Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Communication de crise : comment s'excuser ?

lance amstrong

Quand s’excuser est l’épreuve la plus dure dans le sport d’élite

Pour LaFrenchCom, l’objectif de ce billet est de :

  • analyser comment et pourquoi les réseaux sociaux permettent de tisser des liens entre les sportifs d’élite et leurs fans
  • examiner comment les fans de sport réagissent sur les réseaux sociaux aux aveux faits par un athlète d’élite après une longue période de déni
  • peser les risques et bénéfices des canaux traditionnels et réseaux sociaux pour maitriser le message de confession et sauvegarder l’image et la réputation
  • étudier le rôle des réseaux sociaux dans le cas où un sportif d’élite tombe en disgrâce de manière spectaculaire
  • réfléchir aux implications en matière de gestion de la communication de crise dans le sport

Les réseaux sociaux sont très importants lors des crises (McLean, 2014), et le petit monde des sportifs d’élite, qui jouissent souvent d’une vie privilégiée au-delà de ce que peuvent imaginer leurs fans, n’y fait pas exception. L’univers du sport est par essence un terrain fertile aux crises, notamment aux crises liées à la réputation. Les rumeurs sur les écarts – ou les fraudes – des athlètes d’élite, largement relayées sur les réseaux sociaux, se répandent comme une trainée de poudre. Cela peut aller de la concurrence pendant une compétition sportive (Brown et Billings, 2013) à la « décision consciente et portée par l’émotion » de se doper (Overbye et al., 2013).

Summers et Morgan (2008, p. 176) soulignent que « l’offre et la demande constantes d’informations, de compétitions et d’excitation donnent naissance à des héros, des méchants, des célébrités et des superstars ». Dans ce cadre, « une célébrité sportive est constamment épiée et fait l’objet d’attentes de plus en plus fortes de la part des fans ». Ce n’est pas vraiment surprenant, car comme le fait observer Dimeo « le sport est fondamentalement associé aux notions de gagner, de hiérarchie, d’élitisme et à l’idée que les perdants n’ont droit à rien » (2007, cité dans Lopez, 2010, p. 134).

Les Fans sont des personnes très intéressées par un sport, une équipe ou un sportif en particulier. Le mot « fan » est l’abréviation de « fanatique », un terme utilisé pour se référer aux personnes ayant un comportement obsessif.

C’est dans ce contexte largement malsain que la « valeur marchande » d’un sportif d’élite est mesurée à l’aune de sa « réputation auprès du public » (Brazeal, 2008), laquelle selon Hopwood (2007) s’appuie sur de bonnes relations avec les parties concernées, comme les autres athlètes, les directeurs sportifs, les coaches et, surtout, les fans.

Ce billet s’attache à analyser le cas du célèbre cycliste d’élite Lance Armstrong qui est tombé en disgrâce en janvier 2013, après avoir confessé devant des millions de téléspectateurs, dans l’émission américaine Oprah Winfrey Show, qu’il se dopait depuis longtemps, après l’avoir nié pendant des années rappelle Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom.

Ce passage écrit par le blogueur Richard Finger de Forbes.com, résume bien le contexte de ce billet :

« Dans l’Enfer imaginé par Dante, Lance Armstrong se trouverait dans le huitième cercle, spécialement réservé à ceux qui se sont adonnés à la fraude. Comment pouvons-nous faire confiance à un homme quand la base même de sa carrière réside dans quinze années de tromperie ? »

Notre étude du cas de Lance Armstrong, un utilisateur avide de twitter, vous donne un aperçu de l’univers du sport d’élite et des puissantes dynamiques à l’œuvre sur les réseaux sociaux pour louer les champions et diaboliser ceux qui sont tombés en disgrâce par leur propre faute. Bien que Lance Armstrong utilise beaucoup les réseaux sociaux, il a choisi les médias traditionnels pour révéler sa pratique du dopage. En fait, la décision de Lance Armstrong de « se confesser » dans l’émission de télévision d’Oprah Winfrey lui a en fait mis à dos ses légions de fans sur les réseaux sociaux, où les réactions sont allées de l’incrédulité au choc (News.comau, 2013). La raison en est peut-être les liens forts tissés par l’intermédiaire des réseaux sociaux, que vous avez peut-être pu constater par vous-même, permettant par exemple de bâtir des ponts entre un sportif d’élite et ses fans, qui peuvent lui pardonner ses errements, mais jusqu’à un certain point seulement. De plus, au cours de sa « confession », Armstrong ne s’est pas excusé sans réserve et a ensuite ignoré le problème sur les réseaux sociaux, ce qui n’a fait qu’augmenter l’indignation des fans. Près du tiers des 1,5 millions de messages publiés sur les réseaux sociaux dans les jours suivants la confession « avait une opinion modifiée sur lui », et 24 % « pensaient que sa carrière était finie » (Polipulse, 2011). Ironie de la situation, ce sont les réseaux sociaux qui ont amené Lance Armstrong à se confesser. En étouffant ses larmes, Lance Armstrong a dit à Oprah Winfrey qu’il avait pris la décision de reconnaitre ses torts après que son fils l’ait défendu contre des accusations de dopage sur le site d’Instagram (Bacon, 2013). Même ces expressions d’émotion n’ont pas réussi à convaincre certains fans de sa sincérité. L’un a même tweeté : « Les larmes de Lance Armstrong testées positives pour narcissisme » (Yadav, 2013).

