et aide à calmer le jeu. À l’inverse, on l’a vu, garder le silence dès les premières heures ne peut être que mal interprété. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans tous les détails immédiatement ; cependant, un message initial d’attente (du type « Nous investiguons activement et reviendrons vers vous sous peu ») montre que vous ne fuyez pas vos responsabilités. Cette première prise de parole doit être rapide, factuelle et empathique, afin de montrer que vous prenez la crise au sérieux sans pour autant céder à la panique.
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Reconnaître la faute et s’excuser sincèrement, si nécessaire – Si votre organisation est en tort ou qu’une erreur avérée a eu lieu, assumez-le sans détour et présentez des excuses appropriées. Assumer ses responsabilités est souvent le seul moyen de restaurer la confiance. Un mea culpa sincère, accompagné d’empathie envers les victimes ou les personnes affectées, désamorce bien des critiques. Les cas d’école montrent qu’une stratégie de reconnaissance et d’excuses immédiate porte ses fruits. Par exemple, lors du scandale du Tylenol en 1982, Johnson & Johnson a immédiatement reconnu la gravité du problème : le groupe a rappelé 31 millions de bouteilles potentiellement contaminées et présenté des excuses publiques franches. Cette réaction transparente et responsable est encore citée aujourd’hui comme modèle de communication de crise réussie. À l’inverse, les organisations qui nient ou minimisent d’emblée leurs torts perdent en crédibilité et aggravent la colère du public si la vérité finit par éclater. En résumé, dites la vérité, même si elle est douloureuse, et excusez-vous quand il le faut – le public peut pardonner une erreur, mais difficilement un mensonge ou un silence méprisant.
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Expliquer les mesures prises pour résoudre la crise – Ne vous contentez pas de paroles : montrez concrètement comment vous gérez la situation. Après avoir reconnu le problème, détaillez les actions correctives engagées et les solutions envisagées pour qu’il ne se reproduise plus. Cette étape est cruciale pour rassurer les parties prenantes sur le fait que la crise est sous contrôle. Par exemple, suite à un grave problème de sécurité (pédale d’accélérateur défectueuse) sur ses véhicules en 2009, Toyota a réagi énergiquement : le constructeur a rappelé plus de 8 millions de voitures dans le monde et communiqué en toute transparence sur les mesures prises pour corriger la défaillance. En affichant ainsi son engagement envers l’amélioration, Toyota a progressivement regagné la confiance du public. De même, dans toute crise, il faut informer sur les enquêtes en cours, les rappels de produits, les sanctions internes ou les changements opérés. Cette communication orientée solutions montre que l’organisation apprend de ses erreurs et agit de manière responsable. Elle permet de déplacer le récit de « ce qui s’est mal passé » vers « ce qui est fait pour régler le problème ».
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Communiquer de façon continue et transparente – La communication de crise n’est pas un one-shot : elle doit s’inscrire dans la durée, tant que dure la situation à risque. Après la déclaration initiale et la présentation des mesures, continuez à informer régulièrement le public de l’avancée des choses. Donnez des mises à jour fréquentes dès que de nouvelles informations sont disponibles, même partielles, afin d’éviter que les rumeurs ne refassent surface. En alimentant le flux d’information officiel, vous coupez l’herbe sous le pied des spéculations malveillantes : fournir régulièrement des faits permet de « supprimer partiellement la terre nourricière » des rumeurs persistantes. N’hésitez pas non plus à démentir clairement les fausses informations qui pourraient circuler, afin de garder la maîtrise du narratif. Cette transparence continue doit aller de pair avec une écoute active : tenez compte des préoccupations exprimées par vos publics (clients, riverains, employés…) et répondez-y. Utilisez les canaux adéquats (réseaux sociaux, communiqués de presse, conférences publiques, FAQ en ligne, etc.) pour toucher votre audience là où elle se trouve et adapter votre message. Enfin, restez cohérent dans vos prises de parole : définissez un porte-parole crédible (souvent le dirigeant ou un responsable dédié) et alignez tous vos communicants sur les mêmes messages clés pour éviter toute contradiction. Une communication régulière, cohérente et honnête finira par porter ses fruits en rétablissant progressivement la confiance.
En suivant ces principes, une organisation en crise montre qu’elle prend la situation en main au lieu de la subir en silence. Bien sûr, chaque crise a ses spécificités, et la communication doit être ajustée au cas par cas. Néanmoins, la règle générale est qu’il vaut toujours mieux parler de manière réfléchie que de ne rien dire du tout. Même si la tentation du silence peut exister pour gagner du temps ou éviter l’écueil d’une parole maladroite, l’expérience prouve qu’une réponse mesurée, humble et factuelle atténuera presque toujours les dégâts, là où le mutisme les exacerbe.
En communication de crise, le silence est un ennemi insidieux. Ce qui peut sembler un refuge (se taire pour se protéger) s’avère en réalité un piège qui se referme sur l’organisation en difficulté. On l’a vu, refuser de s’exprimer face à une controverse est souvent la pire stratégie : non seulement le silence n’éteint pas l’incendie, mais il l’alimente en oxygène. À l’inverse, prendre la parole de manière maîtrisée permet de reprendre l’ascendant sur la crise, de clarifier les faits et de montrer sa bonne foi. Transparence, réactivité et empathie constituent le trio gagnant d’une gestion de crise réussie, là où l’absence de communication mène à la défiance et au discrédit. Mieux vaut donc affronter la tempête médiatique avec un message honnête et humain, quitte à admettre ses torts, plutôt que de laisser le silence assourdissant faire office de réponse. Comme le résume un expert en communication sous contrainte judiciaire, on a « évidemment le droit de garder le silence », mais c’est rarement une bonne stratégie en cas de crise. En définitive, il vaut toujours mieux une réponse, même imparfaite mais courageuse, qu’un silence coupable qui risque d’être fatal à votre réputation.