Décès de l’avocate, Maitre Jehanne Collard

jehanne collard

Florian Silnicki, Président fondateur de l’agence LaFrenchCom, et ses consultants ont l’immense tristesse d’annoncer la disparition de Jehanne Collard, avocate fondatrice du cabinet d’avocats Collard et Associés.

Une vie dévouée à la Défense des victimes

Succombant à une longue maladie, Jehanne Collard est devenue en 50 années d’exercice du droit des victimes, l’une des plus grandes voies de la sécurité routière.

Cette figure médiatique incontournable, l’une des plus brillantes avocates françaises, s’était spécialisée dans la Défense des droits des victimes, et plus spécifiquement dans la lutte contre l’insécurité routière à laquelle elle a dévoué sa vie.

Une combattante inépuisable de l’insécurité routière

La sécurité routière perd une militante engagée et passionnée qui fut une grande combattante de l’émergence de la justice réparatrice dans notre pays. Son inépuisable énergie, sa sincérité brutale et son talent oratoire hors norme, empathique, soucieuse de Justice et de respect des victimes ont conféré à Jehanne Collard une dimension singulière.

Nous présentons nos plus sincères condoléances à la famille de Jehanne Collard, Jean-François Lacan, son mari, ses filles et ses petits-enfants qui peuvent être si fiers des combats menés. Nous partageons leur infinie tristesse.

Jehanne Collard qui fut l’une des premières clientes de l’agence LaFrenchCom, restera dans nos esprits et dans nos cœurs comme une avocate exceptionnelle, une géante du barreau que nous sommes heureux d’avoir accompagné dans ses combats, mais d’abord comme une amie que nous aimons infiniment.

Cette femme remarquable et exemplaire par son engagement fut un modèle d’engagement au service de l’intérêt collectif, une inspiration constante pour l’agence.

Qu’elle repose en paix.

Sa fille, l’avocate Romy Lafond-Collard

Sa fille, l’avocate Maitre Romy Lafond-Collard et l’ensemble de son équipe saluent la mémoire d’une grande avocate engagée au service de la lutte contre l’insécurité routière.

Me Jehanne Collard est décédée ce dimanche à Paris. Elle est intervenue dans les plus médiatiques affaires de sécurité routière. Elle a consacré sa vie à la cause des victimes. La sécurité routière perd une militante passionnée qui fut une grande combattante de l’émergence d’un droit des victimes et de la justice réparatrice en France.

Toute sa vie, elle aura défendu et milité. Son obsession, c’était la Justice pour les victimes. Elle s’insurgeait quotidiennement des cortèges de vies brisées liés à l’insécurité routière, de l’indifférence de certains magistrats et assureurs à la douleur des victimes.

Jehanne Collard a travaillé jusqu’à son dernier souffle pour le cabinet, qu’elle a fondé en 1973. Elle était Présidente d’honneur de l’association Victimes et Citoyens.

Rescapée d’un grave accident de la route en 1993

À la suite d’un grave accident de la route en 1993, elle consacra sa carrière à la défense des victimes. Le combat de Jehanne Collard a été honoré de l’insigne de l’Ordre National du Mérite, remis par le Premier Ministre le 22 janvier 2004 et des insignes de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur en Juin 2007. Jusqu’à sa dissolution, Jehanne Collard était vice-présidente de la fondation Anne Cellier fondée en 1987 pour lutter contre l’insécurité routière.

“Ma mère s’est éteinte, Je la pleure. Tout son cabinet la pleure. Mais tout son cabinet est déterminé à garder vivant sa force, son courage, sa détermination. Depuis quarante ans, ma mère s’est battue pour la reconnaissance du droit des victimes. Devant les tribunaux, dans ses livres, dans les médias, elle a fait avancer leur cause, fait progresser la réparation de tous leurs préjudices. Je vous promets que ce cabinet, avec tous ses associés, tous ses collaborateurs se battra toujours, par tous les moyens, pour le droit des victimes. Pour une plus grande reconnaissance de leur parole. Pour une juste indemnisation de tous leurs préjudices. C’est une légende de la défense des victimes qui s’éteint. Nous ferons vivre, aux côtés de nos clients, sa mémoire, ses valeurs et ses combats comme nous le faisons tous depuis des années.” déclare sa fille, Maitre Romy Lafond-Collard, qui dirige le cabinet Jehanne Collard et Associés.

La cérémonie aura lieu le jeudi 22 avril 2021 à 10h30 en l’Église Saint Thomas D’Aquin de Paris (75007).

Faire prendre conscience des risques en voiture.

La Croix
Samedi 18 mai 1996, p. 21

A la veille du week-end de Pentecôte, une émission tire la sonnette d’alarme à propos des accidents meurtriers. En 1995, 8 412 personnes ont été tuées sur la route. Unis pour vaincre. Lundi, TF1, 20h50

BOILLON Colette

“A la radio, une voix banale annonce sans émotion : ” La circulation sur la nationale X est à nouveau fluide. Après l’accident survenu en début de matinée, la route est désormais dégagée. ” C’est vrai… le sable jeté sur la route a bu l’essence et l’huile mêlées de sang, le jet des lances de pompiers a éliminé le pêle-mêle de la vie éclatée sur le bitume, les ambulances sont reparties avec leur cargaison de corps broyés ou calcinés. Il faut faire vite car il faut essayer de réparer tout cela, et il faut le cacher aussi. Notre société préfère la voiture à sa victime…

Préfaçant le livre de l’avocate Jehanne Collard, ce texte d’une mère meurtrie, Christiane Cellier, dont la fille fut victime d’un chauffard ivre, rejoint les réactions d’hommes en colère qui ne mâchent pas leurs mots. Tels le rédacteur en chef de l’émission, Patrice Dutertre parlant de ” calamité ” ou Peter Ustinov pour qui ” la voiture est le seul endroit au monde où des musiciens, des académiciens, des hommes politiques, des artistes, des gens très bien deviennent des cons ! ”

Des personnalités s’engagent

Devant la gravité de l’enjeu – des vies humaines -, ils n’hésitent pas, ne serait-ce que pour en sauver une, à mettre dans la balance le poids de leurs responsabilités ou de leur renom. C’est dans cet esprit que TF 1 propose une soirée ” halte au massacre ” dont l’objectif principal, souligne Patrice Dutertre, est de ” faire prendre conscience à chacun de la nécessité de lutter contre un phénomène qui n’est pas inéluctable et encore moins culturel, comme certains responsables de nos institutions ont trop tendance à le laisser entendre “.

Et même si en 1995, pour la 7e année consécutive, le nombre des tués a régressé de 1,4 %, les 8 412 morts (3 700 en Angleterre) et les 181 403 blessés attestent d’un bilan encore beaucoup trop lourd.

Le bilan est encore trop lourd

Vingt-cinq morts par jour… Image saisissante de 25 femmes ayant perdu par accident un ou plusieurs êtres chers dans une première partie d’émission dénonçant – avec témoignages de grands pilotes automobiles – divers facteurs (alcool, vitesse, manque de civisme) pouvant accentuer le côté folie meurtrière. Plus positifs, les conseils permettant d’éviter l’issue fatale en cas d’accident : sans ceinture de sécurité, le conducteur double son risque de mort.

Deuxième volet de la soirée, la route et les jeunes : conséquences dramatiques de sorties du samedi soir joyeusement arrosées, reportages à Garches et dans la Manche (une moyenne de 67 morts par mois pour cause de conduite en état d’ivresse), rappel qu’1/10 des apprentis motards sont victimes d’un accident sérieux dans les six premiers mois de conduite.

La troisième partie fait place aux victimes et aux coupables.

Colette BOILLON

Le prix inestimable d’un bonheur écrasé

Le Progrès – Lyon
vendredi 19 septembre 1997

De quel poids sont l’argent, les mots, le regret, face à la douleur insondable d’une femme et de trois enfants brisés ? Pourtant, il faut comprendre. Et juger

Les traits figés par le chagrin, le regard clair posé avec une muette insistance sur l’auteur du drame, une belle jeune femme de trente ans, noyée dans le public, écoute, encore incrédule. Six mois. Six mois déjà qu’un destin incongru a plongé ses trois enfants et elle-même, dans la plus absolue des détresse. Celle d’avoir perdu un mari, un père, le repère central d’une famille promise au bonheur.

Dimanche 9 mars 1997, 10h50 du matin. David Dugrenot, jeune chômeur célibataire de 26 ans, roule au volant de la Peugeot 309 prêtée par sa soeur, sur le CD38 reliant Gleizé à Liergues. Au moment précis où il se penche pour chercher une station sur son auto-radio, le véhicule fait un écart. A une vitesse de 80 km/heure environ, la voiture heurte violemment un cycliste qui se promenait sur la piste cyclable. Bruno Avon, 31 ans, marié et père de trois petits enfants, est tué sur le coup. L’automobiliste, décrit comme ” dépressif sévère ” au moment des faits, s’arrête un peu plus loin, revient vers la victime. ” Affolé par tout ce sang “, dira-t-il mardi à la barre correctionnelle, il panique et s’enfuit. Les gendarmes, qui le retrouvent deux jours plus tard à Vénissieux grâce à sa plaque minéralogique relevée par des témoins, constateront que non seulement il s’affairait déjà à remplacer le pare-brise (compromettant) de la voiture, mais que le jour du drame, il conduisait sans permis un véhicule non assuré. Placé sous mandat de dépôt le 12 mars dernier, David répond donc d’homicide involontaire aggravé d’un délit de fuite, défaut de permis de conduire et excès de vitesse.

Affabulations

” Vous avez beaucoup menti aux gendarmes lors de vos auditions “, lui reproche en préambule le président Zemerly. Et il est vrai que l’attitude initiale du jeune homme, malmené lui-même par la vie puisque père d’un enfant handicapé, n’invite pas forcément à l’indulgence. Ainsi, dans une émouvante et talentueuse plaidoirie, Me Jehanne Collard, du barreau de Marseille, soeur du très médiatique Gilbert Collard et spécialisée dans la défense des familles de victimes de la route, évoque-t-elle ” ces trois enfants qui ne comprennent toujours pas et continuent de réclamer leur père chaque soir “, soulignant par ailleurs l'” exemplarité des décisions de justice en tant que facteur de régression du nombre d’accidents mortels “. Selon l’avocate, ” il existe un profil-type du délinquant routier, qui tel M. Dugrenot demeure irresponsable et ment de A à Z. La preuve ? Il a immédiatement pensé aux conséquences sur sa voiture. Et comme il a vu mourir sa victime et s’est enfui, il aurait pu être inculpé de non-assistance à personne en danger. Non, la mort de Bruno n’était pas une fatalité, mais la conséquence d’une inconscience “.