Sportif d’élite : une personne qui excelle dans un sport et obtient régulièrement d’excellents résultats au plus haut niveau – souvent, mais pas exclusivement, dans l’univers du sport professionnel.

Médias traditionnels : les méthodes de dissémination de l’information nées avant les technologies modernes et n’utilisant que la communication dans un seul sens, vers les lecteurs dans la presse écrite (journaux, magazines), les téléspectateurs à la télévision et les auditeurs à la radio.

Étude de cas pratiques : quand la communication de crise nous fait plonger dans les cercles de l’enfer

Lors de deux soirées en janvier 2013, Lance Armstrong, le cycliste mondialement connu ayant survécu au cancer, fondateur de la Livestrong Foundation, médaille de bronze aux Jeux olympiques et gagnant inégalé de sept Tours de France, a finalement reconnu devant l’animatrice Oprah Winfrey et une audience de 4,3 millions de téléspectateurs ce que beaucoup de gens suspectaient : qu’il avait utilisé des substances permettant d’améliorer les performances tout au long de sa carrière sportive.

Dans une déclaration publiée dans l’heure suivant la diffusion de l’entretien, Travis Tygart, le PDG de l’agence américaine de lutte contre le dopage (la « United States Anti-Doping Agency » ou USADA), l’organisation contre laquelle Lance Armstrong se battait depuis des années car elle l’accusait de dopage, a écrit : « Lance Armstrong a enfin reconnu ce soir que sa carrière cycliste était basée sur un cocktail puissant de dopage et de tromperie » (USADA, 17 janvier 2013). Lance Armstrong était sans aucun doute une icône sportive mondiale, mais il était aussi devenu, au fur et à mesure de sa carrière, une figure qui divisait l’opinion. Jusqu’à 1994, année où il a commencé à travailler avec le docteur Michele Ferrari, qui était connu, même à l’époque, pour doper les cyclistes (Roberts et Epstein, 2011), Lance Armstrong avait obtenu des résultats modérés mais pas exceptionnels. En 1995, sa série de victoires a commencé, il s’est hissé à la septième place dans les classements internationaux et a rejoint l’équipe française Cofidis.

En 1996, âgé de seulement 25 ans, on lui a diagnostiqué un cancer des testicules qui s’est rapidement propagé à l’ensemble de son corps. Le diagnostic vital ne lui était pas favorable. Cependant, après un traitement agressif, il était en rémission dès le début de l’année 1997. Un an plus tard, en 1998, il est remonté en selle et a fait un grand retour après sa maladie : « Sponsorisé par Nike, US Postal Service (USPS), Discovery Channel, RadioShack, Anheuser- Busch, Oakley, Nissan, Trek-Bicycle Corp, Johnson Health Tech, SRAM Corporation, FRS, Easton-Bell Sports, Honey Stinger et 24-Hour Fitness Gyms, Lance a rassemblé une équipe armée en matière de technologie cycliste, équipement sportif, nutrition et capital. » (Young, 2013, p. 1)

