Tony Blair a-t-il eu l’intention de voler la vedette lors des grandioses cérémonies funéraires de la reine mère? La dernière controverse politique à secouer la Grande-Bretagne a-t-elle été créée de toutes pièces par une presse conservatrice de plus en plus hostile au premier ministre et à son entourage?
Selon le magazine Spectator et le Daily Telegraph, Downing Street a exercé des pressions indues sur Sir Michael Willcocks, responsable des arrangements funéraires de la reine mère, pour que M. Tony Blair soit mis en valeur lors des cérémonies d’avril dernier. Les deux publications appartiennent à Conrad Black, le magnat de la presse qui a renoncé à sa citoyenneté canadienne pour devenir membre de la Chambre des lords.
Les accusations ont été reprises avec divers degrés d’enthousiasme par les autres médias du pays. Talonné depuis des jours, M. Blair a affirmé hier que la controverse avait de quoi rendre le public “perplexe” et qu’il avait “mille et une” autres choses à faire en tant que premier ministre. Mais Downing Street a tout de même pris la peine de diffuser un document de 29 pages donnant sa version des événements.
C’est que la crédibilité du premier ministre est en jeu. Encore une fois, Tony Blair passe pour un dirigeant obsédé par son image, sa communication politique et entouré de spin doctors machiavéliques. Quel autre genre de politicien peut tenter “de se précipiter devant le chef de l’État et sa famille en deuil, de façon à ce que la nation voit à quel point, lui aussi, ressent leur douleur?” demande le Daily Telegraph, qui accuse Downing Street d’avoir “délibérément menti” pour couvrir cette embarrassante affaire.
L’intrigue a pris un nouveau souffle, cette semaine, quand Alastair Campbell, le tout-puissant bras droit du premier ministre, a retiré la plainte qu’il avait déposée plus tôt contre le Spectator et le Telegraph au Conseil de presse du pays. Les deux publications se sont empressées de déclarer victoire, estimant que M. Campbell avait reculé parce qu’il savait sa cause perdue. Quoi qu’il en soit, le spin doctor en chef du New Labour a vraisemblablement mal joué ses cartes.
Des lords, des éditorialistes et des députés de tous les partis réclament maintenant la démission de M. Campbell, ancien chroniqueur de tabloïd étroitement associé aux tactiques de manipulations et de calomnies qui ont fini par devenir, dans l’esprit du public, la marque de commerce du New Labour. “Le gouvernement ne pourra jamais reconstruire sa crédibilité tant que M. Campbell restera en place”, estime le Sun, qui a soutenu le Parti travailliste aux dernières élections.
Alors que la méfiance mutuelle entre Downing Street et la presse britannique atteint de nouveaux sommets, M. Blair tente désespérément de débarrasser son parti de sa mauvaise réputation. La semaine prochaine, il s’adressera directement aux correspondants politiques de Westminster. L’automne prochain, les briefings quotidiens, tenus presque secrètement au sous-sol de Downing Street et consacrés à une poignée de reporters, seront remplacés par des conférences de presse ouvertes à tous les journalistes, y compris aux représentants de la presse étrangère.
Le “spin” du New Labour a fait sa dernière victime le 28 mai, quand le ministre des Transports, Stephen Byers, a remis sa démission. M. Byers a flanché après des mois de harcèlement par les médias, qui n’ont jamais avalé son soutien pour l’une des ses conseillères en communication, Jo Moore. Cette dernière avait envoyé un courriel à ses collègues, le 11 septembre, affirmant que c’était une “bonne journée pour enterrer les mauvaises nouvelles”. Outrée par ce flagrant manque de compassion, la presse a eu sa tête, tout comme celle de son ancien patron.