Qu’elle soit économique, sociale, réputationnelle, toute crise fait des dégâts sur l’image de l’entreprise et de ses dirigeants. Les exemples sont légion : la crise de management de France Telecom, il y a plus de dix ans, la crise sanitaire de Lactalis l’année dernière… Voici quelques facteurs à prendre en compte pour gérer du mieux possible cette situation.
En un tiers de seconde, le moteur de recherche Google recense des millions d’occurrences pour les mots-clés « gestion de crise anticiper ». Mais « anticiper » suppose qu’un organe de gestion de crise existe au sein de l’entreprise. Or, de nombreuses entreprises ne sont pas dotées d’une cellule de crise.
La première responsabilité du DRH est de mettre en place des capteurs pour mesurer le climat social et détecter des tensions éventuelles. C’est ce qui a cruellement manqué à France Telecom, entre 2006 et 2010, lors de la vague de suicides. Les RH passaient leur temps à peaufiner le rapport RH et à faire de la communication externe, plutôt qu’à relever des indicateurs de bien-être (ou de mal-être) et de satisfaction (ou non) des collaborateurs, entre autres. En outre, les DRH doivent s’entraîner avec des exercices de gestion de crise RH et des simulations de crise, à l’instar des exercices de prévention incendie. S’ils n’apprennent pas en amont, comment réaliser les bonnes actions et prendre les bonnes décisions le jour J ?
Être prêt à agir face à la crise
La gestion de crise fonctionne généralement plutôt bien… dans les entreprises qui y sont régulièrement confrontées, car elles savent mieux anticiper. Dans ces organisations-là, les membres du comité de direction ont toujours sur eux les coordonnées des autres membres inscrites sur un petit document de la taille d’une carte bancaire. C’est le guide de crise de l’entreprise. Certains même possèdent chez eux une ligne téléphonique sécurisée, afin de traiter les sujets sensibles à l’écart des oreilles indiscrètes.
Didier, qui a longtemps exercé dans des laboratoires pharmaceutiques, témoigne : « Certains produits que nous vendions se détérioraient s’ils subissaient une température inférieure à 5 degrés. Un jour, un incident est survenu. En France, nous n’étions pas concernés, mais le comité s’est réuni pour pallier une possible crise. Il faut toujours être prêt à agir. »
L’une des caractéristiques des crises est qu’elles se répondent. En 2012, Gilles a connu une grosse restructuration chez Unilever, qui « a commencé par une crise économique, avant de vite tourner à la crise sociale, puis à la crise d’image ». Un parfait exemple de « crise d’image », ou d’atteinte à la réputation, est celle vécue par Lactalis. Chacun a vu de l’intérieur les dégâts provoqués par la contamination à la salmonelle sur le site mayennais de Craon. Pour lui, « l’envergure du problème réputationnel a été sans commune mesure avec la crise sanitaire, autrement dit la réalité. Attention, il ne s’agit pas de nier les conséquences sanitaires. Mais la culture de discrétion de Lactalis l’a desservie. Les salariés n’ont pas été informés, ils n’avaient pas de réponses à donner lors des repas de famille ».
La crise est une machine à broyer les dirigeants non préparés
Informer, communiquer, faire savoir, telle est la première clé d’une gestion de crise. Dire la vérité sur ce qui se passe et travailler en totale transparence est indispensable pour la confiance. Mais qui doit communiquer en interne ?