En 1999, après avoir réussi l’incroyable et gagné son septième Tour de France consécutif, il est devenu une légende vivante. Il a rappelé cela lors de son discours d’ouverture du World Cancer Congress (conférence mondiale contre le cancer) à Montréal en août 2012. Il avait déclaré la semaine précédente qu’il ne s’opposerait plus aux accusations de dopages portées contre lui par l’USADA, laquelle annulerait ses victoires depuis 1998. Cette décision incluait ses sept victoires au Tour de France : « Je m’appelle Lance Armstrong. J’ai survécu à un cancer. Je suis père de cinq enfants. Et, oui, j’ai gagné le Tour de France sept fois de suite » (Associated Press, 2012). La stature iconique et exemplaire de Lance Armstrong a été encore renforcée par ses liens avec la Livestrong Foundation, qui le désigne comme « notre fondateur » sur son site Internet (Livestrong Foundation, 2013). « La fondation Livestrong et lui formaient un tout indivisible ; il n’était pas juste un cycliste, il était une personne ayant survécu à un cancer. Il attribuait sa bonne santé physique et sa volonté de fer au fait d’avoir survécu à la maladie, ce qui semble avoir encore amplifié le culte dont il faisait l’objet. » (Young 2013, p. 1). Armstrong a contribué à créer et promouvoir son image de héros sportif invincible. Cependant, ce que ses millions de fans ne voyaient pas, ou peut-être ne voulaient pas voir, c’est que derrière tout cela, Lance Armstrong était en fait un tricheur, qui utilisait son pouvoir de manière non respectueuse de l’éthique (Young 2013, p. 8).

Communication de crise : fans, liens et attentes

À cette période, Lance Armstrong semblait comprendre l’importance et le pouvoir de fans et les atouts que représentaient les interactions sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas surprenant quand on sait que les fans, qui représentent l’élément vital du sport, sont liés autour du sport par l’intellect et l’émotion (Gantz, 2012) et peuvent, via les réseaux sociaux, dialoguer avec d’autres fans, pouvant vivre à des milliers de kilomètres, sur des registres différents – d’une discussion fouillée à la simple conversation amicale. Gantz explique que « ces forums de discussion peuvent divulguer des informations ainsi que servir de porte-voix pour exprimer et galvaniser le plaisir ou le mécontentement des fans » (2012, p. 184).

Les réseaux sociaux sont des sites Internet et applications mobiles, comme Twitter et Facebook, qui permettent à leurs utilisateurs de générer et partager  du contenu ou participer à un réseau social

La théorie de l’identité sociale est utile pour analyser la manière dont l’identité est forgée par l’association avec des groupes. Osborne et Coombs (2013) expliquent que les fans associent leur identité aux victoires et défaites des équipes et athlètes qu’ils soutiennent. Ce lien peut se manifester sous la forme d’une « religion » (Garratt, 2010), et sous sa forme extrême devenir « si forte que certains fans sont prêts à se comporter de manière agressive voire délictueuse envers les équipes et joueurs adverses » (Sanderson et Emmons, 2014). En résumé, grâce aux réseaux sociaux, les fans peuvent apporter un soutien important aux sportifs d’élite.

La théorie de l’identité sociale est la théorie élaborée par le psychologue social Henri Tajfel en 1979, selon laquelle les groupes auxquels les gens appartiennent leur donnent l’impression d’appartenir au monde social et leur procurent fierté et estime de soi. La théorie de l’identité sociale est très pertinente pour le phénomène des fans de sport.

L’utilisation de Twitter par Lance Armstrong était sans aucun doute stratégique. Du fait de son image multidimensionnelle – cycliste d’élite, personne ayant survécu à un cancer et impliquée dans l’action caritative, légende vivante – Lance Armstrong avait réussi à développer divers traits de personnalité qui plaisaient à différents publics, ce qui lui permettait d’avoir différents types des fans. Comme le soulignent Hambrick et al. (2013, p. 2) : « Twitter et les autres réseaux sociaux fonctionnent comme un mécanisme permettant d’alterner entre différentes identités qui « plaisent » aux fans… »

Parmi la pléthore de réseaux sociaux, Hambrick et al. (2010, p. 454) affirment que Twitter est apprécié parce qu’il permet aux athlètes, dans les limites de messages de 140 caractères, de tisser un lien direct et immédiat avec leurs fans, « au lieu que leurs messages soient filtrés par les communicants, les attachés presse ou les départements de relations publiques des associations sportives et médias traditionnels. Les réseaux sociaux ont fortement modifié le modèle de la communication dans le sport. »

