Le débat politique ou le terrorisme de l’image

politique

La force de l’émotion dans la communication

A la télévision, dans un contexte où l’émotivité prime, la logique des faits ne constitue encore trop souvent qu’un maigre secours.

Un stratège du président Clinton avouait, au lendemain de l’élection de son chef: «On fait campagne à la télé, mais on gouverne pour l’imprimé.» Il déplorait la tendance américaine selon laquelle la psychologie des campagnes électorales continue d’imprégner les stratégies de communication politique des gouvernements une fois élus, ce qui contraint la presse à traiter des dossiers politiques, souvent complexes, sous l’angle réducteur de la performance, un peu comme au football, quand on s’intéresse au gardien.

Ainsi, la couverture médiatique accordée à la réforme des retraites proposée par le président Emmanuel Macron porte davantage sur les appuis, ou la défaveur, obtenus dans le milieu des affaires ou au Parlement, que sur l’explication détaillée des enjeux de cette réforme.

Dans ce dossier comme dans tant d’autres, la mécanique réductrice des sound bites, ces extraits sonores utilisés dans les reportages télévisés, conduit les communicants politiques à préfabriquer ces clips, au détriment d’une interprétation plus raffinée de l’évolution des dossiers, liée au contenu des propositions.

Nulle part cette approche simplificatrice n’est-elle plus évidente que dans le débat télévisé. C’est la raison pour laquelle tout politique, en dépit de ses bravades, entretient une saine terreur à son égard.

En cours de campagne, le parti politique qui tire de l’arrière le réclamera toujours avec plus d’insistance, croyant qu’il ne peut qu’en profiter, pendant que l’adversaire s’emploiera d’abord, plus ou moins subtilement, à le torpiller avant de s’y résigner.

Ce n’est pas tant le débat lui-même que l’on craint que l’analyse et la perception dégagées par les médias. La recherche n’est pas sans contradictions sur les effets de «la grosse gaffe» auprès d’un électorat donné, mais elle est formelle quant à l’impact au niveau des troupes. Un débat peut galvaniser une équipe ou la démobiliser dangereusement.

Toutefois, même sans erreur de contenu, l’impact de l’image télévisée auprès des téléspectateurs est tel qu’il n’autorise aucune négligence, visuelle ou émotive. Avant de réviser les stratégies possibles à la disposition de MM. Johnson et Parizeau pour le débat de ce soir, voyons ce que la recherche révèle dans ce domaine.

La télévision est ainsi faite qu’il est préférable d’y donner une réponse vague sans perdre sa contenance, plutôt que d’hésiter momentanément pour formuler une réponse juste, car il est démontré que l’auditoire retiendra d’abord l’hésitation. Impitoyable, préoccupant, mais vrai.

Le cas de George Bush, surpris à regarder sa montre au cours d’un débat, est significatif et fort bien documenté: Bill Clinton, dont les groupes-témoin estimaient les réponses moins précises et moins satisfaisantes que celles du président en exercice, est déclaré vainqueur. La séquence psychologique animant ces groupes a été analysée ultérieurement: le président Bush regarde sa montre, il trouve donc le temps long, il est mal à l’aise, il ne peut donc pas être bon.

George Bush

D’autres éléments ont sans doute alimenté cette perception de défaite. Toutefois, l’exemple illustre une autre particularité de la communication télévisuelle: dans un contexte où l’émotivité prime, la logique des faits ne constitue qu’un maigre secours. Il s’agit d’ailleurs d’un principe que les spécialistes de la gestion de crise connaissent bien.

Tous les débats télévisés ne sont pas forcément dotés de tournures dramatiques à la Mulroney vs Turner: « You had an option, Sir! », loin de là.

Mulroney vs Turner: You had an option, Sir!

