Incendie de l’usine Lubrizol : l’exemple d’un fiasco de communication de crise
En termes d’exemples de gestion et de communication de crise, il y a les bons élèves, et les autres. Ceux qui ne prennent pas les mesures adéquates, qui n’informent pas correctement la population et les parties prenantes, qui manquent de transparence. Ce fut notamment le cas des autorités françaises lors de l’incendie qui a touché l’usine Lubrizol en septembre 2019. Pour Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom, c’est un « modèle de communication de crise à éviter ».
Un message qui se voulait rassurant, mais qui s’est révélé contre-productif
Florian Silnicki était l’invité de CNEWS pour décrypter la stratégie de communication de crise des autorités publiques face à l’accident industriel qui a touché l’usine Lubrizol à Rouen. Il y donne son avis d’expert, démontrant que la communication de crise déployée pour tenter de faire face à l’incendie de Lubrizol à Rouen a été défaillante. Maladroite, elle n’a pas su rassurer les riverains inquiets par leur exposition potentielle aux résidus de combustion de produits chimiques. En cherchant à rassurer le public, les services publics de l’État n’ont fait qu’accentuer l’inquiétude légitime des habitants de la ville.
Pourquoi cette volonté de rassurer n’a pas été efficace ? Pour l’expert en communication de crise, face à cet accident industriel qu’est l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, lors de la conférence de presse du Préfet, rappeler que la qualité de l’air était tout à fait normale est au mieux inefficace, au pire maladroit. En effet, les maux de tête, vomissements, asphyxies soudaines dont souffrent certains riverains, ainsi que les fumées noires qui se dégagent de l’usine, appellent de la part du porte-parole de l’État une empathie, une transparence et une mobilisation particulière. Adopter cette posture aurait permis de rassurer les riverains et leurs familles et d’apaiser les inquiétudes légitimes, tout en leur fournissant des informations qui corroborent les ressentis des habitants.
Une diffusion d’informations en contradiction par rapport aux actions menées
Si les autorités (préfet, ministre, président de la Métropole Rouen Normandie, etc.) se veulent rassurants dans leur discours en évoquant qu’il n’existe pas de risques pour la santé ni pour l’environnement, les mesures mises en place sont assez drastiques. La circulation a été limitée dans les alentours de l’usine, les populations vivant à proximité ont été confinées et certaines écoles ont été fermées. Les forces de l’ordre et les sapeurs-pompiers ont également été déployés en nombre.
Aux yeux du public, cela laisse supposer que le danger est bien réel, même si ces restrictions et fermetures sont annoncées comme de simples mesures de prévention des risques sanitaires.
Affirmer que l’air n’est pas toxique et qu’aucune particule dangereuse n’a été émise suite à l’incendie entre donc en réelle contradiction avec la réalité des actions mises en place. Que croire dans ce contexte ? Que l’information diffusée est erronée et bien trop prudente pour être vraie ? Ou que la mise en place de mesures n’est pas une alerte, mais une précaution et qu’aucun risque majeur n’existe pour la sécurité et la santé des habitants ?
Ainsi, si la gestion de cet événement a été remarquablement menée, la communication de crise déployée pour y faire face a été ratée. La colère des habitants de la métropole, et de la population à travers toute la France, qui a éclaté sur les réseaux sociaux en témoigne.
La perte de légitimité face aux populations comme conséquence
« Alors qu’année après année, une défiance croissante s’installe à l’égard de la parole institutionnelle sur les sujets sanitaires, le politique ne devrait pas attiser les peurs. Il faut reconnaitre que la communication de crise du préfet n’a pas été à la hauteur de l’incendie de l’usine Lubrizol » affirme Florian Silnicki, fondateur de LaFrenchCom, invité de BFMTV. #rouen
À travers cette phrase, Florian Silnicki souligne un problème récurrent pour les acteurs (préfecture, porte-paroles de l’État, etc.) qui doivent régulièrement gérer des situations de crise : la perte de crédibilité des autorités et la méfiance des populations. Le déni comme technique de communication de crise donne l’impression d’être très efficace pour celui qui l’emploie. Les conséquences de cette mauvaise stratégie de communication de crise sont pourtant systématiquement ravageuses pour l’image de celui qui l’a adoptée.
Et l’accumulation de mauvais choix en situation de crise ne fait qu’aggraver l’image de l’organisation qui en a la charge. En témoignent notamment les réactions sur les réseaux sociaux et le mécontentement de la population lors de la crise du covid-19. Comment faire confiance à une institution qui a maintes fois fait des erreurs de communication, manqué de transparence et s’est contredite, quand bien même elle a déjà géré avec brio d’autres communications de crise ? C’est une question existentielle pour toute organisation, qui se doit de définir les risques de crises auxquelles elle est confrontée (accidents industriels, menace de l’environnement, crises sanitaires, etc.), de mettre en place un processus clair et un plan de communication centré sur la transparence, l’empathie et la diffusion d’informations objectives (suite à des analyses scientifiques ou à un rapport juridique par exemple). Il convient également pour les acteurs concernés de réaliser une analyse post-crise, de sorte à ne pas reproduire les mêmes erreurs dans la gestion et la communication de futures crises.