Les cursus intègrent davantage le management du risque
Les unes après les autres, les écoles de commerce et d’ingénieurs élaborent et intègrent dans les programmes de nouvelles méthodes et de nouveaux contenus permettant de réagir au mieux aux risques de tous ordres (technologiques, industriels, alimentaires, sanitaires, etc.). Certaines d’entre elles ont préféré engager au préalable une réflexion plus globale.
La réforme des enseignements de l’Ecole centrale de Lyon, en place depuis 2002, est à cet égard emblématique. Des conférences et des cours d’éthique sont proposés depuis cette année aux élèves des deux premières années. « On ne met pas l’éthique devant la mécanique, mais il n’est pas question que l’école mette sur le marché du travail des ingénieurs sans expérience d’éthique. Quand une entreprise délocalise une usine ou que son activité génère un impact sur l’environnement, ils doivent pouvoir s’appuyer sur certains repères pour pouvoir réagir et décider » , défend Francis Leboeuf, le directeur des études de l’école.
Au-delà du contexte favorable à l’évolution des esprits, l’enseignement de la gestion des risques est encore émergent. D’après un décompte non exhaustif établi par Jean-Luc Wybo, directeur du pôle cindynique de l’Ecole des mines de Paris, une cinquantaine de formations spécialisées sur le management du risque seraient proposées, essentiellement au niveau de troisièmes cycles, sous forme de DESS et de masters spécialisés.
On peut citer entre autres les DESS gestion globale des risques et des crises à Paris-I-Sorbonne ; marchés financiers, marchés des matières premières et gestion des risques ainsi que techniques de l’assurance et management du risque à Paris-IX-Dauphine ; cryptologie, sécurité et codage de l’information à Grenoble-I et à l’Ensimag (ENS d’informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble) ; prévention des risques, sécurité en environnement industriel au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
Parmi les masters spécialisés : sécurité industrielle et environnement à l’Ecole des mines d’Alès ; management global des risques à l’ENS Cachan ; management des risques à Bordeaux-Ecole de management.
Enfin, deux masters sont en création : l’un sur l’évaluation et la gestion des risques environnementaux entre l’ENSP (Ecole nationale de la santé publique), Paris-V et Paris-XI, l’autre sur l’ingénierie des systèmes à risque entre l’ENSMP (Mines Paris), l’Ecole de chimie de Paris et l’université de Tongji en Chine.
Ces formations de spécialité sont encore réservées à un petit nombre d’étudiants. Dans les écoles d’ingénieurs, la gestion des risques est rarement enseignée de manière globale et transversale. La problématique du risque est intégrée aux enseignements classiques et reste surtout une sensibilisation.
Pour William Dab, titulaire de la chaire hygiène et sécurité au CNAM, toutes les années de formation devraient être concernées : la première doit faire prendre conscience que les ingénieurs sont producteurs de risques, la deuxième doit donner les outils d’analyse du risque et la troisième ceux de management du risque. Le CNAM fait figure d’exception en offrant une gamme complète de diplômes, du bachelor au DEA, sur l’hygiène et la sécurité. Depuis 2002, une option sur ce thème est ouverte à ses étudiants inscrits au diplôme d’ingénieur en électrotechnique.
La sécurité informatique est enseignée au niveau de la prévention des risques et peu au niveau de leur gestion. A l’Institut national des télécommunications (INT), Evry ou à l’Ensimag, les cours sur les systèmes d’information, les réseaux ou le protocole sont émaillés de notions sur la fiabilité des composants, des logiciels, sur les failles de sécurité et les réflexes de base. Certaines options de troisième année sont également concernées. Mais la matière ne passionne ni les étudiants ni les enseignants. A l’INT, une option sécurité et fiabilité et un master spécialisé sur la sûreté de fonctionnement ont même dû être fermés faute d’audience.
UNE APPROCHE PLUS TRANSVERSALE
Comme Jean-Luc Wybo, beaucoup reconnaissent que l’insuffisance de sciences humaines et sociales dans ces formations empêche la capacité d’analyse des erreurs humaines et d’organisation – principaux facteurs de risque – de se développer chez les élèves ingénieurs.
