Astreinte de crise 24h/24 7j/7

Kinder marche sur des oeufs

Noël|Secouée par un scandale sanitaire en avril qui a fait chuter son chiffre d’affaires à Pâques de 40 %, la marque joue gros pour les fêtes de fin d’année. Les consommateurs semblent encore hésiter.

Aurélie Lebelle

Les calendriers rouge et blanc aux couleurs de Kinder ont été joliment disposés dès l’entrée de ce supermarché Auchan, à Soisy-sous-Montmorency (Val-d’Oise), captant l’attention des clients dès leur arrivée dans le magasin. Un calendrier avec un puzzle, une locomotive bourrée de chocolats, un chalet ou encore un oeuf en forme de ballon de foot : cet hiver, pour patienter jusqu’à Noël, Kinder a vu les choses en grand.

Avec déjà, en ce vendredi, de fortes promotions en rayon qui ont fini par convaincre Lydia, la quarantaine : « J’avais dit non aux garçons mais là, il y a 34 % de réduction, lance cette mère de famille en glissant deux calendriers dans son chariot. En quantité de chocolats, Kinder reste le moins cher. » À quelques mètres de là, Martine, elle, ne veut plus entendre parler de cette marque appartenant au groupe Ferrero. Cette mamie d’à peine 60 ans en avait pourtant plein dans ses placards… jusqu’au « scandale », comme elle dit.

Rayons remplis et campagne de pub massive

En avril dernier, des contrôles sanitaires ont fait état de présence de salmonelle dans des chocolats Kinder commercialisés en France, déclenchant un scandale majeur avec des friandises retirées en urgence des rayons et des témoignages de familles d’enfants malades. « Moi, je n’oublie pas, lâche Martine, qui préfère prendre des produits concurrents. Il n’est pas question que j’achète ça à mes petits-enfants car s’il y a encore des problèmes, je m’en voudrais trop. »

À quelques semaines de Noël – la deuxième période la plus importante de l’année après Pâques en termes de chiffre d’affaires (15 %) -, Kinder joue donc gros. Les consommateurs, qui étaient 60 % à ne plus avoir confiance au moment de la crise, ne sont pas tous prêts à acheter des petits oeufs en chocolat. Et, après des fêtes de Pâques lamentables au printemps dernier, avec un chiffre d’affaires en chute libre de 40 %, la marque a tout intérêt à réussir les fêtes de fin d’année.

Alors depuis des semaines, les rayons se remplissent de Kinder, et les spots publicitaires martèlent le message de familles heureuses dévorant des chocolats au coin du feu. « La marque a pris le parti d’y aller à fond sur la communication », estime Emmanuelle Hervé, la PDG d’EH&A, un cabinet conseil spécialisé en gestion de crise. L’une des publicités phares de novembre reste celle du calendrier de l’avent « histoires », nouveauté du cru 2022, où un père lit chaque soir un conte à son enfant. Ce calendrier est dans « la continuité de notre positionnement autour des moments de partage en famille avec notamment des expériences ludo-éducatives », récite-t-on chez Kinder.

Cela fait sourire Florian Silnicki, le fondateur de l’agence communication de crise LaFrenchCom, qui y voit surtout une « stratégie de contournement ». « On accroche le consommateur par autre chose que le produit central, ici un livre, pour dévier son attention, analyse-t-il. C’est une stratégie de crise. »

Quoi qu’il en soit, Kinder met le paquet pour écouler ses calendriers comme des petits pains. Marque de référence sur ces produits, avec 12 modèles et un best-seller vendu à 2,5 millions d’exemplaires l’an dernier, la marque le reconnaît : « Ce marché est très important pour la saison de Noël et représente 37 % de l’ensemble du chiffre d’affaires du marché des chocolats de Noël sur le segment enfants. »

Mais le sujet reste sensible. « Lorsque Kinder a rappelé ses produits au printemps, les consommateurs ont appris tardivement que les calendriers 2021 étaient concernés par la salmonelle, glisse Emmanuelle Hervé. C’est évident que cela n’a pas été oublié par tous les parents. »

D’autant que depuis le scandale sanitaire et un grand mea culpa du directeur général de Ferrero dans nos pages en mai, Kinder a globalement gardé le silence sur ce sujet. Le dernier post du compte Twitter de la marque est d’ailleurs resté figé au 15 avril : « Le rappel de certains de nos produits Kinder suscite de nombreuses inquiétudes », peut-on lire.

Pas de communication sur les chiffres

Ces derniers jours, des caméras de BFMTV ont certes filmé l’usine normande de fabrication de petits chocolats. « Ils mettaient en avant l’emploi local, la qualité des produits, la transparence, décrypte Florian Silnicki. C’était une séquence de communication savamment orchestrée pour rassurer les consommateurs. Mais c’est arrivé très tard. Trop tard. » Rien d’étonnant pour un géant de l’industrie, selon Catherine Hartog, PDG de CPH Consult, une agence spécialisée en communication de crise : « Ils sont conscients du problème, font tout pour le régler, mais ils ne perçoivent pas assez l’émotion qu’il faut traiter chez les consommateurs. » Et aujourd’hui, pas question de communiquer sur des chiffres. « Nous le ferons en janvier, une fois Noël passé », assure-t-on chez Kinder.

D’ici là, il reste quelques semaines pour faire gonfler le chiffre d’affaires. Dans les rayons, Kinder brade les prix des calendriers mais pas seulement : – 50 % sur le deuxième Père Noël en chocolat; idem pour les Schoko-bons. Rares sont les concurrents à se lancer, déjà, dans de telles promotions. « C’est très tôt, et ça montre bien que Kinder essaie de reconquérir le coeur des consommateurs par le portefeuille, estime Catherine Hartog. Ils vont regagner des parts de marché en proposant des prix très attractifs car, en période d’inflation, c’est un paramètre important. » Capital, même, si l’on en juge les arguments des clients du supermarché. Ceux qui optent pour un produit Kinder parlent de plaisir et… de prix.

Illustration(s) :

Huit mois après le scandale sanitaire qui l’a concerné, Kinder doit convaincre les clients lors ce mois de décembre, la deuxième période la plus importante de l’année en chiffre d’affaires (15 %) après Pâques.
LP/ Jean-Baptiste Quentin