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Les pizzas Buitoni condamnées à disparaîtreActualitésLes pizzas Buitoni condamnées à disparaître

Les pizzas Buitoni condamnées à disparaître

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Pour Le Figaro, la journaliste Olivia Détroyat a interrogé Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Fondateur de l’agence LaFrenchCom spécialisée dans la gestion de crise sur les enjeux de la crise Buitoni.

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Propriété du groupe Nestlé, l’usine Buitoni de Caudry (Nord), le 6 mars 2023.

GRAND RÉCIT – La direction de Nestlé a annoncé ce jeudi la fermeture de l’usine Buitoni de Caudry (Nord), au cœur de l’affaire des pizzas surgelées contaminées Fraîch’Up depuis un an. Retour sur une déroute sanitaire et judiciaire.

La douche froide. Le 2 mars, les 113 salariés de l’usine Buitoni de Caudry (Nord) apprennent que la production, qu’ils ont reprise en décembre après des mois d’interruption, va de nouveau s’arrêter. Malgré les efforts de Nestlé, propriétaire du site, l’activité reste affaiblie par l’affaire des pizzas de la gamme Fraîch’Up, qui ont contaminé 56 personnes début 2022, et causé la mort de deux enfants

Le plan présenté par le géant suisse de l’agroalimentaire laissait espérer que les pizzas Buitoni puissent renaître après le scandale sanitaire qui a fait plonger leurs ventes. Las. Malgré les investissements pour soutenir la marque, les commandes des distributeurs n’atteignaient pas, début mars, 15 % des volumes attendus. Soit moins de 450 tonnes sur les 3500 tonnes inscrites dans le budget.

Ce jeudi matin, le groupe a annoncé sa décision de cesser définitivement l’activité de son usine. C’est une nouvelle énorme désillusion qui parcourt les rangs des salariés. Si la fililale française de Nestlé s’est engagée à tout faire pour trouver un repreneur d’ici fin décembre, les pouvoirs publics avaient fait fortement pression sur le groupe de Vevey pour qu’il installe une production alternative sur cette installation industrielle qui fabriquait avant la crise pas moins de 170000 pizzas par semaine. En vain. «Aucune des options étudiées, que ce soit sur la pizza ou sur des plats préparés végétaux par exemple, ne s’est révélée viable, explique une porte-parole du groupe. Nous n’aurions pas eu assez de volumes car les plans de charge sur les autres usines du groupe sont actuellement suffisants pour répondre à la demande».

L’ampleur de la crise a été trop profonde pour espérer une relance durable de l’activité Buitoni à Caudry. Cette décision acte donc la quasi-disparition de sa marque en France. Le logo a déjà disparu des boîtes de raviolis et des pots de sauce tomate il y a une dizaine d’années. Une décision de Raynal & Roquelaure (Cofigeo), qui a racheté cette activité à Nestlé dans les années 2000, avant de la rebaptiser Zapetti.

Tombées de 30 % à moins de 5 % de part de marché en six mois, les pizzas Buitoni, leader du rayon en France, vont donc à leur tour quasiment disparaître. Seuls persisteront les formats Piccolinis de Buitoni, produits à l’usine Nestlé de Nonnweiler (Allemagne) et la gamme Bella Napoli, produite dans celle de Benevento (Italie).

L’un des plus graves scandales sanitaires de l’agroalimentaire

C’est le dernier effet en cascade de l’un des plus graves scandales sanitaires de l’agroalimentaire qu’ait connus la France. Infectés par la bactérie Escherichia coli, des lots de la gamme Fraîch’Up de la marque ont contaminé gravement 56 personnes entre le 18 janvier et le 5 avril 2022. Hormis un adulte, tous sont des enfants qui, après avoir consommé les pizzas Fraîch’Up ont développé un syndrome hémolytique et urémique (SHU), une infection aux complications rénales parfois graves. Si la plupart s’en sont sorties, certaines victimes auront des séquelles à vie. Deux enfants sont décédés des suites de leur contamination.

L’affaire provoque un émoi considérable. De la présence de trace de benzène dans des bouteilles de Perrier (1990) au lait infantile contaminé à la salmonelle de Lactalis (2017) en passant par les lasagnes à la viande de cheval (2013), fraudes et accidents sanitaires touchent, certes, régulièrement des usines alimentaires françaises. Par nature, ils sont impossibles à prévenir à 100 %. Mais jamais l’enchaînement des événements, des causes de la contamination à la gestion de la crise, s’est révélé aussi dévastateur que dans le cas des pizzas Fraîch’Up.