Quant au pretium doloris, objet d’une âpre bataille d’avocats autour de la présumée nullité du contrat d’assurance, Me Collard avancera le chiffre de 120 000 francs pour le préjudice moral. Le préjudice économique, d’autant plus important que la jeune mère ne travaillait pas, ayant choisi d’élever ses trois enfants, et ” ne survivant que grâce à l’aide de sa famille “, devra être, selon l’avocate, provisionné par le Fonds de Garantie Automobile, en cas de nullité de l’assurance du prévenu. Parlant au nom de la compagnie Royal Assurance, justement, Me Launey du barreau de Paris, soulèvera ” l’absence de contrat pur et simple “. Pour lui, cette compagnie intervenant dans le risque industriel et ” assurant seulement des personnes morales mais jamais de particuliers “, ne saurait être mise en cause dans ce dossier.

Zones d’ombre

Au fil de celui-ci, on apprend par exemple que la soeur du prévenu, propriétaire du véhicule, n’avait pu fournir de documents formels d’assurance : l’adresse de la compagnie indiquée par elle était inexacte, le numéro de police inventé de toute pièce, et la carte verte, douteuse et incomplète, a toutes les apparences du faux. De là à débusquer une escroquerie à l’assurance, ” avec ou sans la complicité des contractants “, il n’y avait qu’un pas que Me Launey s’empressa de franchir. S’appuyant sur une jurisprudence de la Cour de Cassation stipulant qu’une compagnie devait être mise hors de cause dès lors que la nullité du contrat était avérée, il exonéra la Royal de toute obligation d’indemnisation, ” la police ayant été souscrite dans des conditions invérifiables (auprès d’un pseudo ” courtier lyonnais ” alors que la société n’a aucun bureau à Lyon), et de plus, réglée en espèces par la titulaire de la carte grise “. Fort de cette quasi certitude de la fraude, l’avocat parisien a déposé une plainte sur le bureau du Doyen des Juges d’Instruction de Lyon, et sollicite du tribunal de Villefranche un sursis à statuer jusqu’à l’aboutissement de l’information pénale. ” Toutefois “, tint à préciser Me Launey, ” ce délai ne pénaliserait pas la jeune veuve et ses enfants, puisque la compagnie Royal, condamnée en référé à verser 400 000 francs de provision aux ayants droit, est sur le point de leur verser cette somme “. S’exprimant au nom des interêts du Fonds de Garantie Automobile, lequel réglerait la note en cas d’invalidation de l’assureur, Me Spée estime au contraire qu'” une compagnie ne peut être exonérée de la présomption d’assurance, tant que la preuve d’une escroquerie n’est pas apportée. C’est donc bien à elle de faire l’avance des frais “.

Une victime, lui aussi ?

Sur les faits en eux-mêmes, le substitut Rakic stigmatisera sans ambage le ” comportement irresponsable ” de David Dugrenot, ses ” mensonges “, et précisa que la peine qu’il encourait pouvait atteindre six ans ferme. Toutefois, et compte tenu d’un casier judiciaire portant une seule condamnation avec sursis, le représentant du ministère public s’en tint à des réquisitions mesurées : 30 mois de prison dont vingt avec sursis probatoire de trois ans, et obligation de soins.

Il revint à Me Burdeyron, défenseur de D. Dugrenot, de conclure en attirant l’attention du tribunal sur le ” repentir sincère de son client, lequel est resté effondré, prostré de longs moments en prison, et a pris conscience de toute sa responsabilité et du caractère détestable de son attitude initiale “. Il brosse le portrait d’un jeune homme mélancolique, dépressif, blessé par la vie, mais qui ” a évolué, travaille en prison et verse de l’argent à la famille du disparu pour réparer “.

Mais peut-on réparer ce qui est détruit ?

Jugement le 30 septembre.

Gérard MEUNIER

Un livre réquisitoire contre les assureurs

Libération
Vendredi 16 octobre 1998 132 mots, p. 18
Un livre décortique ces pratiques

A coup d’histoires édifiantes, les auteurs décortiquent les ruses de certaines compagnies pour éviter d’indemniser les victimes de sinistres importants. Pour un dégâts des eaux de 3 000 francs, l’assureur paye. Il n’en va pas de même pour les accidents graves de la route ou du travail. Là, les compagnies multiplient les procédures pour se soustraire à leurs obligations. Et quand, à la fin des années 80, le scandale du sang contaminé surgit, les auteurs montrent comment les assureurs vont jusqu’à cacher le contrat qui les lie au Centre national de la transfusion sanguine. Au final, le livre tente de démontrer que les compagnies bénéficient de complicités au coeur de l’Etat et que, chargée de défendre l’intérêt général, la Direction des assurances à Bercy ne fait pas son travail. Au bout de quelques années dans ce service, nombre de ses dirigeants s’en vont “pantoufler” dans les compagnies en multipliant leurs salaires par trois.

(1) Assurés, si vous saviez!, par Jehanne Collard et Jean-François Lacan (Ed. Albin Michel, 205 pp., 89 francs).

Vies brisées sur la route

Le Figaro, no. 16984
lundi 22 mars 1999 97 mots, p. 29

Départ en vacances, grand week-end, soirs de fête : la route tue 8 000 personnes chaque année. Certes, le sujet est un marronnier et il fait rarement bon de parler d’accidents. Mais Effets secondaires, un document de Dominique Maestrali, rappelle durement à la réalité. Le film s’intéresse aux proches des victimes, en particulier aux parents qui ont perdu un enfant sur la route. Les invités de Stéphane Paoli confrontent les solutions envisagées et les politiques mises en place afin d’enrayer cette hécatombe. Un débat intéressant avec Jehanne Collard, avocate, vice-présidente de la Fondation Anne-Cellier contre l’insécurité routière, Claude Got, professeur de santé publique, Bernard Potel, membre de l’association des paralysées de France et le colonel Guy Rolin, de la Gendarmerie nationale. (Forum Planète, lundi, 21 h 15)

 

Quand les assureurs sont de mauvais payeurs

Le Point, no. 1431
Économie, vendredi 18 février 2000, p. 76

Irène Inchauspé

Les tempêtes du mois de décembre les ont mis en première ligne. Submergés par les dossiers, ils cherchent à gagner du temps et rechignent à payer. Ce n’est pas nouveau. Les assureurs ont toujours été procéduriers. Mais, parfois, ils vont trop loin. Et la justice les remet en place. Témoignages.

Lothar » et « Martin », les tempêtes qui ont dévasté la France en décembre, vont coûter cher aux assureurs. Un sinistre de cette amplitude donnera sans doute lieu à de nombreuses réclamations de la part des assurés. « Vétusté », « franchise » : beaucoup d’entre eux ont déjà entendu ces mots et s’attendent à des remboursements inférieurs à la valeur des biens endommagés. Il est vrai qu’une tempête, c’est exceptionnel.

Ce qui l’est moins, ce sont les difficultés quotidiennes rencontrées par les assurés pour se faire rembourser. Car les assureurs ont « mal » quand ils paient. En indemnisant les victimes, pourtant, ils ne font que leur métier, résumé dans cette formule des Llyods, la célèbre compagnie britannique : « l’assurance, c’est la contribution du grand nombre aux malheurs de quelques-uns. » Dans les faits, les malheureux n’ont trop souvent que leurs yeux pour pleurer.

Les victimes des petits sinistres n’ont pas trop de problèmes. Tôle froissée, pare-brise éclaté, inondation de salle de bains, ces « pépins » donnent rarement lieu à des contentieux. Seul désagrément, les compagnies ne sont jamais très pressées de payer et tentent parfois de débourser le moins possible. « Pour ces sinistres de “masse”, les choses se passent plutôt bien », confirme Jean-Marc Blamoutier, avocat spécialisé.

Il en va tout autrement pour les cas plus exceptionnels et plus graves. Les assureurs changent alors de ton et adoptent parfois des comportements dépourvus de la moindre humanité. Car cela coûte cher d’indemniser les victimes d’accidents de voiture, ou leurs ayants droit, et les compagnies se font parfois tirer l’oreille pour payer.

Pourtant, une loi votée le 5 juillet 1985, dite loi Badinter, aurait dû améliorer la situation des victimes. Avant, les conducteurs devaient souscrire une assurance couvrant les dommages causés à autrui. Mais les contrats comportaient de nombreuses exclusions. « Si les victimes appartenaient à la famille du conducteur, elles n’étaient pas indemnisées, raconte Jehanne Collard, avocate spécialisée (1). Qu’un enfant traverse hors des clous, qu’un vieillard ne voie pas le feu passer au vert, et ils étaient tenus responsables de leur propre malheur. »

En 1985, le législateur a donc décidé que les victimes ou leur famille seraient indemnisées de façon automatique, sans qu’il soit besoin de désigner un responsable de l’accident ni de prouver une faute. « Mais l’assureur du conducteur reste libre de fixer l’indemnisation, et cette loi a finalement encouragé le marchandage généralisé de la douleur », s’indigne Jehanne Collard. Indignation fort légitime, car, hélas, les exemples foisonnent.

Le « prix » d’une mère

Le 4 août 1998, Robert S., un artisan serrurier alsacien, qui préfère garder l’anonymat, perd sa mère dans un accident de la route. Quelques jours plus tard, il reçoit la visite de l’inspecteur d’Allianz, son assureur. Celui-ci n’a guère le temps de s’apitoyer : « Nous allons parler fric », voilà les propos qu’il tient en guise de condoléances. Il propose une première indemnisation (140 000 francs), qui réduit à la portion congrue la « valeur économique de la défunte ».

En effet, Robert S. logeait ses parents au premier étage de sa maison, sans leur faire payer de loyer. En échange, sa mère s’occupait de ses trois petits-enfants, allait les chercher à l’école, les gardait jusqu’au soir. Elle veillait aussi sur son mari malade. Cette situation n’affecte en rien la détermination de l’inspecteur, qui enfonce le clou : « De toute façon, votre mère n’en avait plus pour longtemps. Et puis, si vous aviez conduit la voiture vous-même, elle ne serait pas morte. » Furieux, Richard S. jette l’inspecteur hors de chez lui. Quelques jours plus tard, ce dernier augmente un peu sa proposition, mais refuse de la mettre sur papier.

Robert S. écrit à la direction d’Allianz à Strasbourg, en relatant les propos « scandaleux » tenus par l’inspecteur. L’assureur, sans doute embarrassé – sa représentante à Strasbourg n’a pas souhaité répondre à nos questions -, paiera finalement 900 000 francs… soit plus de six fois et demie la proposition de départ.

Cette fois-ci, l’affaire s’est réglée « à l’amiable ». Mais, parfois, elle se termine au tribunal. « Evidemment, aller en justice coûte cher et il faut attendre en général au minimum deux ans pour que le jugement soit rendu », déplore Jehanne Collard. Mais le jeu en vaut parfois la chandelle. Christelle Bordeau en sait quelque chose. Le 10 octobre 1996, elle perd son concubin âgé de 26 ans dans un accident de voiture. Le responsable du drame est assuré chez Groupama. Mais l’assureur ne fera aucune proposition d’indemnisation, alors qu’il y est tenu, légalement, dans les huit mois qui suivent le sinistre. Or Christelle Bordeau vit pratiquement sans ressources, avec deux enfants à charge, dont la dernière, Aurore, a 1 an à peine.

