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Grippe Aviaire : la communication dans le principe de précaution

grippe aviaire

La gestion de crise gouvernementale face à la Grippe aviaire

Échaudés par les précédentes crises (vache folle, canicule, sang contaminé, amiante), les pouvoirs publics, au nom du principe de précaution, se sont préparés à une pandémie. Tout en révélant un dispositif sanitaire fondé sur des hypothèses, ils ont axé leur communication de crise sur l’absence de risque alimentaire. Un double discours qui provoque la panique et risque de déplumer toute la filière avicole. 

Samedi 18 février au soir, la grippe aviaire a fait sa première victime en France : un canard retrouvé dans l’Ain. Si ce premier cas chez un animal sauvage – et d’autres – était « attendu » par les autorités sanitaires, les effets sur la consommation de volailles, déjà marquée ces derniers mois par une baisse des ventes de 10 à 15 %, ne se sont pas fait attendre, avec un décrochage de 25 à 30 %. Et la filière avicole, déjà à genoux, de chiffrer la perte de chiffre d’affaires des producteurs français à « des dizaines de millions d’euros », quand les experts martèlent qu’il n’y a pas de risque d’un point de vue alimentaire, et que les pouvoirs publics exhortent les Français à maintenir leur consommation de volaille en multipliant les interventions et intervenants.

Ces mêmes pouvoirs publics qui mettent parallèlement l’accent, dans le cadre du plan national de lutte contre la grippe aviaire, sur la prévention d’une éventuelle pandémie. Dès l’introduction, le plan détaille les conséquences d’une « pandémie grippale » : de 9 à 21 millions de malades et de 91 000 à 212 000 décès en France en l’absence d’intervention sanitaire, une désorganisation du système de santé, de la vie sociale et économique… bref, le chaos.

Une canicule et deux scandales (sang contaminé, amiante) plus tard, le principe de précaution fait loi, au risque de générer une psychose à partir d’une « hypothèse de travail ».

Une menace quasi terroriste

La cellule de crise étude et veille de TBWA Corporate s’est ainsi intéressée au traitement médiatique de la grippe aviaire tout au long de l’année 2005 (1 979 retombées « significatives » analysées) : 83 % des retombées se sont concentrées sur le quatrième trimestre, période qui coïncide avec la révélation du dispositif sanitaire par les pouvoirs publics.

Si la plupart de ces retombées diffusent des informations factuelles, 19 % du discours médiatique est alarmiste et 17 % polémique. « La grippe aviaire, dans son traitement médiatique, active un imaginaire et convoque une mise en scène comparable à la préparation à une menace terroriste, commente Nicolas Narcisse, de TBWACorporate. Une menace aveugle face à laquelle se forme une coalition mondiale avec des réponses quasi militaires. »

Un risque diffus qui met à mal les diagnostics en matière de gestion de crise. Crise sanitaire, alimentaire, crise de confiance du consommateur… ? Si crise il y a vraiment.

« La vraie crise démarrera le jour où un élevage sera contaminé*, avance Yves Jambu-Merlin, partner d’Euro RSCG C&O. Le plus dur est forcément à venir, et ça va être long, résistant peut-être même à un changement de présidence. » Tant qu’il n’y pas de « source clairement identifiée, il n’y a pas de circonscription possible du danger », estime Jean-Pierre Beaudoin.

Pour le Dg de I & E, « cette situation confirme l’état de nos sociétés. Dans d’autres, comme en Afrique, la priorité est d’assurer son alimentation, quand, ici, la volonté d’assurer sa santé individuelle, et non pas collective, prend le pas ». Même si des dispositifs sont mis en place, des garanties prises, on ne peut « empêcher l’impact dans l’opinion publique et nous sommes en plein dedans, comme en atteste la baisse de la consommation », ajoute-t-il.

Pour éviter la psychose, il préconise d’éviter, à tous les niveaux, une « surenchère » dans la communication, « en communiquant de manière précise, concrète, sur les mesures prises, et surtout pas sur la livraison d’hypothèses ».

Une approche « objective » revendiquée par le Centre d’information des viandes (CIV), association mandatée en octobre par le ministère de l’Agriculture pour coordonner l’action de la filière avicole et participer à l’information du grand public sur la consommation de volaille. Son Dg, Louis Orenga, renvoie à une conviction acquise au cours des crises qu’il a eu à gérer (vache folle de 1996 à 2000, fièvre aphteuse en 2001, dioxines de 1996 à 2002) : « La communication, qu’elle émane d’intérêts privés ou des pouvoirs publics, doit être axée sur les mesures prises et les raisons qui les ont motivées. »

Il résume la situation actuelle : « Les décisions publiques prises en matière d’épizootie ont été transformées en risque alimentaire, cela n’a rien à voir. » Quant au raisonnement qui voudrait qu’en période de crise, il ne serve à rien de « donner une information rationnelle puisque le consommateur, guidé par la peur, est dans un registre irrationnel », il est balayé par le Dg du CIV. « Entre ne rien dire, en partant du principe que l’information participe à nourrir la psychose, et en faire un peu trop, le choix est vite fait. »

L’efficacité informative remise en cause par la crise

En matière d’ « efficacité informative », L. Orenga remet en cause les conditions dans lesquelles sont diffusés les messages du CIV (cf. encadré Dispositif du CIV).  » Nous sommes légalement obligés d’acheter de l’espace et, de fait, con damnés à ce que nos messages se fassent dans un contexte publicitaire alors que nous n’avons rien à vendre. » En clair : cela nuit à la « crédibilité » dudit message. « Le consommateur, en entendant les experts, peut très bien se dire : c’est de la pub. Ces scientifiques ont été payés pour le faire. Le système binaire pub/ presse, ne correspond plus à nos sociétés », ajoute-t-il, plaidant pour l’ouverture d’une réflexion.

