L’art d’asseoir sa crédibilité et de gagner la confiance du public
L’auditorium était à moitié plein, mais les personnes assises dans les 20 premiers rangs étaient sans nul doute en colère. Elles avaient appris environ un an auparavant que l’entreprise, qui était le plus gros employeur de la ville depuis près de 80 ans, allait fermer. De plus, elles venaient juste de découvrir les résultats d’une enquête environnementale révélant la présence de polluants dans la nappe phréatique située juste en dessous de nombre de leurs maisons.
Des experts sur la nappe phréatique et le développement durable ont parlé pendant près d’une heure, puis l’organisateur est passé à la partie des questions-réponses. Plus d’une douzaine d’habitants ont alors fait la queue devant les deux micros placés dans les allées de l’auditorium. La première personne à poser une question – une femme – a déclaré : « j’ai très peur de ce que vous venez de découvrir et je n’arrive pas à croire que nous n’en ayons jamais entendu parler ». Le vice-président du site, assis au premier rang, a pris une grande inspiration.
C’était une situation difficile. Cela peut arriver à tout le monde de se retrouver confronté à une situation difficile face à des clients, responsables, employés ou collègues. Les tactiques et stratégies à employer pour convaincre les gens quand ils sont en colère, inquiets ou méfiants face à ce que nous disons sont les mêmes, qu’il s’agisse d’un employé mécontent ou d’une assemblée de citoyens en colère.
Le domaine de la communication du risque
De telles situations de « forte inquiétude, faible confiance » relèvent du domaine de la communication du risque rappelle Florian Silnicki, expert en communication de crise et fondateur de l’agence LaFrenchCom. Elles obéissent à des règles spécifiques. Respecter ces règles permet aux communicants d’obtenir et conserver confiance et crédibilité auprès du public. Dans une situation normale de « faible inquiétude, forte confiance », on part du principe que la confiance et la crédibilité sont préétablies. Dans une situation de « forte inquiétude, faible confiance », il faut faire en sorte de mériter cette confiance et cette crédibilité.
Le professeur Vince Covello, l’un des fondateurs du domaine de la communication du risque, a proposé un modèle de crédibilité. Ce modèle se compose de quatre parties représentant chacune un des attributs que nous utilisons pour décider si une personne est digne de confiance et crédible. Mon cabinet a repris ce modèle, en le modifiant légèrement.
Soucis de l’autre et empathie: quand les gens sont furieux, inquiets et méfiants, ils ont besoin de savoir que nous comprenons vraiment ce qu’ils ressentent et que nous voulons agir au mieux pour les aider. Les recherches ont montré que dans les situations de « Forte inquiétude, faible confiance », les gens jugent si les autres se soucient d’eux et font preuve d’empathie dans les 30 premières secondes.
Une fois leur décision prise, il est presque impossible de les faire changer d’avis. Donc nous devons faire la preuve dès le début que nous nous soucions d’eux et sommes doués d’empathie. C’est la composante la plus importante de la crédibilité.
Franchise et honnêteté: si nous ne sommes pas honnêtes, nous ne pouvons pas être dignes de confiance et crédibles.
Ne mentez jamais. Dans un contexte de crise, être franc et honnête peut être compliqué.
Soucis de l’autre et |
franchise et |
engagement et |
expertise et |
Résultat | ||||
empathie |
honnêteté |
dévouement |
compétence |
total | ||||
50 points |
15-20 points |
15-20 points | 15-20 points | 100 points |
Les professionnels des RP affirment souvent que les organisations en crise doivent dire tout ce qu’elles savent dès qu’elles en ont connaissance et ne rien cacher du tout. Ce n’est pas réaliste. Les crises sont, par définition, chaotiques. Parfois nous n’avons pas toutes les réponses. Parfois nos juristes ne nous autorisent pas à divulguer toutes les informations. Nous pouvons au moins être francs et honnêtes sur ce point. Les gens ne s’attendent pas nécessairement à ce que nous sachions ou disions tout, mais ils veulent savoir pourquoi nous ne le pouvons ou le voulons pas. Et ils veulent savoir quand nous leur dirons tout.
- Engagement et dévouement: pour être dignes de confiance et crédibles, nous devons prouver que nous voulons comprendre et répondre aux inquiétudes de notre public. Cela va au-delà des simples paroles. Cela signifie écouter et en faire toujours plus que le strict nécessaire. Lors des élections présidentielles de l’an deux mille, les médias ont beaucoup mentionné le fait qu’Al Gore ne quittait pas les réunions de meeting politique avant que la dernière personne soit partie.
Il éteignait littéralement les lumières. Cela a été cité par les médias parce qu’il était très rare pour un candidat aux présidentielles de passer autant de temps avec un petit groupe, au lieu de se précipiter vers la réunion suivante. Assurez-vous que votre public a un moyen de communiquer avec vous à l’avenir. Donnez votre adresse e-mail ou votre numéro de téléphone professionnel ou indiquez l’adresse d’un site Internet où trouver ces informations. Montrez à votre public que ses inquiétudes comptent pour vous d’un point de vue professionnel, mais aussi personnel.
