Com. sous contrainte judiciaire : Carlos Ghosn J. Kerviel

En tant que dirigeant d’entreprise faisant face à de nombreuses responsabilités, se retrouver éclaboussé dans sa fonction par un scandale judiciaire, peut être le coup fatal d’une longue descente aux enfers détruisant votre réputation. Seulement, la communication de crise peut se révéler déterminante dans la décision de justice.

Affaire Jerôme Kerviel ou Carlos Ghosn, décryptons deux exemples de communication sous contrainte judiciaire de personnalités accusées de malversations financières.

Deux scénarios rocambolesques dignes de séries télévisées. Et pourtant, la stratégie de communication de crise adoptée par l’un et par l’autre a été très différente… mais toujours maladroite. Quand l’un a perdu le contrôle de son image, l’autre a tenté d’échapper à un verdict qui lui semblait judiciairement perdu d’avance. Les deux vont être contraints à un bon nettoyage internet de leur réputation.

1. Se positionner en victime

Retraçons les faits. 2008, la Société générale accusa le coup d’une perte vertigineuse de près de 5 milliards d’euros. Au banc des accusés, Jerôme Kerviel, le trader qui fut à l’origine de la fraude.

2018, Carlos Gohn, alors PDG de l’alliance Renault-Nissan est accusé et arrêté au Japon pour abus de confiance et malversation financière. Il s’évade en décembre 2019 vers le Liban. Son procès devait avoir lieu en avril 2020.

Dans les deux cas, la stratégie de communication de crise mise sur un positionnement (inefficace) de bouc émissaire. Jérôme Kerviel se poste en victime. Mediatrainé par Image7, Carlos Ghosn clame son innocence : il affirma alors être l’objet d’un “coup monté” !

Dans les deux cas, l’opinion se divise et s’interroge. Sont-ils véritablement victimes d’un complot ou de fieffés manipulateurs ?
L’enjeu consiste donc pour les communicants de crise, à dresser un portrait de parfait innocent avec un scénario cohérent pour l’opinion publique.

Là où le bât blesse, ce sont les angles pris par Jérôme Kerviel et son équipe de communication de crise pour asseoir le storytelling du trader. Un jour “coupable incrédule”, le lendemain “victime sincère”, le surlendemain “militant politique anti banques”, la posture ne cesse d’osciller dans le temps alors que les avocats médiatiques et les conseillers en communication se succèdent les uns après les autres faisant coexister des stratégies de communication de crise inconciliables. Son silence de prime abord, pour ensuite laisser place à une surexposition saturant l’espace médiatique, ne furent pas très judicieux faisant douter de la sincérité de son propos abîmant sa défense.

Jérôme Kerviel perdit rapidement en crédibilité. Son équipe de communication de crise adopta de multiples artifices qui ont fini par laisser perplexe les Français les plus actifs dans la défense de Jérôme Kerviel.

Au fil de ses interventions médiatiques, Jérôme Kerviel sembla hésiter à s’accrocher au rôle le plus potentiellement crédible aux yeux de l’opinion. Jérôme Kerviel déclara par exemple accepter sa peine. Puis, il revient sur ses propos et refusa de répondre à sa convocation judiciaire en interpellant le Président de la République de l’époque.

Sa mise en scène médiatique du fait qu’il annonçait prendre le pas d’une marche expiatoire pour revenir à des valeurs “saines”, finit par se transformer en un chantage judiciaire inapproprié en passant la frontière italienne.

Son attitude destabilise. Manipule-t-il l’opinion et les médias ? Son changement de rôle constant finit inexorablement par le discréditer. Chacun se demande qui est “le vrai” Jérôme Kerviel.

A l’inverse, Carlos Ghosn resta relativement immuable dans ses déclarations. Sa ligne de défense (maladroite) est constante. Son rôle est clair. Un complot se serait dessiné autour de lui. Une machination qui aurait fini par le projeter dans un gouffre judiciaire.

Ses proches procèdent à de nombreuses interventions médiatiques. Ils s’interrogent sur la sincérité de la justice japonaise. Le Japon ne souhaiterait-il pas anéantir le groupe Renault-Nissan ?

Cette option se retrouve dans l’explication de son évasion en décembre 2019, où Carlos Ghosn explique qu’il ne fuit pas la justice, mais l’injustice !

2. Jouer la carte de l’émotion

Les proches de Carlos Ghosn jouent sur la corde sensible. Ils tentent dans un premier temps de relater les conditions indignes de détention. Un triste sort pour le milliardaire, qui n’a pour effet que d’agacer l’opinion publique face à un homme richissime accusé de malversations donnant le sentiment d’une justice à géométrie variable.

Alors l’épouse Carole Nahas adopte un nouveau positionnement. Celle de la femme aimante qui ne peut même pas voir son mari, alors qu’en France il s’agit d’un droit fondamental, même pour le pire des criminels.

Et puis, suite à son évasion, Carlos Ghosn parle d’un danger de mort. Dans un pays qui pratique encore la peine de mort, il déclare qu’il a agit ainsi pour sa survie.

Pour Jérôme Kerviel, acquérir l’empathie de l’opinion publique fût complexe. Il frisa souvent l’arrogance dans des déclarations malvenues, qui ont nui à son image.

3. Dresser un argumentaire en béton

Pour les avocats de Carlos Ghosn, l’exercice fut réussi. Lors de son audition et durant la première conférence de presse, en janvier 2019, ses avocats ont méthodiquement contredits tous les faits de l’accusation.

Ils adoptent une posture ferme et assurée. Leur client est innocent et ils sont parfaitement en mesure de le prouver.

Les prises de paroles tentent de faire exister un complot, une injustice et la peur de mourrir.

Carlos Ghosn ne manque pas de rappeler tout ce qu’il a apporté au groupe Nissan. Après tout, il a consacré une grande partie de sa vie à redresser la société et est à l’origine de l’alliance avec Renault. Les médias montrent rapidement l’image d’un homme d’affaire brillant, qui a généré de l’emploi et a mis Nissan au rang des plus grands constructeurs automobiles mondiaux avant de chuter.

Une technique de communication visant à asseoir à la fois sa crédibilité et sa légitimité de dirigeant.

A contrario, l’argumentaire de Jérôme Kerviel manqua trop souvent de sens et de fond.

L’importance de rester cohérent dans sa communication de crise est primordiale. Il faut adopter un positionnement crédible aux yeux de l’opinion et s’y tenir.