Retrait-rappel immédiat

Quand Nestlé, propriétaire de Buitoni depuis 1988, est alerté, le soir du 17 mars 2022, de la présence d’E. coli dans l’une de ses pizzas surgelées Fraîch’Up retrouvée dans le réfrigérateur d’une famille, la réaction est pourtant immédiate. Dès le lendemain, la marque rappelle toutes les Fraîch’Up produites à Caudry et arrête les deux lignes de production du site, qui emploie alors 180 personnes.

Mais la gestion médiatique de la crise se révèle chaotique. Nestlé se heurte aux informations reçues au compte-gouttes des autorités sanitaires (Santé publique France et la DGCCRF). Si elles investiguent depuis des semaines sur une recrudescence de cas d’insuffisance rénale chez des enfants, le lien direct avec les pizzas Fraîch’Up n’est pas encore confirmé.

Dans les premiers jours, la stratégie du doute choisie par Nestlé a placé les familles dans une forme de culpabilité, leur laissant la charge de la preuve. Le manque d’empathie a été flagrant, avec une réaction par communiqués désincarnés
Florian Silnicki, fondateur du cabinet spécialiste en gestion de crise LaFrenchCom

Plutôt que de faire profil bas, Nestlé tente de se disculper, expliquant que les cas comptabilisés sont trop nombreux pour ne provenir que de la consommation de ses pizzas. Quand Santé publique France confirme le lien, le 30 mars, le directeur industriel de Nestlé France présente ses excuses lors d’une conférence de presse. Mais celles-ci passent inaperçues.

«Une succession d’erreurs ont favorisé la mobilisation des familles sur les réseaux sociaux, analyse Florian Silnicki, fondateur du cabinet spécialiste en gestion de crise LaFrenchCom. Dans les premiers jours, la stratégie du doute choisie par Nestlé a placé les familles dans une forme de culpabilité, leur laissant la charge de la preuve. Le manque d’empathie a été flagrant, avec une réaction par communiqués désincarnés. Même chose pour l’absence de prise en charge des victimes. Tout a été fait à l’exact inverse des standards habituels en vigueur dans ce type de situation.»

De fait, à l’époque, dans les équipes de la filiale française de Nestlé, un groupe très à cheval sur les questions de sécurité, l’incrédulité succède à la stupéfaction. En coulisses comme en public, le groupe met en avant 75 tests réalisés dans l’usine, tous négatifs. Et pointe une possible cuisson impropre des pizzas à pâte crue…

Les jours suivants, deux éléments majeurs font voler en éclats cette défense. D’abord la diffusion, le 31 mars, de témoignages de salariés et d’images chocs tournées quelques mois plus tôt dans l’usine de Caudry, et montrant un état sanitaire du site sans équivoque. Puis, le lendemain, la publication d’un arrêté préfectoral interdisant la reprise de la production.

Pointant de «graves manquements en termes d’hygiène dans l’usine de Caudry» constatés lors de contrôles les 22 et 29 mars, le compte rendu est implacable. Manque d’entretien et de nettoyage des zones de fabrication, extraction de l’air insuffisante, présence de rongeurs, la liste des anomalies est longue. L’enquête préliminaire ouverte le 22 mars par le parquet de Paris débouchera sur l’ouverture d’une information judiciaire pour homicide involontaire, blessures involontaires et mise en danger d’autrui.

Entre-temps, Nestlé France accumule les erreurs. Après l’envoi malencontreux d’un bon d’achat à une famille de victime, le groupe est obligé fin avril de s’excuser, reconnaissant «une erreur qui n’aurait pas dû être faite». L’épisode relance la polémique, d’autant que le groupe peine toujours à donner un début d’explication sur les causes du drame.

«Normalement, si on met en branle toutes les équipes, on arrive en quelques jours à obtenir des éléments et identifier les grandes lignes de ce qu’il s’est passé», explique un ex-cadre du groupe. Les plaintes s’accumulent, de la part d’une cinquantaine de familles et d’associations de défense des consommateurs. Elles aboutiront, en septembre, à une demande d’indemnisation de 250 millions d’euros de la part de l’avocat de 55 des victimes, qui assigne Nestlé pour faute lourde.