Les fans utilisent aussi Twitter pour établir un lien avec les athlètes, les autres fans et les médias traditionnels. Les sportifs ont élargi cette communication symétrique pour inclure leurs activités hors du domaine du sport, comme les soirées auxquels ils se rendent, et renvoient leurs fans à leurs photos personnelles, des blogues et d’autres contenus sur Internet. Les réseaux sociaux créent donc un univers personnel entre les athlètes et leurs fans. Hambrick et al. (2010, p. 463) expliquent que « cet élément d’interactivité ajoute une autre dimension à la perception qu’ont les fans des sportifs lorsque les fans les voient participer à des conversations personnelles. » Il va sans dire que les sportifs qui interagissent beaucoup avec leurs fans ont bien plus de « followers » sur Twitter. Cette fenêtre unique sur la vie d’un sportif d’élite renforce le lien personnel avec les fans. Elle accroit la fidélité des fans envers une équipe ou un athlète (Hambrick et al., 2010). Les fans cherchent à découvrir des détails plus intimes sur l’athlète, ce qui cimente le lien et le rendra plus difficile à briser en cas de crise. Cela change les dynamiques de la relation quand les fans « ne sont plus des observateurs mais des participants » (Kishner et Crescenti, 2010, p. 25). Les réseaux sociaux comme Twitter deviennent des outils précieux pour rassembler les fans qui s’efforcent alors de défendre la réputation de l’athlète ou l’équipe (Brown et Billings 2013). Ils peuvent parfois constituer de véritables boucliers en période de crise quand il s’agit de mettre en place une stratégie de communication de crise efficace afin de préserver l’image du sportif concerné.

Par exemple, en faisant des recherches sur les soutiens sur les réseaux sociaux au lanceur de l’équipe de base-ball des Boston Red Sox, Curt Schilling, Sanderson (2010) a découvert que « communiquer directement avec les fans via des blogs semble être une stratégie visant à mobiliser rapidement des réseaux de soutien pour encourager l’athlète lors d’une crise personnelle ». Dans notre étude de cas, l’utilisation faite par Lance Armstrong des réseaux sociaux est intéressante car il a mis en œuvre différentes stratégies et tactiques à différents moments de la crise. Hambrick et al. (2013) ont remarqué qu’il avait continué à appliquer une stratégie de reconstruction d’image sur Twitter avant et après l’enquête de l’USADA, mais qu’il avait choisi de ne pas la mentionner sur Twitter pendant et après son entretien avec Oprah Winfrey. Lors de notre examen du fil de Lance Armstrong sur Twitter après l’émission, nous n’avons trouvé aucune référence à sa confession. Le compte Twitter de Lance Armstrong, habituellement très actif, est resté silencieux pendant près d’un mois après la diffusion de l’entretien avec Oprah Winfrey. Quand il a été réactivé, son fil Twitter comportait un mélange de commentaires sociaux et sportifs et un flux constant de tweets liés à ses activités de premier plan en faveur de la lutte contre le cancer. La « confession » semblait complètement hors sujet. Il faut néanmoins souligner que dans les jours qui ont suivi la diffusion de l’émission, il y a eu environ 1,5 millions de commentaires sur les réseaux sociaux à propos de la confession (Polipulse, 2013).

Compte tenu de la capacité des réseaux sociaux à entretenir le soutien de fans et le nombre déjà élevé de « followers » de Lance Armstrong, on peut penser que ne pas utiliser Twitter pour des questions-réponses a représenté une opportunité manquée. S’il en avait fait ainsi, cela aurait permis à ses fans d’avoir un point de vue personnel et exclusif sur sa confession et cela lui aurait donné la possibilité de comprendre et de répondre à leurs inquiétudes. En d’autres termes, Twitter aurait apporté à Lance Armstrong une vraie relation et la compréhension de ses fans. Sanderson (2010) souligne que les sportifs d’élite peuvent neutraliser une couverture médiatique négative en incitant leurs fans à soutenir « leurs actions et leurs points de vue » grâce à un dialogue direct sur les réseaux sociaux. De ce fait, « dans de telles circonstances, il semble possible que des conversations entre athlètes professionnels et fans via des blogues puissent permettre aux athlètes de parler plus franchement, ce qui peut ensuite se traduire par un appui des fans, en réaction à la franchise de l’athlète. » (Sanderson, 2010, p. 189)

Au lieu de cela, pour des raisons connues de lui seul, Lance Armstrong a décidé de continuer à tweeter sur sa vie personnelle, mais sans les messages promotionnels, qui avaient disparu en même temps que les sponsors. Bien que sa situation professionnelle ait considérablement changé, il semble avoir pensé que ses fans sur Twitter continueraient à le soutenir sans qu’il soit nécessaire d’évoquer sa « confession ».

