Face à la défiance qui s’installe entre direction et salariés, les outils de communication corporate ne suffisent plus à convaincre. Les communicants internes préconisent de réintroduire dans l’entreprise davantage de moments d’échanges entre collaborateurs et de la souplesse dans le management.
La communication interne vit une crise de confiance. Les communicants s’interrogent aujourd’hui sur leur rôle face à ce sentiment de défiance grandissant entre les salariés et les dirigeants, et sur leur difficulté à assurer la cohésion interne. Illustration publique du malaise : lors du dernier colloque de l’Association française de communication interne (AFCI), en octobre dernier, celle-ci n’a pas hésité à prendre pour thème : “La confiance en entreprise, est-ce encore possible ?”.
« La moitié des salariés ne croient plus aux messages de leur direction », affirmait en introduction de ce colloque Emmanuelle Bravard, responsable de la communication à Spie Batignolles.
« En dix ans, notre métier est devenu plus difficile, relevait Marc Specque, directeur de la communication interne de Shell et administrateur de l’AFCI. Nous devons apporter des réponses aux salariés, alors que nous vivons une accélération permanente du changement et des lendemains incertains, que même les dirigeants ont du mal à anticiper. »
Manque de solidarité dans les équipes
« Pour être performant, il faut de la solidarité entre les équipes. Et sur ce plan, on a beaucoup de mal à y parvenir », résumait un autre “dircom”. « La mondialisation fragilise la confiance. Dès lors que presque la moitié de notre chiffre d’affaires dépend des pays asiatiques, chacun sait que, si le marché s’écroule, l’entreprise sera amenée à licencier », commentait un autre. Face à ces constats, que faire ? Des sites intranet ? Ils sont certes utiles pour donner de l’information corporate, mais insuffisants, estime l’AFCI, tant le ressort de la confiance dans cette information est grippé.
« Le problème est qu’il n’y a plus de pensée stratégique construisant la communication, observe Stéphane Rozès, dirigeant du cabinet de conseil en stratégie d’opinion CAP. Aujourd’hui, 63 % des consommateurs ne croient pas aux messages d’une entreprise lorsqu’elle communique sur ses valeurs. Les salariés ont besoin de comprendre comment ils s’inscrivent dans une histoire. Il faut se poser la question des univers qui les rassemblent. Cela nécessite d’engager une réel échange avec les salariés, sans injonction ni autoritarisme. »
« La confiance se nourrit de choses simples, à commencer par la communication et la participation des salariés », poursuit Luc Boyer, chercheur en sciences de gestion à l’université de Paris-Dauphine.
Pour Michel Francony, ancien patron d’ERDF et membre du cercle de dirigeants Raphaël, qui travaille sur la confiance en entreprise, « il faut avoir le courage de revoir son organisation, d’engager une réelle réflexion avec les salariés et de leur redonner du pouvoir. Peu d’entreprises sont prêtes à s’engager dans une telle démarche. Elles craignent d’ouvrir la boîte de Pandore ».
« La volonté de contrôle est partout. Elle tient à cette idéologie de la gestion des risques qui entretient justement la défiance généralisée », analyse Jean-Christophe Le Duigou, conseiller de Bernard Thibault à la CGT, qui participait au colloque.
Une autre intervenante, Valérie Perruchot-Garcia, responsable de la communication à Axa et ancienne présidente de l’AFCI, concluait ainsi : « La confiance se nourrit de sens. Il faut accepter de passer de la transaction à la relation, prendre le risque de perdre un peu de temps pour se projeter dans une vision de long terme. Les communicants doivent porter leur part de courage et d’audace. »
Depuis sa création, le message de l’AFCI est qu’il faut redonner de la place à la relation humaine dans le management et promouvoir les échanges, même informels. C’est ce que tentent de faire Danone, Kingfischer et le conseil général du Loiret, en lançant des opérations à destination de leurs opérateurs, directeurs de filiales ou agents de la fonction publique territoriale.
Pour trouver d’autres pistes d’actions, l’AFCI et l’ANDRH présentent aujourd’hui à leurs adhérents les résultats d’une étude réalisée par Inergie sur les pratiques des entreprises en matière de communication managériale.
Fixer des objectifs clairs de communication interne
La fixation d’objectifs plus clairs aux managers et l’évaluation de leurs pratiques sont des pistes privilégiées. « Ce qui me semble également particulièrement porteur d’avenir, analyse Guillaume Aper, président de l’AFCI, ce sont les communautés de pratiques et les clubs de managers, qui sont cités par respectivement 29 % et 17 % des répondants ayant mis en place des supports d’information spécifiques à cette population dans leur entreprise. »
Pour un manager, communiquer comporte des risques techniques, mais aussi personnels et politiques. L’intranet n’est donc pas l’outil adéquat pour traiter de ce type de problème. En revanche, les communautés ou les clubs, eux, ont pour vertu de créer une communication moins statique. Les questions les plus sensibles, comme celles liées à la stratégie de l’entreprise, peuvent être parfaitement abordées entre pairs. Commencer par restaurer la confiance des managers, puis les aider à faire passer les messages : une forme de retour aux “basiques” pour la communication interne.
L’essentiel de la communication interne
- 1 – La confiance entre les managers et leur entreprise connaît une phase de crise.
- 2 – Les spécialistes de la communication interne pointent les limites du seul recours aux outils d’information.
- 3 – Communautés de pratiques et clubs d’échanges semblent être porteurs d’avenir.
La confiance en berne
→ Les tensions sont manifestes en France entre les managers et l’entreprise. Ainsi, les managers français ont bien moins confiance en elle que leurs homologues britanniques, espagnols et allemands, comme le montre une étude Cegos sur les pratiques managériales en Europe, menée auprès de 1 496 managers des quatre pays en octobre 2010. Seuls 22 % des managers français font “tout à fait confiance” à leur direction, contre 29 % en moyenne européenne et 33 % pour les Britanniques.
→ En corollaire, 27 % des managers français ont le sentiment que leur direction leur fait “tout à fait confiance”, contre 34 % en moyenne et 48 % chez les Espagnols. Conséquence : très peu de managers français (17 %) estiment qu’il est “très facile d’exprimer son désaccord avec sa hiérarchie”. C’est plus facile pour les Européens (22 %) et surtout les Britanniques (28 %). Que le ressenti des managers en France soit aussi noir questionne fermement le “modèle français”.