Deux ans de procédure

Conseillée par Bruno Scardina, avocat à Angers, elle assigne l’assureur au tribunal en novembre 1996, en son nom et pour ses enfants. Devant une telle détermination, Groupama passe à la vitesse supérieure et sort un argument inattendu. L’avocat de la compagnie demande que soit prouvé le lien de filiation entre le défunt et Aurore. En effet, la petite fille n’avait pas été encore reconnue par son père et portait le nom de sa mère. Celle-ci sera contrainte d’engager une action en reconnaissance de paternité naturelle… La procédure prendra deux ans. Le 22 novembre 1999, soit plus de trois ans après le décès du compagnon de Christelle, Groupama et son assuré sont finalement condamnés à payer plus de 400 000 francs à Christelle Bordeau.

« L’assureur a été mal inspiré de ne pas faire de proposition d’indemnisation, reconnaît Paul Baylac, secrétaire du médiateur de Groupama. Mais c’est bien dommage que Christelle Bordeau n’ait pas cherché à nous contacter plutôt que d’aller en justice. Nous aurions pu régler l’affaire à l’amiable. » Réponse de Bruno Scardina : « C’était plutôt à Groupama de contacter ma cliente ! Nous sommes dans un cas typique de carence de l’assureur. » Le tribunal lui a donné raison.

Pour se défendre, les assureurs, unanimes, expliquent, chiffres à l’appui, que ce type de conflits est tout à fait marginal. De quels chiffres s’agit-il ? En France, on compte environ 150 millions de contrats d’assurance. Chaque année surviennent près de 10 millions de sinistres qui donneraient lieu à seulement 50 000 litiges. Une goutte d’eau… Mais ces estimations, établies par la Commission consultative de l’assurance, remontent à 1992. A l’époque, seules quinze compagnies, représentant à peine 40 % du marché, avaient répondu aux demandes de la Commission. Le chiffre obtenu a été ensuite extrapolé… pour aboutir aux fameux 50 000 litiges, chiffre « au caractère très approximatif » – selon les termes mêmes de la Commission – et qui n’a d’ailleurs pas été réactualisé depuis.

Aujourd’hui, les assureurs affirment ne pas tenir de statistiques sur les litiges, procédures juridiques ou autres contentieux qui les opposent aux assurés. « Il y a trop de contrats différents, ça n’aurait pas de sens de tenir des statistiques globales », indique Paul Baylac. D’autres médiateurs estiment que ces statistiques ne serviraient pas à grand-chose.

Les assureurs britanniques, eux, n’hésitent pas à publier des chiffres. Ainsi, en 1997, ils ont recensé près de 900 000 litiges, un chiffre en constante augmentation depuis 1990. « Nous devons reconnaître que les assurés ont parfois raison, et en tenir compte pour nos futurs contrats », conclut l’Association of British Insurers. Par contraste, la faiblesse et la stabilité du chiffre français paraissent surprenantes. Ce manque d’information alimente la suspicion à l’égard des assureurs et accrédite les arguments des avocats qui défendent les assurés.

La PME ne se laisse pas faire…

Les témoignages de ces derniers sont particulièrement édifiants dans le monde, peu médiatisé, des PME. Les petits patrons victimes d’un sinistre grave ont souvent le sentiment de se trouver face à une organisation anonyme et toute-puissante, qui décide de leur sort de manière arbitraire. « En cas de contentieux, cinq chefs de PME sur dix renoncent, pour de petits montants, à être indemnisés, raconte Jean-Marc Vassards, gérant de la Société européenne d’expertise et conseil industriel. Parmi ceux qui contestent, trois autres acceptent un remboursement médiocre, un autre dépose le bilan et le dernier va au tribunal. »

Georges Lancelin, industriel de Langeais (Indre-et-Loire), bien connu dans les milieux de la Défense mais aussi dans celui de l’espadrille, entre clairement dans la dernière catégorie. Il a déposé plainte, en mars 1999, pour tentative d’escroquerie, contre Axa Global Risks, et, ès qualités, contre Claude Tendil (directeur général d’Axa), et… Claude Bébéar, président du groupe. La plainte est en cours d’instruction.

Le contentieux qui oppose Lancelin à Axa est vieux de dix ans. En 1991, l’industriel conclut avec une société tchèque un contrat ayant pour objet la fourniture, clés en main, d’une usine représentant un investissement de 200 millions de francs. Pour se garantir contre les risques divers que comportait cette opération, la société de Lancelin (à l’époque, Barracuda Industries) souscrit un contrat d’assurance auprès d’Uni-Europe (devenue Axa Global Risks) et d’une compagnie tchèque. Fin 1992, un accident survient lors du déchargement des marchandises destinées à l’usine.

A partir de là, tout s’emballe. Les assureurs refusent de payer, en arguant que les marchandises n’étaient pas conditionnées correctement. Les procédures (une trentaine jusqu’à aujourd’hui) traînent en longueur. L’usine ne sera jamais construite, et Lancelin devra déposer le bilan de ses sociétés.

Un grossier traquenard

L’affaire rebondit en 1997 : les assureurs proposent à Lancelin de signer un protocole. L’accord est le suivant : l’industriel reçoit 20 millions de francs pour solde de tout compte et, en échange, il reconnaît avoir fait de fausses déclarations lors de la souscription des contrats. Pour Jean Bedoura, l’avocat de Lancelin, le stratagème est clair. « C’était un piège grossier ! L’aveu de Lancelin aurait permis aux assureurs de faire valoir la nullité du contrat et de ne pas payer ! Il lui aurait aussi valu d’aller en prison », estime l’avocat. « Il y a clairement tentative d’escroquerie », juge Jean Bedoura, qui a donc déposé plainte. Pour Axa, c’est du côté de Lancelin qu’il faut chercher l’arnaque : l’assureur a porté plainte « contre X ». La justice tranchera.

Tous les litiges ne sont pas aussi complexes. « Mais les assureurs cherchent toujours à gagner du temps », explique Jean-Marc Blamoutier. Car, en face d’eux, ils savent que le particulier ou le chef d’une petite ou moyenne entreprise n’ont pas les moyens d’attendre. « Il faut obtenir très vite de l’assureur un chiffrage écrit du dommage », conseille l’avocat. Or les assureurs ont horreur d’écrire, et pour cause ! « Chiffrages en main, il est possible d’obtenir la somme en allant devant le tribunal. Ensuite, il faut plaider sur le solde ! » rappelle Blamoutier.

Il faut lire les contrats

Ce qui ne convient pas aux assureurs, qui rechignent toujours à payer. « Ils ne règlent pas facilement, confirme Jean-Michel Adam, huissier de justice. Il faut très souvent faire exécuter les décisions du tribunal. »

A la décharge des assureurs, il faut reconnaître que peu de clients lisent dans le détail les contrats qu’ils signent. Or même les contrats simples en apparence peuvent receler de redoutables pièges.

Quoi de plus simple, par exemple, que d’acheter à crédit ? Chez le banquier, le client signe pour son prêt, mais souscrit aussi une garantie qui stipule qu’en cas de « pépin » l’assureur prendra en charge les échéances de l’emprunt. Pour être assuré, l’heureux acquéreur doit remplir un questionnaire de santé. Mais ni le banquier ni le client n’y prêtent vraiment attention, tant ils sont pressés de conclure leur affaire. « C’est bien dommage ! Car, en cas de sinistre, l’assureur ressort le questionnaire et, avec l’aide de son médecin-conseil, recherche les antécédents médicaux non déclarés pour invoquer la nullité du contrat », explique Jean Pringault, président de la Ligue des droits des assurés.

Ainsi, Lucien Bourdin souscrit, en mai 1994, un emprunt immobilier de 330 000 francs. Il tombe gravement malade quelques mois plus tard et demande aux AGF, qui garantissent son prêt, de prendre en charge les échéances de son emprunt. L’assureur mandate son médecin pour l’examiner. Au cours de l’examen, Lucien Bourdin indique à l’expert qu’il perçoit une pension d’invalidité de 651,33 francs par an pour une clavicule cassée en… 1961 ! Mais il avait oublié de le déclarer dans le questionnaire de santé. Fausse déclaration implique nullité du contrat : les AGF refusent de payer !

Les ficelles les plus grosses

Sur les conseils de Jean-Claude Poli, expert d’assuré, Lucien Bourdin écrit à Pierre Baudez, le médiateur de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). Celui-ci estime que la « fausse déclaration » de l’assuré n’a pas été faite dans le but de tromper l’assureur. « J’ai aussi noté que cette clavicule cassée n’avait pas empêché l’assuré de faire par la suite son service militaire dans les troupes aéroportées, puis de mener une carrière de cycliste amateur de haut niveau ! » poursuit Pierre Baudez. Lucien Bourdin était donc en bonne santé quand il a souscrit son assurance, et le médiateur conseilla l’assuré et sa compagnie de nommer un expert pour en juger.

Beaux joueurs – car l’avis du médiateur de la FFSA n’est pas contraignant -, les assureurs ont préféré rembourser les mensualités réglées par Bourdin depuis son accident. « Nos services ont pour mission d’appliquer tout le contrat, mais seulement le contrat, explique-t-on aux AGF. L’examen du droit à garantie par le gestionnaire se fait uniquement sur pièces pour la plupart des réclamations. »

Les assureurs n’ont pas peur d’user des ficelles les plus grosses. Pratiquement, il n’y a aucune chance qu’ils reconnaissent une invalidité professionnelle si l’assuré est valide. Il faudrait qu’il soit dans le coma… André Glomeau, chauffagiste, en fait la triste expérience. Il est victime, en décembre 1997, d’un accident du travail. Il bénéficie d’un contrat souscrit auprès de la MAAF, qui garantit la perte de revenus et le versement d’une rente en cas d’invalidité. Après deux expertises médicales, André Glomeau est considéré comme guéri le 28 août 1998.

A cette date, un médecin, expert près de la cour d’appel de Bourges, estime tout de même qu’il « existe une inaptitude à son métier de chauffagiste, totale et définitive ». Mais il ajoute qu’« André Glomeau n’est pas inapte à toute activité susceptible de rapporter gain ou profit ». Donc, le versement d’une rente n’est pas justifié.

Quand on a 56 ans, comme André Glomeau, et que l’on a été toute sa vie chauffagiste, il est en effet si facile de démarrer une nouvelle activité ! Il pourrait bien sûr « être, en théorie, professeur de chinois, répétiteur de bridge, ravaudeur de caleçons, de même qu’il pourrait s’élever au niveau des mathématiques les plus éthérées, tel ce paralytique célèbre qui manie les machines les plus complexes par les seuls mouvements de ses yeux », selon les termes choisis d’un arrêt, rendu dans un cas similaire, mais contre un autre assureur, par la cour d’appel de Riom en décembre 1995 (la compagnie avait été condamnée à payer)…

C’est ce qu’a fait remarquer Jean-Pierre Esnault, dirigeant d’un cabinet de conseil aux assurés, qui assiste Glomeau dans ce litige, à son assureur. Mais la Maaf n’en démord pas : « Les dispositions de notre contrat sont claires et sans ambiguïté », indique la personne qui suit le dossier. Ont-elles été bien expliquées à l’assuré quand il a signé son contrat ? « Certainement pas, sinon, il ne l’aurait pas signé », conclut Jean-Pierre Esnault.