Les errements pardonnés jusqu’à un certain point seulement lors d’une communication de crise

Examinons maintenant le degré de tolérance des fans face à ses écarts de conduite. Summers et Morgan (2008) pensent que bien que les fans soient en adoration devant leurs héros sportifs, l’impact de leurs mauvais comportements dépend de plusieurs facteurs, comme de la réputation d’un athlète ou de si le méfait est lié au sport ou non. Par exemple, une transgression dans la vie personnelle des sportifs d’élite pourra susciter la pitié plutôt que l’indignation, alors que les fans pourraient être furieux si la mauvaise action impliquait leur carrière d’athlète (Summers et Morgan, 2008). Les écarts dans la vie personnelle des athlètes semblent « presque prévisibles et certainement pas toujours la faute de la célébrité » (Summers et Morgan, 2008, p. 181).

Par exemple, la nageuse olympique australienne Stephanie Rice a perdu un précieux contrat de sponsoring après avoir publié un tweet homophobe dans lequel elle se moquait de l’équipe de rugby sud-africaine en les traitant de « tapettes » (Byrnes, 2010). Rice a présenté des excuses publiques, où elle s’est montrée émue, à la télévision australienne après que des critiques l’aient traités d’« idiote homophobe ». Summers et Morgan (2008, p. 180) font remarquer que « nous avons vraiment des attentes élevées vis-à-vis de nos sportifs célèbres et nous ne sommes pas très tolérants envers leurs erreurs… le fait que ces personnes sont payées pour faire du sport enlève toute obligation de les traiter avec le même degré d’humanité que nous adopterions pour nos collègues. »

Rice s’est excusée sans réserve et devant la nation australienne pour sa « transgression », mais comme nous le verrons dans le reste de cette étude de cas, Armstrong n’en a rien fait.

Communication et gestion de crise : Une défense de l’attaque 

Tout comme les médias traditionnels, les commentaires sur les réseaux sociaux peuvent influencer la vision d’une crise. Dans leur analyse du rôle des fans dans une crise liée au sport, Brown et Billings (2013) ont découvert que les fans qui utilisent les réseaux sociaux adoptent souvent la stratégie de « l’attaque de l’accusateur », tout en rappelant aux autres les exploits passés et les beaux moments de l’athlète incriminé. Cependant, dans le cas examiné ici, c’est Armstrong qui a adopté cette tactique d’« attaque de l’accusateur ». Pendant plus de dix ans, Armstrong a nié avec véhémence toute accusation de dopage et a attaqué verbalement et poursuivi en justice quiconque laissait entendre qu’il s’était dopé. À partir de sa première victoire au Tour de France en 1999 – ironiquement appelé « Le tour du renouveau » car il était censé faire sortir le Tour des années sombres où les accusations de dopage s’étaient accumulées – et jusqu’à ce qu’il ait abandonné sa lutte contre l’USADA en août 2012, Lance Armstrong, en tant que leader de l’équipe cycliste aux couleurs de l’US Postal Service, a été impliqué dans ce que Tygart a décrit comme « le programme de dopage le plus sophistiqué, professionnalisé et couronné de succès que le sport ait jamais vu… un programme organisé par des personnes qui se pensaient au-dessus des règles et qui jouent toujours un rôle prépondérant et actif dans le sport aujourd’hui » (USADA, 10 octobre 2012).

Communication de crise : comment confesser les mauvaises nouvelles ?

Nous allons maintenant examiner pourquoi Lance Armstrong a décidé de « se confesser » à la télévision. Les universitaires se sont beaucoup intéressés à la gestion de crise et la reconstruction d’image (par exemple, Benoit, 1995, Coombs, 2012, Ulmer, Sellnow et Seeger, 2011). Dans l’univers de l’entreprise, la manière dont les parties concernées réagissent et attribuent la faute dépend de l’origine de la crise et qui en est responsable (McDonald, Sparks et Glendon, 2010; Coombs, 2012). La pire situation pour une entreprise est qu’elle soit à l’origine d’une crise qu’elle aurait pu éviter. Cela attire l’ire des parties concernées. Dans cette citation, McDonald, Sparks et Glendon (2010) pensent que la « confession » est l’une des meilleures stratégies possible pour atténuer une réaction négative. En fin de compte, Lance Armstrong a adopté simultanément cette approche et une stratégie consistant à « couper l’herbe sous le pied », c’est-à-dire qu’il a choisi de donner sa propre version de la mauvaise nouvelle. Cette stratégie a d’abord été utilisée dans les tribunaux, où les accusés révélaient des informations négatives pour eux, mais qui avaient un moindre impact sur le jury que si elles avaient été révélées par l’accusation. Ces révélations permettent à la défense de présenter des informations négatives de la meilleure manière possible, et renforcent sa crédibilité (Williams et al., 1993).

