Lorsqu’une entreprise ou une personnalité est impliquée dans une affaire judiciaire très médiatisée, sa stratégie de communication peut peser presque autant que sa stratégie juridique insiste Florian Silnicki, Expert en communication de crise et Président Fondateur de l’agence LaFrenchCom. Une erreur de communication avant, pendant ou après un procès risque d’aggraver la perception publique et de nuire à la défense. À l’inverse, une communication sous contrainte judiciaire bien menée peut atténuer l’impact d’une crise judiciaire sur la réputation.
Avant le procès : éviter les faux pas initiaux
Dès les premières rumeurs d’enquête ou l’annonce d’une inculpation, la tentation est grande soit de se murer dans le silence, soit de réagir trop vivement. Ces réflexes peuvent coûter cher en termes d’image. Voici les erreurs à ne pas commettre en amont du procès, et comment y remédier :
Silence total – Beaucoup d’entreprises choisissent le mutisme complet en pensant éviter les faux pas. Mais « pas de commentaire » = « ils cachent quelque chose » : ce silence laisse un vide immédiatement occupé par les accusateurs, les médias et la rumeur. Ne rien dire alimente la suspicion, comme un aveu implicite. Que faire ? Il vaut bien mieux communiquer un minimum, même sous contrainte judiciaire. Par exemple, publier un bref message pour prendre acte de la situation, affirmer sa coopération avec la justice et sa confiance dans l’issue légale. Cela montre que vous ne vous dérobez pas tout en respectant le cadre juridique – et empêche le vide anxiogène de s’installer.
Sur-réaction – À l’inverse du silence, répliquer à chaud de façon démesurée est tout aussi risqué. Des démentis indignés ou des diatribes publiques (accuser les médias de « chasse aux sorcières », crier au complot) donnent une impression de panique et d’agressivité. Impression confirmée dans bien des affaires : crier au complot ou s’en prendre aux juges dans les médias n’a jamais aidé un accusé, bien au contraire. Attaquer les journalistes ou les enquêteurs, ou nier en bloc avant même d’avoir tous les éléments, fait passer l’accusé pour paranoïaque ou arrogant. Que faire ? Gardez la tête froide. Préparez une réponse mesurée et factuelle en concertation avec les avocats. Contestez ce qui doit l’être, mais avec des mots posés, sans invective. Montrez que vous prenez l’affaire au sérieux tout en respectant la procédure. Une défense ferme mais courtoise paraîtra toujours plus crédible qu’une éruption émotionnelle.
Storytelling mal cadré – Vouloir imposer un récit trop éloigné des réalités est une erreur. Par exemple, se poser systématiquement en victime d’un complot au lieu de répondre sur le fond finit par lasser l’opinion. On l’a vu : plusieurs personnalités persuadées d’être victimes d’un soi-disant complot ont misé sur cette posture de martyr, pour au final perdre la bataille de l’opinion. Le public n’est pas dupe des narrations trop convenues ou hors sujet : à esquiver le vrai problème, on perd en crédibilité. Que faire ? Restez authentique et centrez votre communication sur les faits. Ne cherchez pas à enjoliver ou à détourner l’attention par une histoire artificielle. Si vous êtes convaincu de votre innocence, expliquez pourquoi avec sincérité, mais n’invoquez pas des théories fumeuses sans preuves. Un discours humble, transparent et cohérent avec la réalité de l’affaire aura bien plus d’impact qu’un storytelling improbable.
Jargon technique – Communiquer uniquement avec du jargon juridique ou des termes techniques est contre-productif. Un communiqué truffé de références légales obscures ou de formulations bureaucratiques (« conformèment à l’article X », « dans le cadre de la procédure en cours ») ne parle pas au grand public. Le citoyen lambda n’en retient que du flou, ce qui n’apaise ni son inquiétude ni sa curiosité. Au contraire, cela donne l’impression qu’on se cache derrière des technicalités pour éviter de s’exprimer clairement. Que faire ? Traduisez le légal en langage simple. Sans divulguer d’informations sensibles, formulez vos messages dans des mots compréhensibles par tous. Par exemple, au lieu de « Nous ne commenterons pas l’instruction en cours », dites « Nous souhaitons que toute la vérité soit faite et nous coopérons pleinement ». L’idée est de rester clair, accessible et pédagogique, tout en respectant les contraintes juridiques.