Plus mal traités qu’à la sécu

La Maaf n’est certes pas la seule compagnie à rédiger ce genre de clause. « Les assurances sont d’abord des entreprises commerciales et privées, on ne peut pas leur imposer une définition de l’invalidité », explique un de leurs représentants. Tout aussi indéniable que, si les compagnies remboursaient tout le monde, sans tenir compte des limites de garantie figurant dans les contrats, les primes exploseraient, et plus personne ne pourrait s’assurer.

Cette logique économique est inattaquable. Une compagnie d’assurances, comme toute autre société, est soumise à des contraintes de rentabilité économique. Après de nombreuses fusions, les principaux assureurs sont désormais des mastodontes, qui ont parfois du mal à digérer leurs acquisitions, ce qui peut expliquer certains « loupés ».

Mais cela n’explique pas pourquoi les clients de ces groupes privés sont parfois plus mal traités qu’à la Sécurité sociale ou à l’Urssaf. Certains d’entre eux reprendraient sans doute volontiers à leur compte cette réplique de « Love and Death », un film de Woody Allen de 1975 : « Il y a pire que la mort, ceux qui ont déjà passé une soirée avec leur assureur me comprendront. »

Ombudsman, le supermédiateur

En Grande-Bretagne, on ne badine pas avec la médiation. L’Insurance Ombudsman Bureau (IOB), institution saisie des conflits entre les assurés et leur compagnie (pour tous les contrats, sauf ceux d’assurance-vie), a les moyens de se faire respecter. Près de 90 personnes – parmi lesquelles des avocats, des juristes, des professionnels de l’assurance – y travaillent à temps plein. Elles disposent d’un budget annuel de 35 millions de francs et ont rendu, en 1998, 3 444 décisions, dont un bon tiers favorables aux assurés.

En comparaison, la France fait pâle figure. La Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) dispose bien d’un médiateur. Mais seul, sans moyens réels d’investigation, il traite… 200 litiges par an. Certaines compagnies ont préféré se doter de médiateurs maison : Axa, la CNP, le GAN, Groupama, la GMF ou les Mutuelles du Mans emploient ainsi souvent des magistrats à la retraite. Enfin, le Gema (Groupement des entreprises mutuelles d’assurances) dispose de son propre médiateur. Au total, donc, une dizaine, peut-être quinze personnes seulement, pour résoudre à l’amiable les conflits avec les assurés.

Services gratuits

En Angleterre, au contraire, les assureurs font masse. L’IOB compte aujourd’hui 255 adhérents (qui représentent 90 % du marché), tous volontaires. L’institution reste indépendante de ses bailleurs de fonds, les assureurs, puisque ceux-ci ne disposent que de trois sièges sur onze au conseil d’administration, les autres étant occupés par des consommateurs.

Dans les affaires qu’il traite, l’ombudsman tente d’abord la conciliation. Si celle-ci n’aboutit pas, et si la demande semble fondée, il peut imposer à l’assureur d’indemniser son client jusqu’à un plafond de 1 million de francs. Au-delà, l’avis n’est pas contraignant, mais, dans les faits, il est toujours suivi. « Si un assureur ne respecte pas l’une de nos décisions, cela peut nuire à son image », explique un porte-parole de l’IOB.

Grâce aux interventions de cette institution, les assurés britanniques ont désormais conscience qu’ils ont le droit de se plaindre. L’IOB leur en donne les moyens : les services prodigués par l’organisme sont gratuits et la procédure à suivre est ultrasimple. L’assuré passe juste un coup de fil pour exposer son cas, et l’Iob lui renvoie un dossier, pour signature. Ce sont aussi ces professionnels qui préviennent l’assureur. « Nous avons simplifié à l’extrême la procédure pour les assurés, car nous avions conscience que beaucoup étaient rebutés par l’écrit. Résultat : le nombre de réclamations a explosé en 1999 », indique l’Iob.

Les cas traités par ce supermédiateur devraient continuer à augmenter fortement dans les années à venir. Au bénéfice, aussi, des assureurs : chaque trimestre, l’Iob publie des exemples de conflits résolus, qui sont épluchés à la loupe par la profession.

La galère des Gressard

Voilà cinq ans que leur garage, près de Dijon, a brûlé, et ils n’ont pas touché un sou, alors qu’ils estiment le sinistre à 5 millions de francs environ. Mais, pour l’assureur, c’est le garagiste qui avait mis le feu. Jean-Noël et Yvette Gressard sont encore sous le choc. « En cas de conflit, il n’y a plus rien d’humain. On est face à de grands groupes financiers. Votre vie privée ? Ils s’en foutent. Les emplois que vous détruisez ? Pareil. » Récit.

Dans la nuit du 8 au 9 février 1994, à 2 heures du matin, le garage prend feu. Dommage, car l’affaire tournait bien : depuis dix ans, les Gressard travaillaient d’arrache-pied. Fin 1993, le garage employait 10 salariés, réalisait près de 3 000 réparations par an. Assuré ? Il l’était, et même bien, par Axa (au départ, par le groupe Drouot) : « On payait près de 70 000 francs de primes par an, tout était couvert, même les pertes d’exploitation », raconte Jean-Noël Gressard. Ainsi, même s’il est accablé par l’incendie qui a fait partir en fumée les trois quarts de son installation, Gressard reste confiant. Naïvement : quelques mois plus tard, il passera quarante-huit heures en garde à vue, puis sera emmené, menotté, au tribunal de Dijon !

« En fait, tout allait bien jusqu’à ce que l’on demande une provision sur notre indemnité. D’abord à l’amiable, puis au tribunal », raconte Yvette. Axa prend mal ce sursaut de l’assuré et dépose plainte contre X pour incendie volontaire. Un grand classique, imparable, qui permet à l’assureur de suspendre le chiffrage du sinistre. Qui a bien pu mettre le feu ? le garagiste lui-même, pardi ! C’est évident. Une rapide enquête des gendarmes, une lettre anonyme, et le tour est joué.

Heureusement, le tribunal ne l’entend pas de cette oreille : rien ne prouve que Gressard est coupable et rien ne justifie sa mise en détention. Le garagiste devra tout de même attendre près de trois ans pour avoir son non-lieu définitif ! Trois ans de galère : il faut d’abord licencier une bonne partie des employés. La banque ne prête plus un sou et Axa résilie tous les contrats d’assurance. Heureusement, les clients sont solidaires.

Dès que le non-lieu est tombé, les Gressard ont de nouveau assigné Axa devant le tribunal, mais trop tard : il y aurait, semble-t-il, prescription. L’affaire est en appel. « A quoi ça sert d’être assuré ? » se demande Jean-Noël Gressard, complètement écoeuré. Bonne question. I. I.

Un livre choc contre « l’insécurité routière »

Le Parisien
vendredi 13 avril 2001 146 mots, p. 9

Hugues de Lestapis

«LE SCANDALE de l’insécurité routière » (*) appartient à la famille des livres coup de poing dont on sort aussi groggy que perplexe. Y sont dénoncés pêle-mêle « les revirements successifs des pouvoirs publics, une politique de répression en trompe-l’oeil, une justice trop souvent indulgente avec les chauffards », etc. « Depuis un demi-siècle, écrit Jehanne Collard, 500 000 Français sont morts sur les routes.

Et on va répétant que les industriels ont pourtant tout fait pour limiter les dégâts, que la puissance publique, désarmée, ne peut que baisser les bras. » L’avocate spécialisée dans la défense des victimes entreprend donc de « dévoiler les mensonges de la politique de sécurité routière, de dire la vérité les rapports enterrés, les lois votées à la sauvette pour blanchir décideurs et élus ». Pour elle, « l’omerta qui entoure la sécurité routière cache un scandale du même ordre que celui du sang contaminé ».

Et elle n’exclut pas l’idée qu’il faudra bien, un jour, traduire les responsables devant la Cour de justice de la République…

Les vrais chiffres des victimes de la route

Le Point, no. 1491
Laser Société, vendredi 13 avril 2001 279 mots, p. 072

Christophe Labbé; Olivia Recasens
Sécurité routière. Un livre met en cause les statistiques des pouvoirs publics et leur part de responsabilité.

Les chiffres des accidents de la route sont-ils truqués ? C’est l’accusation lancée par Jehanne Collard, avocate spécialisée dans la défense des victimes de la route, et le journaliste Jean-François Lacan, qui sortent cette semaine, à la veille du week-end de Pâques, l’un des plus meurtriers de l’année, un livre intitulé « Le scandale de l’insécurité routière : à qui profite le crime ? » (1) Explication : lorsqu’en France les pouvoirs publics compta- bilisent les victimes de la route, ils le font avec une méthode particulière qui ne prend en compte que les décès survenus moins de sept jours après l’accident, contre trente jours dans les autres pays industrialisés. « Dans le bilan officiel des 8 000 morts de la route que l’on nous vend chaque année, il “manque” donc les 2 000 à 3 000 victimes qui décèdent dans les sept à trente jours après l’accident », explique Jehanne Collard. Mais, même en « dégonflant » les chiffres, la France reste avec le Portugal la lanterne rouge de l’Europe. Une place que les pouvoirs publics ont tôt fait de mettre sur le dos de l’automobiliste. « Trop souvent, son seul comportement est montré du doigt, et on oublie que la route sur laquelle il roule a aussi sa part de responsabilité, qu’il s’agisse d’un virage mal dessiné, d’une chaussée déformée ou d’un carrefour dangereux. » Et Jehanne Collard de dénoncer le fait que ce sont les Directions départementales de l’équipement (DDE), celles-là mêmes qui ont construit les infrastructures routières, qui en contrôlent la sécurité. Et cela ne risque pas de changer puisque le Parlement a récemment retoqué une loi qui proposait de créer un organisme indépendant pour évaluer la sécurité des équipements routiers. « Pourtant, dans 42 % des accidents mortels, on relève des défauts de l’infrastructure. » Il n’existe en France aucune norme pour les équipements routiers. En attendant, les auteurs ont fait le calcul. A raison d’un mort par heure et d’un total annuel de 23 000 blessés graves dont 3 000 resteront handicapés à plus de 50 %, il en coûte chaque année à la collectivité 120 milliards de francs…

L’économie cachée de l’automobile

Le Figaro, no. 17631
Le Figaro Économie, mardi 17 avril 2001 393 mots, p. 8

Laurence CHAVANE

Se faire reconnaître parmi les pays les plus sûrs au monde en matière de risque n’empêche pas la France d’être lanterne rouge de l’Europe pour les accidents de la route. Après le remarquable livre du professeur de médecine Claude Got (Risquer sa peau), une avocate et un journaliste, Jehanne Collard et Jean-François Lacan dénoncent à leur tour l’économie cachée de l’automobile. « Les vies humaines, assurent-ils, importent moins que le pouvoir de l’argent. »

Les auteurs listent les acteurs de ce scandale : Etat, justice, constructeurs automobiles, garagistes, assureurs, lobbies de l’alcool… sont considérés comme les responsables, réfléchis, des 8 000 morts par an. Une responsabilité à froid nettement plus grave que celle du brûleur de feu rouge. Dès 1990, un ingénieur calculait que l’addition des soins médicaux, frais funéraires et de justice, expertises et assurances, dommages causés au domaine public, perte de production des tués et accidentés, jusqu’au coût des embouteillages qui ont suivi l’accident, s’élevait à un total de plus de 100 milliards de francs par an.