Dans le cas de la communication de crise, Wigley (2011) considère que « couper l’herbe sous les pieds » atténue considérablement la couverture médiatique et augmente le pourcentage d’articles positifs. Wigley s’appuie sur une théorie de la valeur relative pour expliquer comment la stratégie de « couper l’herbe sous les pieds » fonctionne : si une source est franche et fournit d’elle-même des informations à un reporter, l’information est considérée comme abondante et donc de peu de valeur. Cependant, ajoute Wigley, si une source soustrait des informations en faisant obstruction ou en gardant le silence, les informations sont considérées comme rares ou secrètes et leurs valeurs augmentent (2011, p. 51). En d’autres termes, « couper l’herbe sous le pied » transforme ce qui pourrait être considéré comme les dernières nouvelles en vieilles antiennes, et cela réduit donc la valeur de l’information. Par exemple, selon Wigley, « couper l’herbe sous le pied » génère plus d’articles positifs et fait immédiatement passer les médias à l’étape « que va-t-il se passer maintenant » pour la personne concernée.

Coombs (2012) souligne que les parties concernées s’attendent à ce que l’organisation à l’origine de la crise fasse amende honorable, par exemple en s’excusant totalement ou en proposant des compensations – ou les deux. Coombs (2012, p. 155) définit quatre approches pour faire face à une crise.

La communication de crise peut reposer sur la stratégie du déni, de l’atténuation, de la reconstruction et de la complaisance :

  1. Le déni : cette technique implique d’attaquer l’accusateur, par exemple en le menaçant de poursuites, de nier que la crise existe ou d’utiliser un bouc émissaire en blâmant des personnes extérieures à l’organisation
  2. L’atténuation : elle permet d’excuser la crise en minimisant les responsabilités ou de justifier en minimisant l’impact de la crise
  3. La reconstruction : elle inclut de proposer des compensations ou des cadeaux ou des excuses, en acceptant sa responsabilité
  4. La complaisance : cette approche consiste à rappeler aux parties prenantes des victoires passées, à complimenter (en flattant les parties concernées) ou à se poser en victime (l’entreprise aussi est victime de la crise)

Dans le pire des cas, c’est-à-dire une crise qui aurait pu être empêchée, il faut adopter les techniques de la reconstruction et de la complaisance. Il est intéressant de souligner que jusqu’à sa « confession » télévisée, Lance Armstrong a adopté la stratégie du déni de Coombs. Lors de l’émission d’Oprah Winfrey, il a changé d’approche pour adopter l’atténuation et la reconstruction, bien qu’il n’ait pas fait d’excuse entière et sans réserve. Il a toujours maintenu que c’était la faute du cyclisme et non la sienne personnellement. On lui a par conséquent reproché son arrogance, notamment quand il a comparé sa situation à la réhabilitation de l’ancien président Clinton et qu’il a déclaré que Clinton était « un de ses héros », qu’il voulait l’imiter et devenir le « président du monde » puis a affirmé en public : « Je suis comme Bill Clinton et les gens me pardonneront » (Daniel Bates, Mail Online, 12 mars 2013). Lance Armstrong a exprimé ce qui ressemblait le plus à des excuses quand il a évoqué la colère des autres : « Je vois la colère des gens et la trahison dans leurs yeux. Tout est là. Ceux qui m’ont soutenu et ont cru ce que je disais. Ils sont largement en droit de se sentir trahis. C’est ma faute. Je vais passer le reste de ma vie à tenter de regagner leur confiance et à m’excuser. » (cité dans Yadav, 2013)

La réputation passée peut ne pas compter en communication de crise

Dans le « mix de communication de confession », il faut tenir compte de la réputation de Lance Armstrong dans le secteur caritatif en tant que fondateur de la Livestrong Foundation, qu’il a continué à mettre en avant sur son fil Twitter après sa «confession ». En dépit du fait, souligné par Coombs (2012, p. 162), que lorsque les organisations sont dotées d’une réputation positive « les parties prenantes pourront ignorer les informations négatives sur une organisation car elles auront tendance à ne pas croire qu’une bonne organisation ait pu faire quelque chose de mal », même l’implication caritative de Lance Armstrong n’a pas suffi pour garder le soutien de ses fans. L’ampleur de sa faute était si grave que, couplé à son absence de déclaration sur les réseaux sociaux à propos de sa confession, cela a amplifié la réaction négative des réseaux sociaux. En fait, 18 % des personnes ayant publié des commentaires sur les réseaux sociaux après la confession pensaient que les fautes de Lance Armstrong « avaient annulé l’impact des bonnes choses qu’il avait accomplies » (Polipulse, 2011).