Les écoles de management insistent au contraire sur leur approche de l’enseignement du management du risque plus intégrée (économique, technologique, sociale, environnementale, psychologique, etc.) que celle des écoles d’ingénieurs. A l’EM Lyon, une option rassemblant une quarantaine d’étudiants est proposée en dernière année. Aux risques spécifiques financiers et juridiques enseignés depuis longtemps, s’est ajoutée depuis trois ans une approche transversale, encore en élaboration, pour apprendre à gérer et à décider en situation de crise, à travers notamment des jeux de rôle.
Certaines écoles, directement concernées par les risques mis en évidence par les affaires du sang contaminé, de l’amiante et de la vache folle, ont élaboré les réformes de fond les plus abouties. Depuis 1995, l’Ecole nationale de la santé publique délivre un enseignement global sur le risque, essentiellement fondé sur des études de cas. Au programme de la vingtaine d’ingénieurs en génie sanitaire formée chaque année : 60 heures en évaluation et gestion des risques, 75 heures en toxicologie et microbiologie et un atelier santé environnement de 100 heures (sur les toxines mentionnées dans le plan Biotox par exemple). En quatre ans, 1 700 personnes ont été formées à la thématique d’analyse ou de gestion des risques, dont 500 en 2001 sur l’aide à la lecture des volets sanitaires pour établir les études d’impact.
Même réponse d’ampleur à l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort, avec la mise en place d’un enseignement transversal sur l’hygiène et l’analyse des risques de 300 heures, dispensé en troisième et quatrième années. La pédagogie s’est transformée sous l’effet des crises, en fournissant quantité d’exemples dans les filières (listeria dans les industries charcutière et laitière par exemple) et en donnant davantage d’occasions aux étudiants de travailler sur le terrain. Une spécialisation sur la communication du risque et la communication de crise a été ouverte en formation continue, sur 20 semaines. D’autres écoles d’agronomie abordent le risque à travers des modules optionnels et certaines spécialités, comme l’ENSA (ENS d’agronomie) de Montpellier, ou au fil des cours d’économie publique, de microbiologie ou de biologie et nutrition humaine, comme à l’Institut national d’agronomie-Paris Grignon (INA-PG).
Chaque école semble interpréter la demande de nouvelles compétences des industriels et les exigences de « risque zéro » de la société civile à sa manière. Pour rassembler l’offre disparate et dispersée, l’idée de créer une école française de la gestion du risque a été lancée au dernier congrès de la conférence des grandes écoles, à Rennes les 3 et 4 octobre 2002. L’objectif consisterait à mutualiser des études de cas et à définir les grandes lignes de l’enseignement. Le programme de la gestion des risques devrait s’écrire dans les années à venir.
L’enseignement à l’entrepreneuriat a-t-il survécu à l’éclatement de la bulle Internet ?
Ses promoteurs veulent croire que la discipline se structure normalement – en mettant en place des équipes pédagogiques spécialisées et en se diffusant à tous les niveaux de l’enseignement supérieur – et que les conséquences de l’engouement pour les nouvelles technologies ne modifient guère cette tendance. Mais on reconnaît que le public de ces formations a changé : « Le mirage collectif sur les NTIC -nouvelles technologies de l’information et de la communication- a attiré dans les cours sur l’entrepreneuriat une population sensible à l’argent facile.
Aujourd’hui, les étudiants sont moins des porteurs de projet. Ils restent intéressés par la création d’entreprise, mais ils voient l’enseignement comme un ensemble de situations utiles pour leur carrière, à longue échéance », analyse Alain Fayolle, professeur à l’Institut national polytechnique de Grenoble (INPG) et vice-président de l’Académie de l’entrepreneuriat. Les étudiants sortant des masters spécialisés se « vendraient » davantage dans les cabinets conseils ou dans les entreprises qui recherchent des profils avec « un esprit d’entreprendre ».
Les formations à l’entrepreneuriat peuvent-elles être évaluées ?
« Vouloir faire la connexion entre la formation à l’entrepreneuriat et la création d’entreprise éventuelle des anciens étudiants est un mauvais calcul, car si création d’entreprise il doit y avoir, c’est cinq ou dix ans après la formation » défend Alain Fayolle. Les notions de liberté, d’innovation, de dynamisme attirent toujours les étudiants, mais il reconnaît que le passage à l’acte d’entreprendre reste toujours très difficile dans la société française.