Les recettes fiscales perçues auraient convaincu l’Etat de jouer du double langage comme les assureurs qui encaisseraient 90 milliards de francs par an de primes au titre de la responsabilité civile obligatoire. Leur stratégie étant d’accroître ces fonds pour réaliser de juteux placements, ils n’auraient pas intérêt à réduire les sinistres qui serviraient l’appel de fortes cotisations.

Ces approches peuvent être contestées et ne sont pas nouvelles. Sauf qu’elles pointent l’importance des masses financières en jeu et la multitude d’intérêts qui abondent la cagnotte de l’« argent du malheur ». Par l’assurance défense recours qui fait croire que l’assureur a intérêt à défendre ses clients contre lui-même, par les experts et médecins-conseils des compagnies qui pèsent sur les décisions judiciaires, par les « associations » très commerciales qui jouent les intermédiaires entre familles et assureurs, par la Sécurité sociale qui profite sur le dos de la victime de la convention de règlement automatique avec l’assurance, par les « marchands de tôle » grâce auxquels les Français consacrent chaque année 85 milliards de francs à l’achat de voitures et autant à leur entretien (chiffres 1998).

Et lorsque ces professionnels se mobilisent pour la sécurité routière, ils créent le contrôle technique des véhicules jugé totalement infondé. En effet, les voitures qui ont le plus d’accidents sont les plus récentes, les plus rapides et les plus grosses, assurent les auteurs. Celles-là mêmes qui consomment d’ailleurs le plus de carburant. Sans omettre que les conducteurs les plus dangereux pour les autres sont très largement ceux des plus puissantes cylindrées…

Ces intérêts représentent des sommes telles que l’on sort de cette lecture assez convaincu que seul l’argent peut expliquer autant d’immobilisme ou de machiavélisme. De surcroît dans un pays qui consacre des milliards à lutter contre l’épidémie de la vache folle dont le risque en vie humaine a été évalué entre 6 et 300 morts… La comparaison est insoutenable. Car le monde a changé et les citoyens réclament des responsables.

A qui profite le crime ?

La Croix
Vendredi 4 mai 2001 222 mots, p. 24
LE SCANDALE DE L’INSECURITE ROUTIERE de Jehanne Collard et Jean-François Lacan. Albin Michel, 241 p., 98 F, 14,94 E.
Rebuffel Catherine

«A qui profite le crime ? », s’interrogent de manière provocante les auteurs de cet ouvrage réquisitoire contre ce qu’ils nomment « le scandale de l’insécurité routière ». Car même si, en l’an 2000, on a épargné 429 vies par rapport à l’année précédente, il n’y a pas de quoi pavoiser, affirment les auteurs. D’une part, les statistiques n’intègrent pas tous ceux qui décèdent six jours après l’accident. D’autre part, avec 7 600 morts « officiels », la France se situe encore dans les derniers pays européens pour la sécurité routière.

Et de disséquer, au fil des chapitres, comment on en est arrivé là. Essentiellement, ce sont « l’indifférence », l’« aveuglement » et l’« incohérence » des pouvoirs publics qui seraient responsables de 500 000 morts de la route en un demi-siècle. Car, après avoir mis en accusation les infrastructures, puis la fatalité, ce sont les conducteurs eux-mêmes qui sont désignés par les autorités comme les principaux responsables.

Soit, disent les auteurs, mais les automobilistes ne sont-ils pas un peu aidés dans leur conduite irresponsable par la faiblesse de la répression ? Et que dire de la pusillanimité des gouvernements devant le lobby des constructeurs de bolides toujours plus puissants ? D’autres secteurs tirent aussi leur épingle du jeu, comme le système d’assurance, qui « n’a pas intérêt à la réduction des accidents de la route ».

Bref, tous responsables, et pas seulement l’automobiliste indiscipliné, estiment Jehanne Collard et Jean-François Lacan. Livre de colère, cet ouvrage pointe bien les dysfonctionnements en matière de sécurité routière. Mais on reste perplexe sur l’accusation finale envers le lobby industriel allemand, qui empêcherait l’Europe d’imposer une limitation de vitesse à la construction. Les lobbies français ou italien seraient-ils plus raisonnables ?

Catherine REBUFFEL

L’alcool au volant, histoires de vies brisées.

La Croix
Jeudi 13 juin 2002 272 mots, p. 23
Fléau national : des inconscients au volant provoquent 2 500 morts chaque année. Envoyé spécial. Jeudi, France 2, 21 h 05.
FAUCHER Nicolas

«Dans un sens, c’est vrai que je roulais sans permis et sans assurance. De là à dire que je suis dangereux… non ! » Thierry était aussi pris de boisson lorsqu’il a causé l’accident de la route pour lequel il purge une peine de prison ferme. Ce jeune multirécidiviste de la délinquance routière oublie les deux victimes qu’il doit dédommager pour « coups et blessures involontaires ». A son avocate, il demande seulement s’il pourra reconduire en sortant. Pour reprendre son travail d’avant : coursier.

L’alcool au volant est responsable de 2 500 morts par an en France. Le plus souvent, la vitesse entre pour une bonne part dans ces drames quotidiens. Mais toujours l’inconscience en est le détonateur. Voilà ce que souligne clairement le reportage de Claire Lajeunie et Julie Zwobada. La notion de délinquance émerge enfin pour qualifier ce délit routier. Des familles de victimes et leurs avocats mènent de longue date un combat pour faire évoluer les mentalités. Comme le martèle maître Jehanne Collard, « les petits braqueurs sont davantage victimes de l’opprobre social que les chauffards ».

Et pourtant, que de vies brisées en quelques secondes. Les différents témoignages des victimes ne l’illustrent que trop cruellement. Célia était enceinte lorsqu’elle a été percutée par un homme ivre : son grand-père a été tué sur le coup ; trois semaines plus tard, son enfant est né prématurément, vraisemblablement handicapé à vie. Au tribunal, après trois ans de jugement, la voix tremblante et pleine de sanglots, elle décrit son calvaire : « Cet homme a tué mon passé, rendu mon présent insupportable, handicapé mon avenirà »

Egalement conscients du carnage, d’autres jouent la carte de la prévention. Ainsi Lionel Walker, le maire de Saint-Fargeau-Ponthierry en Seine-et-Marne, s’efforce-t-il de sensibiliser les jeunes de sa commune aux dangers de l’alcool au volant. Son opération « Conducteurs pas tueurs » fait des émules parmi les adolescents et certains gérants de débit de boisson. Malheureusement, leur constat est souvent pessimiste : « Il faut que ça nous arrive à nous, sinon, on n’est pas touché. »

Nicolas FAUCHER

Ça n’arrive pas qu’aux autres

Le Parisien
jeudi 27 juin 2002 456 mots, p. 10
Accidents de la route/Anne-Hortense : « Je suis une maman dépendante »

Marc Payet

Suite de témoignages d’accidentés de la route. Anne-Hortense, 44 ans, victime d’un carambolage sur la route des vacances, est restée paraplégique.

«AVANT, c’était moi, la mère, qui protégeait mes enfants. Depuis l’accident, ce sont eux qui me soutiennent. Nos rapports se sont complètement inversés. » Pour Anne-Hortense, restée paraplégique à la suite d’un carambolage le 10 octobre dernier, la vie a basculé après le « trou noir » de l’accident. « Pour une maman, c’est tout à fait bouleversant de se retrouver dans cette situation de dépendance. Pourtant, si on ne l’accepte pas, on ne s’en sort pas. » Depuis qu’elle est en fauteuil roulant, Anne-Hortense a dû se faire violence, chaque jour pendant trois mois, dit-elle, « avant de prendre le pli ». Elle, femme indépendante, active, secrétaire administrative, n’éprouve plus de gêne si son aînée, Anne-Charlotte, 21 ans, lui propose de faire les courses à sa place, pour remplir les placards de la maison familiale de La Celle-Saint-Cloud (Yvelines). Elle apprécie aussi les coups de main de Charles, son premier fils, âgé de 18 ans, et d’Edouard, 13 ans, pour l’aider à franchir en fauteuil roulant un trottoir un peu élevé. Anne-Hortense a pu se « reposer » sur son mari, qui a « tout assumé ». Lui qui venait tout juste de perdre son emploi, et multipliait déjà les démarches pour rechercher un nouveau poste. L’accident a redistribué brutalement les priorités. Lui s’en est tiré miraculeusement avec un tibia cassé, et a clopiné tous les jours au chevet de sa femme, poursuivant comme il pouvait sa quête d’emploi. « Cette angoisse professionnelle s’ajoutait à nos tourments de santé », évoque sa femme.

« Ce qui me scandalise, c’est que ce chauffeur a toujours le droit de sillonner les autoroutes »

Dans la salle de cantine du service de rééducation fonctionnelle de l’hôpital de Garches, cette femme mince et coquette, le brushing impeccable, lâche abruptement sa « haine ». Tirant nerveusement sur sa cigarette, elle déverse sa colère immense contre le chauffard qui a « brisé » sa vie. « Et dire qu’il roule encore, celui-là ! » Selon les rapports des gendarmes, le conducteur du camion roulait en excès de vitesse, en surcharge, avec une remorque mal arrimée et sans feux arrière. Quatre raisons de provoquer un drame. Ce soir-là à 23 heures, sur l’autoroute A 13 à hauteur d’Evreux, Anne-Hortense et son mari mettaient le cap vers la Normandie pour une semaine de repos. A 200 m devant eux, une première voiture a percuté le camion mal éclairé au moment de le doubler, et les deux véhicules se sont mis en travers de la chaussée, formant un mur de métal infranchissable. Le « suraccident », comme l’appellent les spécialistes, était inévitable. Sept voitures se sont encastrées les unes dans les autres dans le carambolage. « Mon mari n’a pas eu le temps de freiner », soupire-t-elle, très lasse. Passagère à l’avant, elle a été durement touchée et hospitalisée en urgence, à Rouen. « Ce qui me scandalise, c’est que ce chauffeur a toujours le droit de sillonner les autoroutes de France comme bon lui semble. Et il y en aura des centaines au volant, comme lui, dès demain, à l’occasion des départs en vacances, qui feront peut-être des morts. Mais, apparemment, en France tout le monde s’en fout ! Moi, j’ai la moelle épinière sectionnée et je commence mon huitième mois de rééducation à Garches. » Huit mois après les faits, la date du procès n’est pas encore fixée, et aucune suspension du permis de conduire du routier n’a été prononcée. Maître Jehanne Collard, qui défend Anne-Hortense, y voit l’illustration de « l’inertie » en matière de sanctions des délits routiers. Anne-Hortense dénonce aussi un retour en force de « l’éloge de la vitesse ». « Je suis tombée par hasard sur un reportage sur M 6 dans l’émission Turbo où l’on expliquait comment “booster” les moteurs de voitures. Ça m’a tuée », lâche-t-elle.