Contrôler le message en communication de crise

Alors pourquoi Lance Armstrong a-t-il choisi le canal médiatique traditionnel de l’Oprah Winfrey Show plutôt que Twitter pour effectuer sa « confession » ? La réponse est dans l’observation de van der Meer et Verhoeven (2013) qu’une crise initiée sur Twitter amène le public à spéculer, ce qui génère encore plus d’inquiétude, probablement compte tenu du nombre limité d’informations incluses dans un tweet. Les médias traditionnels produisent l’effet inverse selon van der Meer et Verhoeven (2013, p. 231) : « les médias d’information apaisent la panique et les spéculations du public et peuvent donc potentiellement empêcher qu’une crise n’empire ». De ce fait, le temps d’antenne dans l’émission d’Oprah Winfrey permettait de faire une « confession » et de la présenter sous le meilleur jour possible tout en « coupant l’herbe sous les pieds », comme nous l’avons vu précédemment. Mais il y a une autre raison. Il est clair que Lance Armstrong est habitué à tout contrôler, ce qui se reflète dans son choix de canal médiatique pour son mea culpa. Tout confesser à son amie Oprah Winfrey permettait à Lance Armstrong de calibrer son message et son image. Cependant, nous pensons que communiquer également via Twitter lui aurait permis de dialoguer sur un registre plus « personnel » avec ses fans. L’inconvénient de cette approche est bien entendu que ses « followers » sur Twitter auraient été en mesure de lui poser des questions sur un site très public. Comme le fait remarquer William Fotheringham, Lance Armstrong a gardé le contrôle de son message, et a donné des interviews en échange d’une couverture favorable (The Guardian, 12 novembre 2013).

Nous pensons qu’en utilisant l’émission d’Oprah Winfrey pour faire sa confession, Armstrong imaginait qu’il pourrait contrôler son message. On peut considérer que les principes fondamentaux des relations publiques de crise sont les suivants : connaitre son public, adapter son message en conséquence, communiquer un message crédible via les canaux de communication appropriés avec comme ultime objectif de mettre le public de son côté, s’excuser pour une faute et dédommager. Cependant, la communication adoptée par Lance Armstrong à partir d’août 2012 donne à penser qu’il considérait que ces règles ne s’appliquaient pas à lui. Dès le 7 novembre 2013, il critiquait Tyler Hamilton (qui avait été dans la même équipe cycliste que Lance Armstrong) sur Twitter (échange sur Twitter @lancearmstrong @Ty_Hamilton, 7 novembre 2013).

Détourner l’attention en communication de crise

En faisant des recherches pour ce billet, nous nous sommes rendu compte que Lance Armstrong avait utilisé une autre sorte de diversion : il s’est présenté comme une victime du sport. Il existe de nombreuses preuves que Lance Armstrong a mis en place cette stratégie dans les entretiens avec Oprah Winfrey en janvier 2013 et avec BBC World Service Newshour le 11 novembre 2013. Dans sa réponse à une question d’Oprah Winfrey : « Tu m’as dit tout à l’heure que tu ne pensais pas qu’il était possible de gagner sans se doper ? », le ton d’Armstrong était accusateur : « Pas pour cette génération, et je ne suis pas là pour parler des autres membres de cette génération. Cela a été abondamment documenté. Je n’ai pas inventé cette culture, mais je n’ai pas essayé d’y mettre fin… et le cyclisme en paie maintenant le prix. De cela, je suis désolé. Je n’ai pas eu accès à autre chose que les autres. » (BBC Sport, 2013)

Lors de l’entretien du 11 novembre, Armstrong, en protestant contre les punitions incohérentes et injustes à son encontre, a déclaré : « les règles étaient les mêmes pour tout le monde à l’époque, mais le juge a été tout sauf équitable… il y aura toujours des manières d’améliorer ses performances, c’est le cas depuis la Grèce antique (BBC World Service Newshour, 2013). Lance Armstrong a élargi le champ de ses accusations, mentionnant d’autres sports utilisant le dopage dans un entretien avec le journal Le Monde, où il disait qu’il n’avait pas inventé le dopage et que cela ne se résumait pas à lui. Il a ajouté : « Tout n’a pas été dit sur la question… (L’USADA) n’a pas décrit fidèlement l’univers du cyclisme de la fin des années 80 jusqu’à aujourd’hui. Elle est parfaitement arrivée à détruire la vie d’un homme mais cela ne profite à personne. » (ESPN.com News, 2013)

