Com’ de crise : pas d’omelette sans casser quelques oeufs
Ruse ? Certaines déclarations patronales ressemblent à des impairs. Mais ces boulettes sont parfois très stratégiques.
« Maladroit », « stupide », « scandaleux », « dégueulasse »… En quelques mois, les dirigeants des grandes entreprises ont été rhabillés pour plusieurs hivers. Et pour cause ! Surstaffés en interne et en conseils extérieurs, farcis d’études et d’outils de veille prospective, nos grands groupes mondiaux connaissent mieux que personne les risques d’un mauvais choix de calendrier pour faire une annonce, d’un mot mal choisi ou d’une réaction tardive sur l’entreprise, son image ou ses affaires.
Et pourtant, cette année encore, ce dispositif n’aura pas empêché Total d’annoncer son objectif de dégraisser sa masse salariale (555 postes) un mois après s’être félicité de réaliser les plus gros profits de son histoire (13,9 Mds€), suscitant une levée de boucliers médiatique et l’ire de l’opinion publique.
L’expérience des conseils n’a pas non plus empêché la Société générale, placée sous haute surveillance depuis l’affaire Kerviel, d’en remettre une couche en annonçant (ou pire en laissant d’autres le faire à sa place) l’octroi de stock-options à ses cadres dirigeants, une retraite chapeau à son président Daniel Bouton ou, plus récemment, en laissant percer dans les médias l’affaire du trou de 5 Mds€ de son département Assent Management (SGAM).
Une tendance à sous-estimer les problèmes ?
À divers degrés, les exemples ne manquent pas. Au point qu’on en finit par se demander si ces maladresses ne sont pas parfois l’expression d’une stratégie d’entreprise.
« Quand un patron d’entreprise annonce un plan social, son cours en Bourse augmente, rappelle ce dirigeant d’une grande agence de communication corporate. Le fait que sa rémunération est indexée sur ce cours peut en partie expliquer son audace. »
Pour Nina Mitz, présidente de Financial Dynamics : « Beaucoup de dirigeants ont tendance à sous-estimer les problèmes et donc à avoir une mauvaise gestion de crise. Ils n’ont pas de capteurs de l’opinion publique. Ils évoluent dans un univers incestueux, agissent, pensent et dînent ensemble. Ils n’ont plus de recul… et nous demandent d’intervenir pour éteindre le feu. Plus rarement en amont. »
Intérêts contradictoires
Si les idées selon lesquelles l’éloignement de la réalité aveugle et l’appât du gain rend fou sont partagées par les observateurs, d’autres explications plus stratégiques sont aussi avancées. Antoine Boulay, directeur associé de Vae Solis Communications rappelle que le nombre de parties prenantes complique la donne. Pour faire passer un plan de licenciement auprès de l’interne, l’entreprise doit dire qu’elle va mal. Mais si elle le dit, ses fournisseurs risquent de ne plus vouloir lui fournir leur matière première, de peur de ne pas être payés.
Les clients aussi peuvent ne plus vouloir acheter. Et d’illustrer cette schizophrénie dans un autre registre : « Alors que la loi Sarbanes-Oxley impose à l’entreprise d’avertir en priorité tout acteur intéressé d’une action ayant une forte incidence, le droit français impose dans le même temps qu’elle donne la priorité aux instances du personnel ! »
Tout va donc dépendre de la culture de chacun, de l’influence des conseils (consultants en communication, communication des avocats, RH, analyste…) mais aussi des priorités du moment pour l’entreprise.