AUTOMOBILISTES, attention !

Le Parisien
vendredi 28 juin 2002 379 mots, p. 5
Départs en vacances
Cet été, prudence à deux-roues
Marc Payet

AUTOMOBILISTES, attention ! Soyez particulièrement vigilants sur les routes aujourd’hui et demain mais aussi dans votre station de vacances. Les automobilistes qui sortent de boîtes de nuit éméchés, les conducteurs de scooters qui slaloment sur les avenues embouteillées en bord des plages, souvent sans casque parce qu’il fait chaud, sont autant de graves dangers d’accidents. Pour preuve, le mois de juillet 2001 a été le plus meutrier de l’année, avec 753 tués et 10 097 blessés. En 2001, le nombre de tués a augmenté de 14 % chez les motards et les conducteurs de scooters. Prudence, donc. Car en plus du drame humain, l’accident peut entraîner des conséquences financières très graves pour les conducteurs rendus responsables des « torts ». « En fonction des circonstances de l’accident, la répartition des torts sera variable. Et de cette décision dépendra le montant de l’indemnisation touchée », explique M e Jehanne Collard, avocate spécialisée dans le domaine des accidents de la route. La loi protège particulièrement les passagers et les piétons, qui ont le statut de « victimes privilégiées » et qui n’ont pratiquement jamais de torts reconnus contre eux. « Sauf cas rarissime où l’enquête prouve qu’un passager a lui-même tourné le volant de la voiture dans un geste suicidaire », explique Jehanne Collard. Lorsqu’un conducteur de voiture ou un motard a un accident tout seul, il a toujours 100 % des torts. Si l’accident implique deux parties, l’enquête décidera de la répartition des torts en fonction des éventuelles infractions au Code de la route ou du degré d’alcoolémie constatés.

Préjudices corporel, esthétique, professionnel , moral…

Il arrive souvent que les torts soient partagés moitié-moitié ou à un quart-trois quarts entre les deux conducteurs. « Si une moto arrive à 110 km/h et qu’un automobiliste lui coupe la route, le conducteur de la voiture aura 75 % des torts pour le refus de priorité, et le motard 25 % des torts pour l’excès de vitesse », souligne Jehanne Collard. Si le conducteur a 100 % des torts, il ne peut pas prétendre à indemnisation. S’il a 50 % des torts, il touchera 50 % de l’indemnisation. Ce montant est calculé en fonction de différents préjudices. Le préjudice corporel (variable en fonction de la gravité des blessures), le préjudice esthétique, professionnel (dont le montant varie en fonction du manque à gagner mensuel de la victime). Il faut aussi estimer le préjudice moral pour le conjoint (dans certains cas, le préjudice sexuel est même calculé…), évaluer la prise en compte des dépenses à effectuer par l’invalide pour aménager son domicile, et éventuellement embaucher une tierce personne… « Les indemnités obtenues varient de quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs millions d’euros », explique Jehanne Collard. Même si aucune indemnité n’est accordée, le paiement des soins est assuré par la Sécurité sociale, et la mutuelle en complément. Pour se couvrir, les assurances prévoient des contrats particuliers qui garantissent une indemnité élevée, même en cas de 100 % des torts. Reste le volet pénal. Un conducteur impliqué dans un accident mortel, avec une alcoolémie supérieure aux normes autorisées, a maintenant de très forts risques d’être condamné à de la prison ferme, pour quelques mois. A méditer avant de partir au soleil.

Deux ans ferme pour un chauffard: “scandale” pour les victimes

AFP Infos Françaises
Général, vendredi 16 janvier 2004 – 17:33

CRETEIL (AFP) – Un automobiliste responsable de la mort de cinq jeunes gens en 2001 a été condamné vendredi à Créteil à deux ans de prison ferme, une peine dénoncée par les familles des victimes comme un “scandale”, tandis que le parquet a fait appel du jugement.

Me Jehanne Collard, avocate des proches d’Arnaud, Thibault, Audrey, Robin et Maxime, a affirmé que cette décision, “par son laxisme scandaleux, met à néant toute la politique gouvernementale de lutte contre l’insécurité routière et toute la mobilisation sociale qui s’en est suivie”.

Le conducteur Pascal Domer, 34 ans, avait causé la mort de ces cinq jeunes alors qu’il conduisait à vive allure et en état d’ébriété sur une autoroute près de Rungis, à la hauteur de Pondorly (Val-de-Marne) en avril 2001.

Le passager, Didier Ferrières, 44 ans, qui avait pris la fuite à pied avec le conducteur après l’accident, a été relaxé.

A l’audience du 19 décembre, le parquet avait requis cinq ans de prison, dont un avec sursis, à l’encontre du conducteur et 18 mois de prison dont 12 avec sursis contre le passager.

Les deux prévenus étaient poursuivis pour mise en danger de la vie d’autrui avec risque immédiat de mort ou d’infirmité, non-assistance à personne en danger et délit de fuite.

appel du parquet

La Fondation Anne-Cellier, qui lutte contre la violence routière, a fait part de “son soutien plein et entier à la révolte des familles des victimes” du conducteur, condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis.

Christiane Cellier a fondé cette association après la mort de sa fille Anne, tuée à 22 ans par un chauffard ivre le 26 juin 1986 en banlieue parisienne.

Dans un communiqué, la fondation a “demandé solennellement au garde des Sceaux Dominique Perben de demander au parquet d’interjeter appel de cette décision dans l’intérêt de la loi”. Le parquet de Créteil l’avait précédée en faisant appel de ce jugement.

“La relaxe du passager, coupable de lâcheté, est vraiment regrettable. Il est difficile d’imaginer qu’il ignorait que son conducteur avait bu et qu’il n’avait aucune conscience de la vitesse à laquelle il roulait. Sa fuite signe une conduite impardonnable”, a déclaré à l’AFP Geneviève Jurgensen, porte-parole de la Ligue contre la violence routière.

Mme Jurgensen a cependant tenu des propos plus tempérés sur le cas du conducteur: “Deux ans de prison ferme, ce n’est pas rien. Un tel jugement était impensable il y a seulement trois ans. On peut comprendre que le parquet fasse appel, mais souvenons-nous de quelle impunité on vient”.

 

Accepter son enfant handicapé

Tribune de Genève
Parents, samedi 20 septembre 2008 276 mots, p. 29

Un témoignage poignant sort en librairie. Nécessaire.

«Intermède médical donc. Je suis une IMC. Traduisez: infirme moteur cérébral. Je suis née comme cela et c’est définitif. Paraît qu’on est cinq cents, rien qu’en France, à venir au monde dans cet état chaque année.

Pas assez pour décrocher une émission à la télévision; trop pour qu’on nous oublie complètement »

Lutte pour se rencontrer

Elle, c’est Eva, la fille de Jehanne. Les deux luttent en permanence pour se rencontrer. «Il y a des jours où je n’ai que deux filles, des jours où Eva n’existe pas, confie sa mère. Des jours, des semaines, des mois même, où je m’efforce de l’effacer. Comme une tache sur une existence rêvée. Une existence où le malheur ne sera jamais définitif, irrémédiable. »

Ce dialogue, poignant, est tiré d’un ouvrage écrit à quatre mains. Explications.

On l’a compris. Jehanne a donné la vie à Eva. Une vie mutilée, dès la naissance, par une lourde infirmité motrice cérébrale.

Pendant des mois, cette mère va se battre et croire que l’amour peut faire des miracles. Cinq ans plus tard, elle doit se rendre à l’évidence: son amour a triomphé de la mort mais pas du handicap. Vient alors le temps des questions: Eva est-elle handicapée parce que sa mère a voulu mener de front sa grossesse et une carrière professionnelle éprouvante (ndlr: elle est avocate)? Ou parce que le gynécologue n’a pas diagnostiqué à temps le décollement placentaire?

Fallait-il s’acharner à sauver cette vie tronquée ou lui épargner une existence de souffrances et de frustrations?

Malgré son corps «difforme», Eva est brillante et volontaire. Elle veut devenir, à son tour, avocate.

Pendant vingt-cinq ans, la jeune fille s’est battue contre le mépris et les discriminations. Seul combat perdu: faire accepter son handicap à sa maman, vaincre un rejet qui pour Eva reste incompréhensible et insupportable.

Sans concession

Le livre mêle leurs confessions, sans concession. Et il est urgent et nécessaire de lire ce tome. Pas par voyeurisme, car il n’est pas question de cela. Simplement par humanité.

L’amour ne suffit pas face au handicap

Le Nouvel Observateur
Notre époque, jeudi 15 janvier 2009 368 mots, p. 73
L’amour ne suffit pas face au handicap

PROLONGEAU, HUBERT

Dans un livre iconoclaste La Peine de naître?», par Jehanne Collard et Eva Paul, Flammarion, 190p., 18 euros., l’avocate Jehanne Collard et sa fille handicapée explorent la difficulté de vivre ensemble

«Eva, on t’attend.» Le ton est irrité. Petite femme à l’énergie immédiatement perceptible, ceinte dans un ensemble rouge, bronzée, Me Jehanne Collard se rassoit à son bureau. La porte de la pièce s’ouvre. Et apparaît Eva. Un tout petit bout de femme, menue, blonde, plutôt jolie, maquillée avec soin. Lentement, péniblement, elle pousse les deux cannes sur lesquelles elle s’appuie. Eva est née infirme moteur cérébral. Un handicap irréversible, qui lui interdit de marcher.

Elle a 26 ans. Difficile de ne pas sentir l’amour que, malgré sa dureté, sa mère lui porte. Mais, aujourd’hui, celle-ci a le courage de dire que, malgré tout, cela ne suffit pas. «C’est une responsabilité insurmontable. Tout de suite, j’ai su que j’étais prisonnière.» Prison qu’elle refuse. Elle veut tout pour sa fille. Et surtout une vie normale. «Ca a été ma plus grande erreur.» Elle s’abrutit de travail pour lui offrir la même chose qu’à ses autres enfants, jusqu’à l’absurde (des cours d’équitation…), fait jouer ses relations pour la faire entrer dans une école «normale». «J’ai voulu l’insérer dans un système qui n’était pas le sien, refusant les centres spécialisés. Je ne supportais pas l’idée qu’elle soit handicapée.»