Absence de porte-parole – Ne pas désigner de porte-parole officiel, c’est prendre le risque d’une communication incohérente. Sans interlocuteur clair, les journalistes véhiculeront les bribes d’information glanées à droite à gauche, au risque de contradictions. Parfois, plusieurs voix non coordonnées s’expriment (avocats, dirigeants, proches), ce qui brouille le message ; ou au contraire personne ne parle, ce qui laisse libre cours aux interprétations. Ne pas organiser la parole, c’est laisser le terrain médiatique en friche : quelqu’un de non préparé finira par parler à votre place, souvent à tort et à travers. Que faire ? Dès le départ, nommez un porte-parole unique (ou un très petit nombre, selon l’ampleur de la crise). Ce porte-parole, formé à l’exercice, sera le canal préférentiel pour toutes les communications : communiqués, interviews, réponses aux questions. En centralisant l’information et en incarnant la parole, on évite la cacophonie et on affiche une stratégie claire.
Pendant le procès : garder la maîtrise sous pression
Une fois le procès en cours, l’affaire est sur la place publique quotidiennement. Chaque audience peut apporter son lot de révélations commentées en direct par les médias. Dans ce contexte, la communication doit être finement ajustée à la stratégie juridique et à l’opinion. Voici les erreurs à éviter pendant le procès :
Contradiction avec la ligne de défense – Si la communication publique contredit ce que vos avocats plaident au tribunal, vous vous tirez une balle dans le pied. Par exemple, si vos avocats admettent une erreur mineure pour mieux nier le reste, mais que dans la presse vous continuez à proclamer n’avoir « rien fait du tout », cette incohérence sera exploitée par la partie adverse et relevée par les journalistes. On se demandera qui ment, ce qui sapera votre crédibilité. De fait, nombre de crises judiciaires se sont aggravées par un décalage entre la stratégie de com’ et la stratégie légale. Que faire ? Synchronisez vos messages avec votre défense légale. Communicants et juristes doivent travailler ensemble : aucun argument nouveau ne doit être lancé dans la presse sans validation de l’équipe juridique. Briefez les dirigeants ou le prévenu avant chaque prise de parole publique pour s’assurer qu’ils restent dans la même ligne que devant la cour. Cette discipline évitera les couacs désavantageux.
Arrogance – Faire preuve d’arrogance ou de dédain pendant le procès est une erreur fatale d’image. Un prévenu qui parade devant les caméras, un responsable qui minimise l’affaire publiquement (« Ce procès est un non-événement »), ou un ton moqueur envers les plaignants, tout cela donne le sentiment que vous vous croyez au-dessus des lois. Le public, déjà dubitatif, vous jugera sévèrement, et même les juges peuvent en être agacés. L’opinion publique adore détester celui qui paraît méprisant : on ne gagne jamais à endosser le rôle du « présumé arrogant » face à la justice. Que faire ? Affichez au contraire de l’humilité et du respect. Prenez le procès au sérieux, montrez que vous comprenez la gravité des accusations. Répondez poliment aux questions, même hostiles, et évitez tout commentaire condescendant. En public, gardez votre colère ou votre impatience pour vous : il faut apparaître digne et maître de soi. Cette attitude posée sera toujours mieux perçue que l’arrogance, et évitera d’ajouter une couche négative à votre procès.
Instrumentalisation médiatique – Tenter de manipuler outrancièrement les médias pendant un procès (en organisant des fuites calculées ou des campagnes de discrédit contre l’adversaire) peut se retourner contre vous. Si le stratagème est découvert, votre image en prendra un coup sévère : on vous verra comme un manipulateur, prêt à biaiser l’opinion faute de pouvoir convaincre par les faits. De plus, les juges n’apprécient généralement pas qu’on tente de faire pression via la presse : vous risquez des remontrances du tribunal, voire de braquer celui-ci contre vous. Que faire ? Jouez cartes sur table avec les médias. Présentez vos arguments et éléments à décharge de manière officielle (communiqués de presse, déclarations de vos avocats à la sortie d’audience), plutôt que par des fuites anonymes. Ne cherchez pas non plus à attaquer personnellement la partie adverse dans les médias : concentrez-vous sur votre propre défense. En restant correct et transparent, vous conservez la confiance du public et vous évitez un effet boomerang désastreux. L’effet boomerang est bien connu : plus on tente de manipuler l’information, plus la sanction médiatique sera sévère si cela se découvre.