Le silence est toujours coupable. La réaction émotionnelle et l’absence d’excuses ont été catastrophiques. Et ce même si, au vu de la gravité des conséquences de la crise, il était presque impossible d’échapper à une responsabilité

Un connaisseur du groupe

Chez Nestlé France, l’émotion semble l’avoir emporté sur la rationalité. Il faut attendre mi-juillet et la pression de la maison mère de Vevey pour que le patron de la filiale, Christophe Cornu, présente ses excuses aux familles, dans un entretien au Figaro . Il annonce la création d’un fonds de soutien aux victimes. Quelques jours plus tôt, son directeur de la communication a été remercié. Son mea culpa peine à convaincre. Christophe Cornu laissera sa place sept mois plus tard, tout en gardant des fonctions opérationnelles chez Nestlé Europe.

«Le silence est toujours coupable, résume un connaisseur du groupe. La réaction émotionnelle et l’absence d’excuses ont été catastrophiques. Et ce même si, au vu de la gravité des conséquences de la crise, il était presque impossible d’échapper à une responsabilité.»

L’enquête en cours définira ces responsabilités. Selon les éléments donnés par Nestlé, les farines utilisées pour la pâte de la Fraîch’Up seraient bien la cause de la contamination. Et ce alors que le groupe aurait changé quelques semaines plus tôt de meunier, optant pour un fournisseur ayant pourtant pignon sur rue. Selon plusieurs sources, la question du stockage dans un silo de ces farines pose aussi question.

Usine remise à neuf

À côté de ce temps judiciaire, qui prendra des années, ces accrocs en chaîne se révéleront lourds de conséquences sur le plan social. Car à Caudry, qui compte 10.000 habitants et 20 % de chômeurs, le site contribue à faire vivre directement 400 personnes. L’évocation d’une possible fermeture par la direction, début mars, a fait monter Bercy au créneau dans un bassin d’emplois déjà sinistré. Le 13 mars, Roland Lescure le ministre de l’Industrie fait le déplacement à Caudry. «Il ne faudrait pas que le drame sanitaire se transforme en drame social», glisse-t-on dans au ministère de l’Économie.

Pourtant le strict protocole de redémarrage de l’usine s’était traduit par le démontage et nettoyage de 19.000 pièces. Soit un investissement de 2,5 millions d’euros par Nestlé pour moderniser le site. Un revirement alors que, selon nos informations, Caudry figurait avant le scandale sur la liste des usines de Nestlé menacées de fermeture, au vu de la faiblesse du marché des pizzas surgelées ces dernières années.

Lors de la réouverture, fin 2022, les équipes ont été réduites d’un tiers, grâce à des mesures d’âge avantageuses, pour se concentrer sur la production des gammes Grandiosa, Four à Pierre et Fiesta. Mais la perte de confiance a été trop profonde, touchant le marché des pizzas surgelées, qui a plongé de 20 % sur un an.

«Avec 120 personnes, les équipes étaient surdimensionnées, reconnaît Christophe Kauffmann, secrétaire CFDT du comité de groupe Nestlé en France. Mais on peut douter que Nestlé ait fait des efforts suffisants pour relancer la marque ou même fait de vraies études de marché pour une autre production sur le site.» Pour les salariés comme pour l’exécutif, «l’heure est désormais à une responsabilité sociale totale attendue de Nestlé, à qui il incombe de tout faire pour retrouver un repreneur, et accompagner socialement ses salariés.»

Retour sur un an de crise

17 mars 2022

Nestlé France est alerté de la présence d’E. coli dans la pâte d’une de ses pizzas Buitoni Fraîch’Up et d’un lien possible avec des cas de syndrome hémolytique et urémique. Il rappelle l’intégralité des pizzas, produites sur son site de Caudry (Nord).

22 mars 2022

Ouverture d’une enquête préliminaire.

30 mars 2022

Le lien des malades avec les pizzas Fraîch’Up est confirmé.

5 mai 2022

Le bilan définitif s’élève à 56 personnes contaminées, dont 2 enfants décédés.

12 mai 2022

Ouverture d’une information judiciaire pour «homicide involontaire» et «blessures involontaires».

11 juillet 2022

Le patron de Nestlé France, Christophe Cornu, présente ses excuses aux familles.

21 décembre 2022

Caudry est autorisée à rouvrir une de ses deux lignes, après 2,5 millions de travaux, et une cinquantaine de départs volontaires.

1er mars 2023

Muriel Liénau succède à Christophe Cornu à la tête de Nestlé France.

3 mars 2023

Nestlé met en pause son usine, faute de commandes.

13 mars 2023

Roland Lescure, le ministre de l’Industrie, se rend sur le site de Caudry.