Démissions en série à la rentrée : l’analyse de LaFrenchCom pour Stratégies
À chaque rentrée, le phénomène se répète : de nombreux cadres profitent de l’été pour prendre du recul, réfléchir… et parfois envoyer leur lettre de démission. Un sujet particulièrement d’actualité en ce mois de septembre 2025, alors que les incertitudes économiques freinent pourtant les prises de risque.
Dans un article publié par Stratégies, Murielle Wolski a interrogé plusieurs experts sur ce « mercato » de la rentrée. Parmi eux, Florian Silnicki, Expert en communication de crise, Président fondateur de LaFrenchCom, apporte son éclairage en tant que spécialiste de la communication de crise.
L’article explore également les limites des outils juridiques comme la clause de non-concurrence, l’impact des plateformes numériques qui facilitent le passage à l’acte, ainsi que les solutions alternatives pour fidéliser les talents, telles que les long term incentives plans.
À travers son intervention, Florian Silnicki met en lumière une réalité souvent taboue dans les entreprises : le silence qui entoure la fatigue professionnelle et ses conséquences. La démission devient parfois l’ultime réponse à un malaise accumulé, mais elle révèle surtout la nécessité d’un dialogue plus sincère au sein des entreprises.
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Par Murielle Wolski
Nouvelle rentrée, et nouveau job ? Le mois de septembre va souvent de pair avec un changement de poste, démission à la clé. Un mouvement difficile à juguler pour l’entreprise. Et les outils juridiques à disposition sont peu nombreux, pour ne pas dire inexistants.
Envie d’ailleurs, de changement en cette rentrée ? « Un sujet clairement dans l’air du temps », commente Florian Silnicki, fondateur de La FrenchCom, agence de communication de crise. Qui raconte : « J’observe clairement chez mes clients, qu’en été, les démissions tombent comme les figues trop mûres de mon jardin. À mon sens, ce pic de démissions estival, ce n’est pas seulement parce que les gens prennent du recul. C’est aussi le moment où les tensions non réglées explosent. En juillet dernier, un directeur de la communication dans un groupe industriel du CAC 40 me dit texto : « J’ai tenu toute l’année à bout de nerfs. Mais là, après dix jours de vacances, je me rends compte que je ne peux plus remettre ce costume. J’étouffe ». Trois jours plus tard, mail de démission envoyé à 23 h 12, en copie à la DRH et au DG. Brutal, net, sans appel. »
2025 serait-elle une année particulièrement affectée par ces démissions ? En particulier en cette rentrée où les perspectives économiques et budgétaires n’incitent pas à l’audace ? Rien de significatif sur le début de l’année à en croire les données de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) : les démissions sont en progression de 0,8 % au premier trimestre, à 445 800. Mais Eric Gras, head of talent intelligence & brand ambassador sur la plateforme d’emplois Indeed, rappelle que les professionnels qui se disent épanouis au travail ne sont que 26 % des salariés. En d’autres termes, 12 % sont malheureux et le reste constitue « le ventre mou » de ceux qui veillent. « On a l’impression que tout s’arrête pendant l’été, commente l’expert, mais ce n’est pas le cas du tout. Les candidats sont même plus motivés. Les recrutements sont moins nombreux, idem pour les candidats. Mais le taux de réponse est meilleur. La période est propice à la réflexion… et à l’action. »
À dire vrai, il n’y a pas qu’une période propice au changement d’employeur. « La saisonnalité est marquée à la rentrée de septembre mais aussi en janvier, note Laurent Polet, fondateur de Primaveras, centre d’accompagnement à la reconversion professionnelle, auteur de Le Pouvoir, le bonheur, le climat : le désarroi des cadres (Éditions du Détour). On laisse passer l’été, car l’esprit n’était pas assez reposé. » Ensuite, les mois de septembre et octobre sont chargés, en termes de mouvements. Et les migrations interentreprises peuvent déborder au-delà.