Mauvaise gestion des réseaux sociaux – Les réseaux sociaux peuvent amplifier la crise en temps réel si on les ignore ou si on les gère mal. Ne pas surveiller ce qui se dit en ligne pendant le procès, c’est laisser de fausses informations prospérer sans correction. À l’inverse, répliquer de manière impulsive à des internautes ou laisser votre compte officiel poster des contenus hors-sujet comme si de rien n’était peuvent créer un bad buzz. Par exemple, censurer les commentaires défavorables peut entraîner un effet Streisand et redoubler l’hostilité en ligne. Que faire ? Mettez en place une veille active de la sphère numérique : identifiez les rumeurs dangereuses et démentez-les calmement via vos canaux officiels. Adaptez votre communication digitale au contexte : suspendez les publications marketing inappropriées et concentrez-vous sur des messages factuels en lien avec l’affaire. Si une accusation grave devient virale, répondez-y par un éclaircissement ou un démenti, mais sans polémiquer inutilement. En somme, gérez vos réseaux avec prudence, en écoutant et en rectifiant l’essentiel, pour garder le contrôle du récit médiatique.
Après le verdict : bien finir pour mieux rebondir
Une fois le jugement rendu, la communication de crise ne s’arrête pas. Qu’il s’agisse d’une condamnation ou d’une relaxe, la manière de communiquer à l’issue du procès est cruciale pour la suite de votre réputation.
Silence après coup – Se murer dans le silence une fois le verdict tombé est compréhensible humainement, mais tactiquement mal avisé. Si vous êtes condamné et ne dites rien, le public n’entendra que la version à charge (le résumé des faits reprochés et les réactions de la partie adverse). Si vous êtes innocenté et restez silencieux, beaucoup garderont en tête les accusations initiales sans réaliser que vous avez été blanchi. On sait que l’acquittement fait souvent moins de bruit médiatique que l’accusation initiale – à vous de compenser en communiquant. Que faire ? Prenez la parole sans tarder. En cas de condamnation, exprimez-vous pour montrer que vous assumez : reconnaissez la décision (même si vous la contestez en annonçant un appel), et faites preuve de volonté de tourner la page de façon constructive (par exemple en présentant des excuses ou en annonçant des mesures correctives). En cas d’accusation jugée infondée et d’innocence déclarée, communiquez clairement votre soulagement et la réaffirmation de votre intégrité, remerciez vos soutiens, et insistez sur le fait que la justice a tranché en votre faveur. Dans les deux cas, il est important de marquer le coup médiatiquement pour ne pas laisser d’ambiguïté dans l’esprit du public.
Réaction à chaud déplacée – L’émotion intense qui suit un verdict peut conduire à des excès de communication. Par exemple, sous le coup de la colère, invectiver la justice ou la partie adverse après une condamnation vous fera passer pour un mauvais perdant acharné. De même, après une victoire, fanfaronner et humilier publiquement vos accusateurs peut ternir la sympathie que votre acquittement avait suscitée. Que faire ? En toutes circonstances, gardez votre sang-froid dans vos déclarations finales. Si vous avez perdu, manifestez votre désaccord avec la décision de façon respectueuse (annoncez un recours, dites votre confiance dans les voies de recours légales) sans insulter les juges ou les plaignants. Montrez que vous respectez l’institution même dans l’adversité. Si vous avez gagné, faites preuve de modestie et de générosité : évitez les triomphes tapageurs, ne cherchez pas à « régler vos comptes », et contentez-vous d’exprimer votre satisfaction d’être blanchi. Cette dignité dans la défaite ou la victoire vous attirera le respect, là où un emportement ou un triomphalisme mal placé auraient relancé la controverse.
La communication sous contrainte judiciaire est un exercice délicat où la moindre maladresse peut amplifier une crise d’image. Nous avons passé en revue les erreurs les plus courantes : du silence radio initial qui laisse le champ libre aux rumeurs, à la sur-réaction qui braque l’opinion, en passant par les contradictions ou l’arrogance qui sapent la confiance, jusqu’aux excès ou au mutisme après le verdict qui figent une mauvaise perception. Pour chaque piège, il existe un antidote fondé sur le bon sens et la stratégie : communiquer un minimum plutôt que de se taire, répondre avec calme plutôt qu’avec fureur, coordonner ses messages avec sa défense, respecter ses publics et la justice, et garder une cohérence de bout en bout. Le consultant en communication de crise judiciaire doit aider son client à naviguer entre l’urgence médiatique et les contraintes légales. En évitant ces erreurs tactiques et en appliquant ces recommandations, on peut protéger au mieux la réputation d’une entreprise ou d’une personnalité face à une tempête judiciaire – sans jamais compromettre l’issue juridique, mais en s’assurant qu’au final, c’est la voix de la raison et de la maîtrise qui l’emporte dans l’espace public.