Du côté des acteurs de la filière avicole, pas d’action « publi-promotionnelle » collective à attendre pour l’instant. Si cette dernière s’est réunie en mai 2004 dans l’Association de promotion de la volaille française (APVF), elle souffre de l’absence de véritable organisation interprofessionnelle. André Lepeule, délégué général de la Fédération des industries avicoles et membre de l’APVF, reconnaît une prise de conscience collective un peu tardive, tout comme une véritable difficulté à réunir des fonds pour un secteur « poids léger » en matière d’investissements.

DISPOSITIF DU CIV

Après avoir mis en place pour le grand public un numéro Vert soutenu par une campagne dans la PQR, des pages d’information dédiées sur son site Internet et une brochure d’information, envoyée dans 8 millions de foyers, le CIV vient d’achever la seconde vague de sa campagne radio, reposant sur les interviews de personnalités référentes (P. Vannier, directeur de la santé animale à l’Afssa Monique Éloit, directrice adjointe de la Direction générale de l’alimentation, un éleveur). Une troisième vague est d’ores et déjà planifiée, quelle que soit l’évolution de la situation. Tout, mais pas le silence…

LA VOLAILLE CUISINE SA COM

Face à la cacophonie ambiante et à la multiplication des prises de parole des pouvoirs publics et des organismes impliqués dans la grippe aviaire, la majorité des annonceurs a décidé de ne pas mettre d’huile sur le feu. Outre le fait que les volailles ne sont plus montrées en plein air, mais déjà cuites – la vente de volaille dite « transformée » reste moins touchée par la désaffection que celle des poulets vendus entiers -, les marques axent leurs discours sur les qualités gustatives des volatiles.

Ainsi, Avigers (Poulets fermiers du Gers) remplace sa signature : « Élevé en plein air, élevé en plein Gers » par : « C’est un Gers, c’est sûr » ; pour Loué, LDC (Le Gaulois, Fermiers de Loué) troque son accroche : « La confiance partagée » par : « Le bon goût retrouvé »… « Notre prise de parole se limite aux équipes commerciales et aux éleveurs », explique Cyrille Arcamone, dircom du groupe Doux (Père Dodu).

Un propos confirmé par Danièle Arrivé, Pdg du groupe éponyme (Maître Co €) qui « se rallie à la communication de l’APVF, et qui communique à l’interne grâce à une lettre d’information. » De même, Joëlle Mouly, directrice associée de l’agence Raffut et Communication, qui gère les prises de parole d’Avigers, souligne qu' »il est impossible de développer un discours rassurant en période de crise quand les médias présentent un sujet de façon dramatique. Il est préférable d’attendre une accalmie, voire la sortie de crise, pour intervenir sur ce point ».

Concernant les investissements pub, Doux et LDC annoncent une augmentation dans les prochaines semaines, surtout en cas de « pic de crise ». Seul Arrivé compte les réduire. Tirant les leçons des crises traversées, McDonald’s, lui, a intensifié son information vers l’interne et apposé des affichettes dans son millier de restaurants. L’enseigne, qui écoule 10 000 tonnes de poulet chaque année, avait anticipé en invitant, dès l’automne, médias et associations de consommateurs sur les sites d’élevage.

LES MÉDIAS JOUENT LA PRUDENCE, MAIS…

Cette « une » du « JDD » parue au lendemain de la découverte en France du premier volatile porteur du virus H5N1 résume assez bien l’attitude des médias. « Ils ont très bien relayé la communication des pouvoirs publics. D’habitude, on est plutôt dans des situations où ils doutent d’entrée, analyse Yves Jambu-Merlin, partner d’Euro RSCG & CO.

Mais maintenant que la presse a donné le numéro Vert et expliqué les premiers gestes d’urgence, cela pourrait devenir plus difficile pour le gouvernement. » On est toutefois bien entré dans une crise de tout premier plan : selon l’agence, la première semaine d’arrivée du virus en France a donné lieu à plus de 500 dépêches d’agences, contre 395 pour celle du 17 octobre dernier, lorsque le dispositif sanitaire a été dévoilé.

La presse joue aussi la prudence car, selon Y. Jambu-Merlin, « le début d’infos continues contribuerait à orchestrer la « catastrophisation » du monde et la théorie du chaos ». Certains titres devront cependant résister à la tentation sensationnaliste, qui dope les ventes mais génère la psychose.