- Expertise et compétence : bâtir confiance et crédibilité n’est possible que si le public pense que nous maitrisons notre sujet. Le public ne nous considèrera pas automatiquement comme des experts, donc nous devons le lui prouver en étant bien préparés. Vous devez citer des sources indépendantes d’information pour appuyer vos arguments et faire preuve de franchise et d’honnêteté en reconnaissant quand vous ne connaissez pas la réponse à une question. Et vous devez alors promettre
L’art oublié et pourtant essentiel de la mise en récit (storytelling)
C’est facile de reconnaitre qu’être un être humain se souciant des autres est crucial pour bâtir et garder confiance et crédibilité. Mais il est beaucoup plus difficile de démontrer que nous nous soucions réellement des autres. La meilleure manière de le faire est de raconter une histoire captivante et révélatrice. Pour illustrer ce point, permettez-moi de vous raconter une histoire.
David Axelrod était l’un des principaux conseillers politiques du président Obama et était souvent invité sur les plateaux des émissions politiques télévisées du dimanche matin. Il répétait généralement les messages et principaux argumentaires du parti Démocrate. Je me contentais alors de l’ignorer. Puis, un dimanche, lors de la campagne de 2012, il est passé à l’émission « This Week » de la chaine ABC. Je lavais la vaisselle et je n’écoutais pas vraiment ce qu’il disait jusqu’à ce qu’une phrase retienne mon attention :
« Ma fille Lauren a toujours souffert d’épilepsie. Ma famille et moi connaissons bien le stress lié au fait de s’occuper d’un proche malade, et de ne pas savoir quand notre assurance santé va arrêter de payer. Heureusement, Lauren va bien maintenant, mais je me souviens des premiers jours où nous nous inquiétions presque autant du risque d’atteindre la limite de notre assurance que nous nous inquiétions pour sa santé… »
Je me suis retrouvé à l’écouter religieusement. Après avoir raconté son histoire, David Axelrod a expliqué comment la loi de santé du gouvernement Obama, l’Affordable Care Act, avait ôté cette limite des assurances santé. Plus aucune famille n’aurait à vivre les inquiétudes qu’ils avaient eues. Avec cette histoire, il devenait une personne se souciant réellement des autres et cela le rendait digne de confiance, et une source crédible d’informations, à mes yeux. Cela m’a fait réévaluer mon opinion de l’Affordable Care Act. Il m’a convaincu.
Toute personne confrontée à une situation de « Forte inquiétude, faible confiance » devrait s’appuyer sur des histoires de ce genre.
La communication non verbale est cruciale
Dans une situation de « forte inquiétude, faible confiance », les recherches ont montré que la communication non verbale a une influence trois fois plus importante que le message en lui-même. Pour établir et conserver confiance et crédibilité, souvenez-vous de :
- Regarder dans les yeux, que votre public soit composé d’une seule personne ou d’une multitude. Tout mouvement des yeux, vers le haut ou le bas, vers la droite ou la gauche, donne l’impression que vous êtes malhonnête ou évasif.
- Placer vos mains de manière à ce qu’elles soient visibles, et entre vos hanches et vos épaules. Ne les mettez pas dans vos poches ou derrière votre dos. Dans une situation de « forte inquiétude, faible confiance », cela donne une impression de gêne ou d’agressivité.
- Essayer d’ôter les barrières entre vous et votre public. Ne vous asseyez pas derrière votre bureau et ne vous tenez pas derrière un pupitre. Même croiser les bras constitue une barrière et peut vous compliquer la tâche.
- Porter des vêtements sobres. Les motifs et les bijoux criards risquent de distraire l’attention du public. Si vous savez ce que votre public va porter, essayez de vous habiller aussi bien ou un tout petit peu mieux.
- Manger une banane. Si vous êtes nerveux face à quelqu’un qui est en colère ou bouleversé, les nutriments de la banane peuvent contribuer à vous calmer. C’est un vieux conseil et je peux vous dire, pour l’avoir testé, que cela fonctionne.
Le modèle en pratique
Quand la femme au micro a fini de poser sa question, le vice-président s’est levé. Il s’est dirigé vers l’endroit où elle se tenait et l’a regardée dans les yeux.
« Merci pour cette question », a-t-il commencé, sur un ton sympathique. « Il est clair que vous êtes bouleversée par ce qui vient d’être dit. Et vous savez quoi ? Si j’étais à votre place, je serais bouleversé, moi aussi. Je n’habite pas ici, mais je viens travailler dans cette ville tous les jours. Une grande partie de nos employés habitent ici. Nos familles viennent souvent nous voir, ou passent nous prendre après le travail. C’est vrai, nous devons faire nettoyer ce site, et nous nous engageons à ce que ce soit fait, quelle que soit la durée de la tâche ou son coût. Mais ce que nous avons découvert ne représente pas une menace pour ceux qui vivent ou travaillent ici. Nous resterons ici jusqu’à ce que nous ayons répondu à toutes les questions, et voici les coordonnées de deux de nos experts environnementaux pour que vous puissiez les contacter plus tard pour leur poser d’autres questions. »
Puis il a demandé à un médecin d’une université située à proximité, qui était aussi un expert sur les dangers des substances toxiques pour la santé, de dire quelques mots sur les résultats de l’enquête et ce qu’ils signifiaient.
Par cette réponse, le vice-président du site a pleinement réussi à obtenir confiance et crédibilité. Il a d’abord été confronté à des questions plutôt hostiles au cours des heures qui ont suivi puis, en montrant qu’il se souciait des gens, qu’il était franc et qu’il voulait faire ce qui était juste, il a pu convaincre les gens.