Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Quel bilan de la gestion de la crise sanitaire ?

coronavirus

Le rapport final de la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise sanitaire due au Covid-19 et sur l’anticipation des risques pandémiques, présidée par l’épidémiologiste suisse Didier PITTET, a été présenté hier. Cinq périodes, de janvier 2020 à février 2021, y sont distinguées par la mission qui en tire six grands enseignements.

Chronologie de la gestion de crise sanitaire par le gouvernement

L’émergence de l’épidémie de janvier à février 2020 : pendant cette période, la dynamique et la gravité de l’épidémie ont été sous-estimées (systèmes de surveillance, mauvaise compréhension des signaux) et le niveau de préparation opérationnelle à ce type de crise pandémique (stocks stratégiques, dispositif de test, systèmes d’information, organisation de la gestion de crise) s’est révélé insuffisant.

La période de mars à mai 2020, a été marquée par un premier confinement très restrictif, qui a réussi à freiner l’épidémie, mais au prix de très lourdes conséquences économiques et sociales. Si la gouvernance de la crise a souffert de défauts majeurs, la réactivité et la mobilisation exceptionnelles des personnels a permis de faire face à une situation d’une gravité exceptionnelle. Du point de vue économique, les mesures de soutien à l’activité, mises en oeuvre très rapidement, ont permis de contenir un choc inédit.

Le plan de déconfinement et la tentative de vivre avec un virus sous contrôle de mai à octobre 2020. La préparation et la sortie du confinement marquent une évolution positive en termes de stratégie et de gouvernance. Cependant, alors même que l’activité économique enregistrait un rebond, la reprise de contrôle de l’épidémie a échoué en raison des déficiences en matière d’isolement, de test et de traçage; d’un manque de données; de l’insuffisant respect des gestes barrières. De plus, la réaction à l’évolution de l’épidémie a été tardive et inadaptée.

Le deuxième « confinement » de novembre à décembre 2020 a été moins restrictif et plus court. Il a moins pénalisé l’activité économique, même si le secteur des services est demeuré très atteint. II a débouché sur une amélioration sensible et rapide de la situation épidémique, qui n’a toutefois pas permis une réouverture complète des activités économiques, sportives et culturelles.

La période de fin décembre à février 2021 a été caractérisée par l’émergence de nouveaux variants, conduisant à une modulation dans le temps et l’espace des mesures d’endiguement, et par le début de la campagne de vaccination. Sur cette période, l’appréciation de la Mission se veut particulièrement prudente vu le faible recul et la grande évolutivité de la situation.

Quel bilan de la gestion de crise gouvernementale du COVID ?

Le niveau de préparation à la crise s’est révélé insuffisant. Il s’est principalement traduit par la pénurie de masques de protection individuelle, la très lente montée en charge des capacités de test, la fragilité et la non exhaustivité des systèmes d’information nécessaires au simple décompte des cas, des hospitalisations et des décès imputés à la COVID, et de façon plus générale par l’instabilité du pilotage opérationnel. Cette situation trouve son origine dans une série de facteurs structurels et conjoncturels :

Facteurs structurels :

  • Fragilité du ministère chargé de la Santé : faible attractivité des emplois; gouvernance éclatée entre les principales directions; perte d’expertise consécutive à la création des agences sanitaires, insuffisance des capacités stratégiques, faible capacité à piloter le réseau d’agences;
  • Faiblesse historique de la santé publique : dispersion des équipes de recherche, déficit d’image et de légitimité de Santé publique France (SPF), déficit de culture de prévention du risque infectieux tant chez les professionnels de santé que dans la population, lacunes en matière d’épidémiologie de terrain et mauvaise répartition des ressources entre SPF et les ARS;
  • Insuffisance du pilotage de deux secteurs qui se sont révélés clef : la gestion des stocks stratégiques de masques et l’organisation de la biologie médicale;
  • Manque d’appui sanitaire aux EHPAD (faible connexion avec les hôpitaux, les médecins libéraux et les ARS);
  • Limites des systèmes d’information en santé qui ne permettait pas de disposer d’une base solide pour répondre aux besoins d’informations et d’indicateurs nécessaires au pilotage de la crise;
  • Déficit de compétence et d’entraînement en matière de gestion de crise (réduction de la fréquence des exercices et faible implication des décideurs au plus haut niveau).

Facteurs conjoncturels :

  • Les épidémies de coronavirus (SRAS 2003 et MERS 2012) et d’Ebola (2014) ont été contenues en dehors du territoire national, empêchant de capitaliser les enseignements, à la différence de certains pays d’Asie fortement touchés par ces virus à l’époque;
  • L’épisode de la grippe H1N1 de 2009-2010 à la suite de laquelle les pouvoirs publics de l’époque ont été accusés d’avoir sur-réagi au regard de la gravité réelle de la pandémie, qui a été perçu comme un gaspillage d’argent public (achats de vaccins, médicaments et masques en excès);
  • La priorité en matière de gestion de crise semble avoir été donnée au risque terroriste qui s’est dramatiquement concrétisé lors des attentats de 2015 et 2016.