Quand Eva a eu 7 ans, il lui est enfin apparu évident que le problème était définitif. Alors Jehanne a fui. Sous prétexte d’une histoire d’amour avec un coureur de mers, elle est partie faire le tour du monde. «J’ai fui le quotidien. Je ne pouvais plus être dans la toute-puissance. Nier le handicap, ce n’est pas rendre service au handicapé.» Elle revient souvent, continue d’assurer financièrement. Mais ne reste pas. «L’amour ne suffit pas , dit-elle. Il peut être plus fort que la mort. Mais cède devant le handicap.»

Aujourd’hui encore, rien n’est simple. Ni apaisé. Les défis que se lance la fille (devenir avocate…) irritent la mère, qui ne croit pas qu’une handicapée puisse y arriver. «Eva se ment à elle-même» , affirme-t-elle en sa présence. Entre les deux passe autant d’amour que d’affrontement, autant le souvenir d’un lien indestructible que celui des scènes de larmes et des cuites expiatoires. Ce livre-thérapie est aussi un moyen d’arriver à se parler. Jehanne a, grâce à l’épreuve, découvert une spiritualité qui la soutient, est convaincue que tout a un sens. Eva hésite à s’engager dans le combat en faveur des handicapés. «J’ai accepté mon handicap, mais je ne veux pas être confrontée en permanence à celui des autres» , dit-elle. «C’est la preuve que tu n’as pas accepté» , affirme Jehanne. «Je l’admire énormément , ajoute-t-elle, mais je n’ai pas la patience d’attendre 25 minutes qu’elle mette ses chaussures. Je n’ai jamais pu l’avoir, et je ne l’aurai jamais.»

L’avocate Jehanne Collard a fait de la défense des victimes de la route

Le Parisien
Oise, mardi 25 octobre 2011 214 mots, p. 60
« Cet accident est inexplicable »
Propos recueillis par N.R.

Me JEHANNE COLLARD leur avocate

L’avocate Jehanne Collard a fait de la défense des victimes de la route, « le combat d’une vie ». Tous les ans, trois mille dossiers sont adressés à la célèbre avocate parisienne. Elle en retient quelques-uns. Parmi eux, celui des parents de Manon et des trois autres victimes. Une fois de plus, elle a été émue par leur tragédie et cet accident qu’elle qualifie « d’atypique ».

Qu’y a-t-il de curieux dans ce dossier?

Me JEHANNE COLLARD. Ce dossier est perturbant, car cet accident est inexplicable. Ces jeunes n’auraient pas dû mourir. Le conducteur roulait en pleine ligne droite et tout d’un coup, il a accéléré. Personne ne sait pourquoi. Contrairement à la grande majorité des accidents mettant en cause des jeunes, aucune trace d’alcool n’a été décelée sur ce conducteur. Que s’est-il passé? Y a-t-il eu une dispute? Les survivants ne se rappellent plus.

Le comportement des jeunes au volant s’est-il amélioré?

Malheureusement, nous ne sommes pas dans une phase descendante. Les jeunes pensent toujours que « quand on a 22 ans, la mort ce n’est pas pour nous ». Ils ne sont pas accessibles à l’idée de mort. Notre société a peu de poids concernant la sécurité des jeunes. Nous sommes dans un pays où l’on négocie des vies contre des bulletins de vote.

La justice est-elle dissuasive ?

Je ne suis pas persuadée que la justice considère la délinquance routière comme une vraie délinquance. Mais la justice est à l’image de ce que la société lui renvoie. Si la société jette un regard indulgent, la justice se montrera indulgente. Les peines de prison ferme sont prononcées uniquement quand il y a présence d’alcool ou si un excès de vitesse provoque la mort de plusieurs personnes.

Coupables d’être victimes

Le Monde
vendredi 21 février 1997 618 mots, p. 8
LE MONDE DES LIVRES

SOLE ROBERT

La justice est parfois cruelle pour les prévenus. Elle peut l’être encore plus pour les victimes, comme le démontre un livre très instructif de Jehanne Collard, avocate, vice-présidente de la Fondation Anne-Cellier contre l’insécurité routière.

Parler des victimes est suspect. On a l’air de céder aux sirènes sécuritaires, sinon de vouloir lyncher les coupables. Il faut pourtant en parler, ne serait-ce que pour une raison bêtement intéressée : nous sommes tous des victimes potentielles, nul n’étant à l’abri d’un accident de la route, d’une erreur médicale, d’une agression ou d’un attentat. Et celui à qui cela arrive se trouve brutalement confronté, souvent pour la première fois, à l’appareil judiciaire.

La difficulté initiale, pour une victime, est de se faire entendre, car la plupart des plaintes sont classées sans suite. Certes, il y a toujours moyen d’utiliser la procédure de citation directe ou de se constituer partie civile. Encore faut-il le savoir. Et, de toute manière, cela peut coûter cher, la justice n’aimant pas qu’on lui force la main. “Le plus indépendant, le plus courageux des juges est bien plus prompt à défier le pouvoir qu’à recevoir des plaintes et à écouter des victimes”, constate Jehanne Collard.

Obtenir l’ouverture d’un dossier n’est qu’un premier pas. Très vite, les victimes se heurtent à la lenteur de la procédure, qui les désarçonne. Onze mois en moyenne pour un vol, dix mois pour un homicide involontaire, quarante mois pour un crime. Dans de nombreux cas, les indemnités attribuées par des tribunaux correctionnels sont gelées en raison d’un appel des compagnies d’assurances. Le code de procédure pénale reste très discret sur les droits de la victime à obtenir réparation dans un délai raisonnable. Le prévenu, lui, a heureusement ! obtenu des garanties.

Autre étape : l’expertise. Beaucoup d’espoirs sont mis dans cet acte technique devant faire émerger la vérité, définir les responsabilités et fixer le montant du préjudice. Or c’est l’une des plus grandes sources de désillusions et de colère. Dans des pages très sévères, Jehanne Collard dénonce un “détournement de la loi”. Le magistrat, explique-t-elle, s’en remet de plus en plus souvent à l’avis d’un expert. Celui-ci a tendance à aller au-devant des désirs implicites du magistrat, ce qui lui donne une bonne chance d’être embauché par celui-ci pour un dossier ultérieur…

Mais l’épreuve la plus dure des victimes est de se sentir exclues de la procédure, qui ressemble à un tête-à-tête entre la justice et le prévenu. Comme si, par leur seule présence, elles risquaient de dénaturer l’enquête et de perturber la décision. Le souci d’empêcher une vengeance privée a conduit, au fil des siècles, à écarter la victime pour laisser place à l’Etat. “Le crime ou le délit jugé n’est plus un préjudice commis par une personne à une autre personne mais un manquement aux lois, un trouble à l’ordre social.” L’accusé a perturbé cet ordre et doit en répondre devant la puissance publique.

Chassées par la porte, les victimes rentrent parfois par la fenêtre, grâce à des associations. Puisque la justice refuse l’expression individuelle au nom de l’intérêt général, une action collective a été engagée. Elle s’exerce aujourd’hui dans des domaines aussi variés que les atteintes à l’environnement ou les dégâts causés par le terrorisme. Mais, pour cela, il a fallu forcer la porte des tribunaux, et le combat continue. De grands progrès sur lesquels le livre n’insiste pas assez ont été accomplis depuis 1981, à l’initiative de Robert Badinter.

Se venger ? Ce n’est pas le souci des victimes ou de leurs familles, souligne Jehanne Collard. Si elles ont tant besoin de se faire entendre, comprendre ce qui est arrivé, obtenir l’aveu d’un coupable ou d’un responsable, c’est pour pouvoir continuer à vivre. La famille d’une personne tuée dans une catastrophe ou un attentat ne peut s’en tenir à la fatalité : elle ne fera son deuil qu’à partir du moment où les responsabilités seront établies. De la même manière, l’enfant victime d’un viol ou d’un inceste ne retrouvera le respect de lui-même que lorsque la justice aura pu mettre un nom sur sa souffrance et punir son bourreau. Au fond, “si les victimes ont recours à la justice, c’est pour savoir qu’elles ne sont pas coupables”.

L’avocate conclut son livre par un guide pratique. On y apprend comment se procurer un procès-verbal de police après un accident de la route, comment saisir la Commission d’indemnisation, se retourner contre un hôpital, dénoncer une bavure administrative ou même mettre en cause une loi… Elle nous laisse un peu sur notre faim en évoquant la métamorphose de nombreux blessés de la vie qui, après avoir connu successivement le désespoir, la colère ou la révolte, finissent par tirer une force étonnante de l’épreuve traversée. Simple pudeur peut-être, Jehanne Collard ayant elle-même subi un grave accident de la route avant de se consacrer à la défense des victimes.

Assurances tous risques

Sud Ouest
mardi 27 octobre 1998 484 mots, p. 2

Propos recueillis par PIERRE TILLINAC

« SUD-OUEST ». – Alors, vous partez en guerre contre les assurances ?

JEHANNE COLLARD. – Il y a un malentendu profond entre assureurs et assurés. Avant le sinistre, l’assuré est persuadé que l’assureur est disposé à lui rendre service, que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. L’assureur, lui, a une logique économique. Les assureurs sont là pour faire des bénéfices, pas pour venir en aide aux gens sans contrepartie. L’assurance est devenue essentiellement une activité financière.

« S.-O. ». – Les assureurs n’ont-ils que des défauts ?

JEHANNE COLLARD – On peut reprocher beaucoup de choses aux assurances. Et notamment le fait qu’elles ne respectent pas réellement les victimes. J’ai entendu des inspecteurs dire : « Ah bon ! elles ont 2 et 3 ans et ont perdu leur mère. Le préjudice moral n’est pas important. A cet âge-là, on ne se rappelle plus. »

« S.-O. ». – De leur côté, les assurés font-ils tout ce qu’il faut ?

JEHANNE COLLARD – Il y a quelques jours, j’ai reçu la visite d’une jeune femme qui avait été victime d’un cambriolage dans son appartement. Son assureur venait de lui faire savoir que ses bijoux volés ne seraient pas remboursés puisqu’elle ne lui avait pas signalé la présence de bijoux à son domicile. Tout le monde connaît des situations de ce genre. C’est le problème des clauses ambiguës, des clauses pas claires. En général, les assurés sont mal informés, ils ne savent pas lire leurs contrats.

« S.-O. ». – Vous dites que la société assurantielle se bâtit sur le dos des assurés.

JEHANNE COLLARD – Vous en doutez ? La société d’assurance a une activité dont elle doit tirer profit. L’assuré peut avoir recours au contrôle judiciaire. Mais encore faut-il savoir qu’il existe. Il faut en avoir les moyens et il faut aussi que l’affaire en vaille la peine.

« S.-O ». – C’est un rapport de forces constant…

JEHANNE COLLARD – Il y a un fort et un faible. Et ce sont toujours les mêmes.

« S.-O ». – Mais quelles sont les armes à la disposition du faible ?

JEHANNE COLLARD – Premièrement, il faut s’enfermer chez soi pendant une semaine pour lire son contrat de fond en comble. Deuxièmement, il faut mettre les compagnies d’assurances en concurrence, même si cela risque de devenir de plus en plus difficile. Troisièmement, il ne faut pas hésiter à se tourner vers le judiciaire. Cela peut être long et coûteux pour l’assuré, mais la simple menace d’un recours devant les tribunaux peut parfois suffire à faire avancer les choses.