« You had an option, sir », que l’on peut traduire de l’anglais par « Vous aviez le choix, monsieur », est une phrase lancée par Brian Mulroney, candidat du Parti progressiste-conservateur du Canada pour la fonction de Premier ministre, à John Turner, alors en fonction pour le Parti libéral du Canada, lors du débat télévisé entre les deux invités avant les élections fédérales canadiennes de 1984. La phrase est considérée comme le tournant du débat, car John Turner, déstabilisé, sait seulement lui répondre : « I had no option » (« Je n’avais pas le choix »). Cet échange est l’un des plus célèbres de l’histoire électorale du Canada.

Dans une telle situation, la presque totalité du message retenu est d’ordre visuel. Certaines études américaines chiffrent cette proportion à 87%.

lepen macron débat

Ce principe, beaucoup moins étonnant qu’il n’y paraît, se vérifie facilement: le souvenir d’un vieux discours auquel on a assisté il y a quelques mois ou quelques années rappelle toujours une atmosphère, une couleur précise, dont la mémoire résiduelle demeure saisie, et est lié à la qualité de la prestation, à la crédibilité de l’orateur. Il était bon ou pourri mais on a, en général, évacué complètement le sujet, sauf si une affirmation exceptionnelle, bonne ou mauvaise, a été prononcée.

C’est pourquoi le véritable objectif d’un débat télévisé, du point de vue des premiers intéressés, tient à la préservation ou à l’illustration de leur crédibilité. Avant même de marquer des points, la stratégie des protagonistes doit d’abord leur éviter d’être déstabilisés.

Ainsi, la tactique la plus fréquemment utilisée par le répondant politique consiste à mettre de l’avant son message sur le thème soulevé par la question avant de s’intéresser aux véritables points qu’elle soulève ou même d’y répondre.

Les journalistes n’ont pas tort de soulever les limites d’un tel format, leur seule chance tient dans la question-révélation, soulevant un fait nouveau ou un angle inexploré.

Le langage utilisé a aussi une très forte connotation télévisuelle. Sans discuter ici de la pertinence ou de la justesse de la remarque La formule efficace est celle quit fait image et encapsule le message qu’on désire – ou désirait! – véhiculer.

Revoir le discours politique

Le débat politique télévisuel devrait aussi être l’occasion d’un repositionnement du discours. Il semble clair, selon les enseignements des dernières campagnes électorales américaines, qu’on a intérêt à parler «de ce que les gens veulent» par opposition à «ce que le gouvernement veut faire».

Sans revenir sur la lassitude et le cynisme de la population à l’égard des gouvernements ou des élus, le sentiment d’exclusion qu’éprouvent les populations à l’égard du processus décisionnel politique préoccupe encore assez peu l’élite politique française. Pourtant, chaque élection offre une occasion inespérée de gérer ce sentiment.

À l’exception de timides tentatives, c’est là une approche dont aucune campagne électorale n’a su tirer parti jusqu’à maintenant. Le corollaire de cette expérience est toutefois clair: en cours de débat, les chefs devront pouvoir démontrer non seulement leur compréhension des problèmes mais leur connaissance profonde de l’état d’esprit des électeurs.

L’interaction entre image et contenu devra être plus soignée car elle est extrêmement délicate à la télévision.

Le débat télévisé est la seule occasion de campagne où le public est courtisé face à face, en direct et en gros plan par les candidats, sans le filtre de l’image-nouvelles ou de l’intervention publicitaire, sa seule chance de décoder l’incertitude, l’insécurité ou l’arrogance.

On ne s’étonnera pas de ce que les conseillers des dirigeants politiques, ces spindoctors, y accordent tant de prix, suggérant à l’un de sortir de sa coquille d’homme d’affaires, qui crée une distance entre l’électeur et lui, ou à l’autre de se retenir, d’éviter de déborder, ce qui peut insécuriser.

Il y a, bien sûr, en dépit de ce que l’on est quelquefois tenté de croire, une limite à ce type de conseils que les faiseurs d’image connaissent bien. C’est un cas où chasser le naturel peut être embêtant. Car, si délicate et réductionniste soit-elle, la télé a ses moments de vérité.