La faiblesse récurrente de l’anticipation s’est traduite par la répétition de retards dans la prise de décision dans plusieurs domaines :

  • La trop lente montée en charge des capacités de test qui, au-delà des difficultés techniques et organisationnelles communes à la plupart des pays, s’explique par le retard dans la mise en place d’une équipe projet dotée d’un objectif clairement identifié en matière de dépistage;
  • Les confinements de mars et surtout de novembre 2020 ont été instaurés tardivement au regard des informations disponibles. Le deuxième confinement a en outre été précédé de diverses mesures de freinage (fermetures localisées de certaines activités) instaurées au fur et à mesure sans que des règles préétablies aient permis aux acteurs économiques de les anticiper et de s’organiser en conséquence;
  • Alors que l’arrivée des vaccins était une réalité prévisible et attendue, il est dommage que la France n’ait pas mis en place « une taskforce intégrée » dès la phase de préparation des approvisionnements pour prendre également en charge l’organisation de la campagne de vaccination à l’exemple notamment des équipes anglaises ou américaines.

La complexité de la gouvernance et la centralisation excessive ont fait perdre de l’efficacité au pilotage de la crise en même temps qu’elles nuisaient à l’acceptabilité des mesures :

  • L’organisation de la gestion de crise au sein du ministère chargé de la santé a souvent évolué faisant apparaître à plusieurs reprises des cellules dédiées (approvisionnements et tests), « à côté » du Centre de crise santé (CSS). En-dehors de la préparation du déconfinement, la coopération entre les ministères a été désordonnée;
  • Le caractère détaillé et la mise en oeuvre uniforme des décisions prises au niveau central ont mis les acteurs de terrain en difficulté et conduit à des situations jugées inéquitables.

Les autorités ont su tirer les enseignements de leur expérience pour améliorer le pilotage au fil des mois sur plusieurs points importants :

  • Une approche plus transversale, associant les aspects sanitaires, économiques et sociaux s’est progressivement mise en place, permettant un meilleur dosage des mesures de freinage. Le deuxième confinement a ainsi pu réduire significativement le niveau de circulation du virus pour un coût économique deux à trois fois plus faible qu’au printemps;
  • Cet apprentissage a pu s’appuyer sur les progrès des systèmes d’information et sur la réalisation d’enquêtes permettant notamment de mieux documenter les lieux de contamination et de géolocaliser les données de progression de l’épidémie.
  • La communication reposant largement au départ sur la peur et la dramatisation a ensuite davantage fait appel à la responsabilité individuelle et collective. Les messages ont été progressivement diversifiés pour s’adresser aux différents segments de la population;
  • La concertation avec les parties prenantes au niveau local mise en oeuvre par les préfets de département a permis la prise de mesures différenciées au niveau territorial.

La réactivité, l’engagement et la mobilisation des acteurs a été remarquable tout au long de la crise. Elles ont souvent permis de compenser le manque d’anticipation des pouvoirs publics :

  • Cette mobilisation a évidemment été le fait en premier lieu des professionnels de santé, mais aussi celui des acteurs au niveau local (hôpitaux et ARS, collectivités territoriales, associations et bénévoles) ou national, avec l’intense engagement des équipes de gestion de crise au sein des différents ministères et agences;
  • La reconversion de plusieurs milliers d’agents de l’Assurance maladie pour assurer le traçage et l’accompagnement des personnes concernées constitue une performance remarquable;
  • La création dans des délais particulièrement réduits de systèmes d’information tels que SI-DEP ou SI-Vaccins doit être mise au bénéfice de cette mobilisation.

La réponse économique française a été globalement à la hauteur du choc subi, y compris en comparaison internationale :

  • La réaction au premier confinement, très rapide et très forte, montre que les leçons de la crise de 2008 (préservation de l’emploi par l’activité partielle, préservation des entreprises par les prêts garantis) ont été largement exploitées. Ces mesures d’ampleur se sont ajoutées à des stabilisateurs automatiques déjà très importants en France par rapport à ses principaux partenaires (assurance-chômage notamment). Pour autant, certains dispositifs créés ad hoc comme le fonds de solidarité, qui ont démontré leur nécessité, reflètent l’absence d’universalité du système de protection sociale en temps ordinaire;
  • Depuis l’automne 2020, ces mesures ont été adaptées et réactivées autant que nécessaire pour permettre au tissu économique de redémarrer dès que possible dans les secteurs les plus affectés. Comme dans d’autres pays, la mise en oeuvre des restrictions à la mobilité et à l’activité économique a soulevé des difficultés : manque de visibilité face à des règles évolutives et au rationnel sanitaire parfois peu clair, temporalité du plan de relance annoncé juste avant le début de la deuxième vague épidémique;
  • A ce stade, l’incertitude qui pèse sur les prochains mois et même sur les prochaines années pour certains secteurs clefs de l’économie française (aéronautique, tourisme notamment) invite à maintenir autant que nécessaire les mesures de soutien aux secteurs affectés et plus généralement à les faire évoluer avec la situation sanitaire.