Cette approche n’est pas inhabituelle. Bruce et Tini (2008) soulignent que lors d’une crise de la ligue de rugby australienne, le club concerné a choisi une stratégie de protection de la réputation basée sur la « diversion », où l’attention sur les critiques de la gestion de l’équipe était détournée en présentant les joueurs et les fans comme des « victimes innocentes ». Cette tactique de diversion, selon Bruce et Tini (2008, p. 112), permet à l’organisation de « dialoguer avec leurs fans et de limiter les dégâts pour la discipline et l’équipe, en séparant les aspects de l’organisation auxquels les fans s’identifient le plus, c’est-à-dire les joueurs et les prestations sur le terrain, du scandale ». De ce fait, les déclarations publiques de l’équipe mettaient l’accent sur le fait que les joueurs « étaient en droit d’être fiers » et disaient que les fans « étaient inquiets pour les joueurs » (2008, p. 112). Bruce et Tini (2008, p. 113) font remarquer que : « en protégeant les joueurs et le coach, avec lesquels les fans avaient un lien émotionnel fort, et en sacrifiant l’équipe de direction, l’organisation a su maintenir le lien avec au moins une des principales parties concernées. En effet, l’augmentation du nombre de spectateurs l’année suivante démontre la force du lien entre les fans et l’équipe. Les fans se sont déplacés pour témoigner de leur appui aux joueurs et ont ainsi contribué à remettre l’organisation sur pieds. »

Comme indiqué précédemment, Lance Armstrong divise l’opinion et toute analyse de sa « confession » en est le reflet. Dans une société de communication en libre accès, il est inévitable de trouver des points de vue diamétralement opposés. Cependant, du point de vue des relations publiques, il est impératif que les personnes et les organisations qui se soucient de leur image et de leur réputation, ainsi que de leur stratégie de gestion des relations, examinent comment et quand elles communiquent avec leur public. C’est encore plus important pour les célébrités du sport – catégorie à laquelle appartient Lance Armstrong. « Lance Armstrong a été un gros utilisateur de Twitter dès le début, et les experts des réseaux sociaux ont attribué une grande partie de la croissance de Twitter aux premières personnes à l’avoir adopté dans le monde du sport, telles qu’Armstrong » (Fisher, 2009, cité dans Hambrick et al., 2013). Bien que celui-ci ait près de quatre millions de « followers » sur Twitter, il en perd environ 133 par jour (http://twittercounter.com/lancearmstrong), ce qui laisse à penser que sa stratégie de communication ne fonctionne pas. Lance Armstrong continue de faire l’objet de l’attention des médias. Par exemple, son tristement célèbre Tweet « De retour à Austin, je me repose… » publié le 10 novembre 2012, quelques jours seulement après avoir démissionné de son poste de Directeur de la Livestrong Foundation, a été vu 11 992 20 fois et a reçu 782 commentaires, aussi bien positifs que négatifs. Le tweet le montre confortablement installé sur un canapé, entouré des sept maillots jaunes gagnés lors de ses sept victoires au Tour de France et qui lui avaient été retirés quelque temps plus tôt.

Voici quelques exemples de commentaires postés :

  • venmex : il y a un an – tricheur, tricheur, tricheur, tricheur, tricheur, tricheur, tricheur. ça fait sept, non ?
  • jdusvet : Lance est l’homme qu’il vous faut. Ces drogues ne marchent que si l’homme en question est déjà un animal. Lance était un animal sans ses drogues, mais pour rester au top, il faut jouer à jeu égal. Il n’était pas le seul, et tout le monde le savait.

En dépit de cela, Lance Armstrong a poursuivi son approche relativement stratégique dans ses efforts pour reconstruire son image. Par exemple, au moment de la conférence de l’agence mondiale contre le dopage (la « World Anti-Doping Agency Conference ») à Johannesbourg, il a proposé 100 % de transparence en échange de la levée de son interdiction à vie de participer à une compétition cycliste (BBC World Service, 11 novembre 2013). Cependant, Armstrong ne s’est toujours pas excusé sans réserve pour ses fautes. Au lieu de cela, il continue de se poser en victime, ce qui continue probablement à lui mettre son public à dos et diminue encore sa crédibilité aux yeux de la communauté cycliste et du sport en général. Les errements de Lance Armstrong continueront encore à avoir des répercussions dans le monde du cyclisme.