« S.-O. ». – Il suffit d’aller devant un tribunal pour obtenir satisfaction ?

JEHANNE COLLARD – Non. Cela ne règle pas tous les problèmes. Mais si on parle d’indemnisation des accidentés de la route, je crois que le fait de faire intervenir un avocat fait augmenter rapidement l’indemnisation de la victime. Pour un petit accident d’auto avec une côte cassée, cela ne sert à rien. Mais dès que l’on rentre dans des préjudices corporels graves ou des préjudices moraux, il est bon de s’adresser à un avocat.

Les exemples sont nombreux. J’ai un client qui a perdu la vue à la suite d’un accident de voiture. Dans un premier temps, la compagnie a envoyé une quittance de 100 000 francs. J’ai répondu que la somme était insuffisante compte tenu du fait que mon client était aveugle. Par retour du courrier, ils ont envoyé 250 000 francs. Les premières fois, cela vous surprend. Après, vous avez compris le mécanisme.

Un autre exemple. Une femme perd sa fille dans un accident d’auto, elle ne s’intéresse pas à l’argent mais veut connaître les raisons exactes de l’accident. Au bout de quelques mois, n’ayant pas obtenu les informations qu’elle recherchait, elle me confie le dossier. En m’expliquant son affaire, elle me précise que la compagnie d’assurances lui a proposé 70 000 francs. Je téléphone à l’assureur en lui disant simplement que la somme ne correspond pas à ce qui est habituellement versé pour la disparition d’une fille unique. Sans discuter, la compagnie a envoyé une quittance de 95 000 francs.

Vous êtes sûr, docteur ?

Sud Ouest
mercredi 3 mai 2000 552 mots, p. 2

Recueilli par MICHÈLE DURCY
DÉBAT/JEHANNE COLLARD et JEAN-FRANÇOIS LACAN

« SUD-OUEST ». – Peut-on évaluer le nombre d’erreurs médicales en France ?

JEHANNE COLLARD. – C’est difficile, car il s’agit d’un sujet tabou. Les rares statistiques disponibles ne rendent pas compte de la réalité. Les évaluations se font par recoupements : on estime que le nombre d’erreurs médicales oscille entre 10 000 et 20 000 par an. Un chiffre qu’il faut rapporter aux 400 millions d’actes médicaux pratiqués chaque année.

« S.-O. ». – Vous écrivez que le scandale de l’erreur médicale n’est pas qu’elle existe mais qu’elle soit systématiquement niée par les médecins. Comment expliquez-vous ce comportement ?

JEAN-FRANÇOIS LACAN. – Il y a d’abord une explication culturelle. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le médecin n’est pas juridiquement responsable de ses actes. Il faut attendre 1936 pour voir vraiment apparaître les procès en indemnisation. Pendant très longtemps, les praticiens ont eu le sentiment de n’avoir de compte à rendre qu’à Dieu ou à leurs pairs. Ils étaient intouchables. D’où leur réaction, teintée d’incompréhension et d’indignation, à chaque fois qu’ils sont mis en cause.

Il y a ensuite un corporatisme médical très actif. Les experts désignés par les tribunaux concluent la plupart du temps à l’absence de faute pour protéger leurs collègues. Enfin, en droit français, il est très difficile de prouver une faute médicale. C’est au plaignant d’en apporter la preuve et il se retrouve seul face à un système très organisé pour retenir l’information.

« S.-O. ». – La jurisprudence a toutefois évolué positivement en matière de droit des victimes ?

J.-F. L. – Tout à fait. Auparavant, les tribunaux administratifs qui jugent les erreurs médicales survenues dans les hôpitaux publics ne condamnaient que pour une faute grave; aujourd’hui, ils condamnent pour simple présomption de faute. Désormais, si vous êtes admis dans un hôpital pour y subir une opération et que vous en ressortez avec une maladie que vous n’aviez pas à l’entrée ou avec un handicap hors de proportion avec les conséquences prévisibles de l’acte opératoire, la responsabilité de l’Etat est engagée, même s’il n’y a pas eu faute.

Ce n’est pas le cas pour les tribunaux civils, qui traitent les erreurs commises dans les établissements privés. Ils exigent toujours l’existence d’une faute et sa démonstration pour accorder une indemnisation. Cependant, la justice civile commence elle aussi à prendre en compte les infections acquises lors d’un séjour dans une clinique.

Par ailleurs, les médecins sont désormais tenus d’informer les patients des risques encourus lors d’un acte médical, et en cas de problèmes, ils doivent apporter la preuve qu’ils ont bien rempli leur devoir d’information. Avant, c’était au malade de prouver qu’il n’avait pas été correctement informé. C’est une protection importante pour les patients.

A chaque fois que la jurisprudence évolue positivement en faveur des victimes, la corporation des médecins se crispe, brandit le spectre d’une dérive à l’américaine, avec une multiplication des procès en perspective. Mais si l’on observe depuis dix ans une croissance du contentieux civil, c’est-à-dire des demandes d’indemnisation, il y a environ 3 000 plaintes déposées au civil par an et 250 au pénal. Nous sommes donc très loin de la situation américaine.

« S.-O. ». – D’autant que l’action en justice s’apparente à une course d’obstacles.

J. C. – Cela reste effectivement un combat difficile, long et coûteux qui décourage de nombreuses victimes. Dans notre livre, nous rappelons aux patients qu’ils ont des droits, que les praticiens ont des devoirs et que dans la relation médecin-malade, il faut savoir relever la tête, et ne pas se comporter en objet docile. Nous donnons des conseils simples sur les démarches à entreprendre.

« S.-O. ». – Vous plaidez aussi pour le dialogue et la transparence.

J.-F. L. – Oui. Il faut en finir avec les attitudes de fuite, de silence gêné, voire d’agressivité, face aux demandes d’explication légitime du malade ou de sa famille. Si déjà les médecins avaient le courage de reconnaître leur erreur, la plupart des patients ne saisiraient pas la justice. Ce qui les révolte, c’est de se heurter à un mur de silence quand ce n’est pas un mur d’indifférence ou de mépris; c’est de constater que le praticien en qui ils avaient confiance les évite, les abandonne et leur dissimule la vérité.

Toutes les victimes que nous avons rencontrées nous ont dit : « On ne leur en veut pas d’avoir commis une erreur, on leur en veut de nous avoir menti. »

Massacre routier : le reflet d’une société

Sud Ouest
jeudi 10 mai 2001 514 mots, p. 2

Recueilli par FRANK DE BONDT
DÉBAT/JEHANNE COLLARD

« SUD-OUEST ». – Qui est responsable du grand massacre de la route en France ? Les automobilistes eux-mêmes ou tous ceux, l’Etat en tête, qui laissent faire ?

JEHANNE COLLARD. – Il est clair qu’à la base il y a le comportement de l’automobiliste et l’état des infrastructures routières. Mais, à partir du moment où l’on sait que ce comportement ne va pas se modifier seul et qu’il est à l’origine d’un drame quotidien, il n’y a que l’Etat qui puisse prendre des mesures autoritaires pour faire changer ce comportement. Or, il ne le fait pas.

La politique de sécurité routière oscille entre des périodes d’activisme désordonné et d’autres d’immobilisme béat. Ses principes sont l’incohérence et l’inconséquence. La loi sur le dépistage préventif d’alcoolémie date de 1978, mais il a fallu attendre sept ans pour l’homologation des éthylomètres électroniques capables de détecter l’alcoolémie sans risque d’erreur. Vingt-trois ans plus tard, la majorité des services de police et de gendarmerie attend toujours la livraison des appareils. Ce n’est qu’un exemple.

« S.-O. ». – Vous traitez également le système répressif de « vraie passoire »…

J. C. – Nous avons une justice qui n’a pas les moyens de travailler. Le contentieux de la délinquance automobile est un contentieux de masse, mais le nombre des magistrats n’a pas augmenté en conséquence. A cela s’ajoute le fait que la justice n’est que le reflet d’une société à un moment donné.

Quand elle est laxiste vis-à-vis de délinquants routiers, elle retranscrit l’inconscient collectif français, qui considère que ce n’est pas grave de tuer quelqu’un sur la route. Votre meilleur ami assassine une petite fille, ce n’est plus votre meilleur ami. Votre meilleur ami tue une petite fille sur un passage piéton, cela reste votre meilleur ami… Il n’y a pas de rejet social de la violence routière.

« S.-O. ». – Est-ce pour la même raison que la volonté politique de mettre fin au massacre par des mesures draconiennes est également défaillante ?

J. C. – C’est évident. S’il y avait une volonté politique réelle, cela changerait rapidement. J’ai observé depuis un an un changement du côté de la justice. A quoi est-il dû, pensez-vous ? Aux campagnes d’information, parfois brutales, qui ont été enfin menées, notamment à la télévision. La volonté politique consisterait à imprimer un interdit à la société. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Lorsqu’on définit un délit de grand excès de vitesse, on tolère, en réalité, les petits excès.

« S.-O. ». – Prônez-vous la tolérance zéro ?

J. C. – Bien sûr.

« S.-O. ». – Pourquoi sommes-nous à la traîne, en Europe, dans le domaine de la sécurité routière ?

J. C. – Ce n’est certainement pas lié à un prétendu comportement méditerranéen, puisque l’Italie et l’Espagne nous devancent. On en revient donc à l’absence de véritable volonté de combattre ce fléau. Personne, chez nous, ne veut prendre le risque de mécontenter un électorat puissant. A la limite, l’automobiliste préférera payer plus d’impôts plutôt que d’être privé de sa liberté de rouler comme il l’entend.

La deuxième raison tient au fait que certaines mesures se heurteraient à des pouvoirs économiques très puissants.

« S.-O. ». – Lesquels ?

J. C. – Les constructeurs, les fabricants d’accessoires, les producteurs de boissons alcoolisées, les tenanciers de bar et de discothèque, les assureurs, également, qui, pour la plupart, sont actionnaires des grands centres de rééducation. Les primes perçues par le système d’assurance automobile sont bien supérieures aux indemnités versées. L’intérêt financier des compagnies n’est pas la réduction des accidents. Enfin, il y a toutes les activités qui gravitent autour des handicaps. C’est devenu un fabuleux business.

« S.-O. ». – Peut-on imaginer qu’un jour l’Etat soit poursuivi par une victime de la route ?

J. C. – Oui, et je l’espère. A mon avis, cela va arriver prochainement. Des victimes vont mettre en cause la responsabilité des ministres. Pas seulement à cause d’infrastructures déficientes, mais au nom du principe de précaution. Nous disposons de rapports d’experts où sont préconisées des mesures qui n’ont jamais été prises. La faute des pouvoirs publics sera facile à démontrer.

Pourquoi vend-on des autos capables de rouler à plus de 200 kilomètres-heure ? Parce que l’Etat accepte que soient mises sur le marché des voitures infractionnistes.