Les équipes dédiées à la communication au sein de l’entreprise sont bien souvent rattachées à la DRH. C’est donc à elle de communiquer. « De façon simple », estime Didier, citant le cas du décès d’un salarié survenu à son domicile, un week-end. « Même si l’entreprise n’est pas en cause, il faut communiquer avec un simple mail qui informe tous les collaborateurs, à l’aide d’une phrase type. Il est important pour la direction de montrer que les gens ne sont pas des numéros et que les liens humains comptent. Si les salariés ne sont pas prévenus, le risque est de perdre la maîtrise de la situation. » Sinon, ajoute-t-il, « vous pouvez être sûrs que dès le lundi, les syndicats vont poser des questions qui vont semer le doute dans l’esprit des salariés : y aurait-il eu une surcharge de travail ? Y aurait-il eu un échange houleux avec son manager ? »
La communication interne, une clé de gestion de crise
De plus, il convient de communiquer avec cohérence. La communication interne doit être alignée sur ce qui est dit au monde extérieur, les salariés seront alors les meilleurs ambassadeurs de l’entreprise. Il faut également accorder une attention toute particulière aux partenaires sociaux, quitte à déclencher un CE extraordinaire. Reconnaître ainsi leur valeur peut avoir un effet apaisant sur le reste de l’entreprise. Il faut déployer les mêmes actions envers les « influenceurs ». La personne en charge de l’accueil en est une, par exemple. Si elle est rassurée, ce sentiment ruissellera sur les autres ; non seulement elle voit l’ensemble des salariés, mais également tous les visiteurs. Elle est donc la première personne à briefer. Tout comme l’assistante sociale et les prestataires du site.
Le cas de figure des laboratoires Boiron est exemplaire en matière de communication interne. Soumis à un possible déremboursement de leurs produits par la Sécurité sociale, ils doivent aussi faire face à la réticence de certains médecins à prescrire leurs médicaments, faute de preuve scientifique. La DRH communique depuis des années sur les bienfaits de l’homéopathie : « Nous aidons des centaines de milliers de gens, nous ne réalisons pas de tests sur les animaux, nous développons des médecines douces, etc. » Les salariés savent ce qu’on leur reproche. Ils sont habitués et contre-argumentent aisément, même en l’absence de toute crise.
Doute grave ou pschitt
Il y a cependant des entreprises qui attachent davantage d’importance à leurs clients et à leur image extérieure qu’à leurs salariés. « Imaginez un médicament qui est mis en doute. Si le laboratoire le retire du marché, il risque de perdre une partie de son chiffre d’affaires. De toute façon, il ne retrouvera jamais son chiffre d’affaires initial même si la suspicion est levée et qu’il commercialise de nouveau le produit. Prenez l’exemple d’un médicament prescrit pour soigner un cancer. S’il n’est plus disponible sur le marché, le médecin en prescrit un autre. Lorsque le médicament incriminé sera de nouveau sur le marché, vous pouvez être sûr que le professionnel de santé ne fera pas marche arrière. » Bref, quand le chiffre d’affaires est menacé, les décisionnaires subissent une forte pression. Raison pour laquelle ils ne communiquent pas.
Le troisième élément de la gestion d’une crise est d’encourager les initiatives. Pourquoi ne pas tenir compte d’une idée, d’où qu’elle provienne, qui pourrait améliorer le fonctionnement de votre entreprise ? Il y a plusieurs années, Gilles a accompagné Wulyscheime, la plus ancienne entreprise chimique de France, située à Mulhouse. L’actionnaire, allemand, enregistrait alors de fortes pertes. Il était d’accord pour investir une nouvelle fois dans l’appareil productif, à condition que des économies soient réalisées. L’approche choisie par la DRH a été de sensibiliser l’ensemble des collaborateurs à la situation économique de l’entreprise en communiquant en toute transparence. Elle a même choisi de mettre en place des groupes de travail sur les sources d’économies possibles. Ce sont les salariés eux-mêmes qui ont trouvé des solutions ! Les opérateurs de production ont proposé de réaliser les tâches de maintenance en interne pour faire des économies alors que ces tâches étaient, jusqu’alors, confiées à une entreprise extérieure.
La dernière étape dans la gestion de crise est d’analyser systématiquement la crise qui vient d’avoir lieu. Gilles confie : « Il faut reconnaître qu’à froid, post-mortem, les Français sont très mauvais à cet exercice. La culture de retour d’expérience dans l’Hexagone est faible. Nous avons bien trop souvent la tête dans le guidon et nous ne prenons pas le temps d’analyser la situation. » Une erreur fréquente, car une crise permet souvent d’en anticiper une autre.