« Le temps de caler deux ou trois entretiens pour un nouveau poste fait que le process requiert entre quatre et huit semaines », analyse Emilie Narcy, directrice des RH et des opérations chez Approach people, cabinet de recrutement. L’avènement du digital vient booster les démissions, en été, à la rentrée ou bien après. Car les offres poussées par des plateformes du type Linkedin sont toujours à portée de pouce. « Avant, les candidats allaient sur l’appli, détaille Eric Gras. Aujourd’hui, 60 % des candidats qui postulent le font suite à une suggestion. Quand vous n’êtes pas bien dans votre taf, vous n’avez même plus à aller chercher. »
Et de quels moyens disposent les directions des RH pour faire face à ces départs ? La clause de non-concurrence, utilisée notamment dans sur des postes de directeurs ou de dirigeants, est-elle un outil ? Avancer le sujet de cette manière ne plaît guère à Corinne Baron-Charbonnier, avocate associée, spécialisée en droit du travail, chez Vivant Avocats. « Il n’y a pas d’outil, explique-t-elle, si ce n’est la politique sociale propre de l’entreprise, laquelle cible la rémunération, pendant du contrat de travail, la qualité du travail, l’environnement… Il n’y a pas d’outil contractuel qui empêche un salarié de partir si son intention est de démissionner. »
Créée au début des années 2000, tout particulièrement pour retenir les pros de l’informatique, la clause de non concurrence interdit à un salarié de travailler pour – comme son nom l’indique- un concurrent, dans un périmètre géographique défini, moyennant un dédommagement qui peut aller jusqu’à 30 %, voire 50 % du salaire brut mensuel. Elle est définie pendant six à douze mois.
« On la met dans tous les contrats, analyse Louis Bommelaer, fondateur de Chab agency, agence de communication événementielle. Mais, on ne l’applique jamais. Elle coûte trop cher. Et puis, si elle est violée, je vous mets au défi de prouver comment ça s’est passé. Difficile ! Ce serait une connerie. Quand on regarde le mercato, les collaborateurs peuvent avoir fait cinq, six ou sept agences. De toute façon, peu d’agences recrutent actuellement. Avec des budgets plus restreints en 2025, on entend plutôt : restez au chaud ! »
Autrement dit, les agences n’offrent pas forcément d’opportunités et la recrudescence des free-lances est à souligner. Or recourir à la clause de non-concurrence vient instaurer un climat de défiance : ce n’est pas le meilleur scénario pour une relation professionnelle. Le dispositif préconisé par Corinne Baron-Charbonnier ? Les LTI pour « Long term Incentives plan » ou, en version française, les incentives à long terme qui octroient un bonus supplémentaire au bout de trois ans dans l’entreprise. La fidélité récompensée, en somme.
PHILIPPE ZAWIEJA, psychosociologue, directeur de la recherche du cabinet Ekilibre, auteur de La fatigue , sorti le 20 août, en « Que sais-je » aux Presses universitaires de France (PUF)
Peut-on parler d’un lien entre fatigue et démission ?
Le terme de fatigue est utilisé pour exprimer un phénomène de ras-le-bol, de saturation, pour désigner des phénomènes de « trop », mais aussi de « pas assez » : trop de contrôle, trop de temps de trajet, trop d’empêchements de la vie privée, et pas assez de reconnaissance, d’autonomie, de lien social ou bien encore de rémunération. C’est un terme un peu galvaudé. Il a pris le sens de quasi malaise.
Avons-nous une utilisation décomplexée de ce terme, de nos jours ?
Il y a deux siècles, la fatigue valait pour le bagne, pour les épreuves de la guerre ou d’un voyage en charrette. Aujourd’hui, la fatigue est physique, éthique, morale, informationnelle, démocratique… Et, curieusement, on la pense être un frein pour passer à l’acte, mais elle est aussi un catalyseur qui pousse, qui peut booster. Mais pouvoir démissionner aujourd’hui, compte tenu des circonstances économiques, constitue une situation de favorisé. C’est presque un luxe d’avoir la chance de trouver une entreprise qui corresponde à vos aspirations, vos valeurs, l’environnement de travail attendu…
Doit-on en parler dans son entreprise ?
On en discute avec ses collègues, pas avec son manager. Quand on dit « fatigue », on n’a pas encore pointé la responsabilité de l’entreprise. La fatigue admet d’autres causes. Mais elle est perçue comme une situation d’injustice et d’anormalité. Il y a une injonction à la performance, dans chacun de nos rôles. L’économie capitaliste a grignoté tous nos temps morts. Voyez Netflix. On pointe le boulot, mais nous sommes soumis à énormément de tentations. Avec la démission, on change de job, se retrouvant tout feu, tout flamme, mais c’est oublier notre vie extraprofessionnelle… qui ne change pas.