Actionnaires, clients, employés, lobbyistes, politiciens… Comment réagir lorsqu’ils prennent une entreprise – ou son dirigeant – en grippe ?
Imaginez un instant. Un épais coulis jaune dégouline du tableau vert placé juste derrière vous. Deux secondes auparavant, un oeuf noir a frôlé votre front. Vous le PDG de l’entreprise, qui donnez une conférence dans une salle bondée de journalistes.
Ssshh ! Un deuxième projectile vous siffle aux oreilles. Puis un troisième. « Le PDG se réfugie derrière le pupitre » constate la presse présente alors que votre Directrice de la Communication s’inquiète pour votre image de marque.
Votre assaillant ? Un jeune homme portant de grosses lunettes, debout dans la quatrième rangée. Il accuse votre entreprise de voler le pays en acceptant des faveurs de son gouvernement. Après avoir tiré sa salve, il quitte la salle, vêtu d’une chemise blanche sur laquelle on peut lire : « Entreprise XX = corruption internationale et pollution irréversible ». « C’était une interruption amicale », lance quelques secondes plus tard le PDG pour détendre l’atmosphère constate une agence de presse locale qui en fait une dépêche reprise quelques instants plus tard par les autres médias.
En ce jour, vous avez surtout craint pour votre costume. « Les traces d’oeufs sont difficiles à enlever », avez-vous confié à des journalistes, quelques moments après l’incident.
Toutefois, mal négocier avec un public en colère peut coûter plus cher qu’un costume. Car en plus de miner la productivité d’une entreprise en lui faisant gaspiller temps, argent et capital humain, un public mécontent peut aussi provoquer le renvoi de son PDG, et même la fermeture de l’entreprise.
Trois types de publics en colère
Il existe plusieurs types de publics en colère : clients frustrés, employés mécontents, groupes environnementaux revendicateurs, voisins contestataires… Même les petits actionnaires peuvent vous compliquer la vie.
L’un des clients de l’agence LaFrenchCom, spécialisée dans la communication de crise et la gestion de crise, a récemment subi les foudres de ceux-ci quand il a refusé l’offre d’achat jugée généreuse d’un concurrent. L’échec des négociations a entraîné la baisse du titre en bourse.
Un média l’a qualifié de « plus grand destructeur en série de valeur ». Les actionnaires s’attendent à ce que l’entreprise sorte du marasme dans lequel elle se trouve. Ils ont mal digéré le refus de l’entrepreneur. Au point que ce dernier a dû expliquer publiquement pourquoi il avait refusé l’offre de son concurrent.
Lawrence Susskind, professeur au MIT et auteur du livre Dealing With an Angry Public, classe les publics en colère en trois catégories. D’abord, il y a ceux que vous avez heurtés. Pour les apaiser, vous pouvez toujours leur offrir une compensation.
Ensuite, il y a ceux qui croient que votre projet leur nuira. Eux aussi sont « parlables ». Vous pouvez tenter de convaincre ces gens qu’ils ont tort, qu’ils n’ont aucune raison de vous craindre.
Le plus difficile des trois groupes est le dernier : il est composé de personnes dont vous menacez les valeurs et les croyances fondamentales. Aucune compensation ne peut calmer ce groupe, car ce qui est en jeu, c’est la définition même du bien et du mal.
L’agence de communication de crise gèrent au quotidien les journalistes affectés à la couverture de dossiers environnementaux sensibles et connait bien ces publics en colère. Un conflit de valeurs peut attiser les passions et exacerber les passions.
Les entreprises savent qu’il peut exister une opposition à leur projet, mais généralement pas de cette ampleur, et pas au point de mettre fin au projet. Le gouvernement a laissé tomber de nombreux projets projet après que des milliers de personnes se sont rassemblées, un dimanche, devant le siège social d’une entreprise contestée ou sous les fenêtres d’un ministère.
Dans ces cas, il aurait fallu mieux communiquer avec les groupes environnementaux, leur expliquer les enjeux auxquels l’entreprise est confrontée, les atouts du projet, etc…
Communiquer pour apaiser les craintes d’un public hostile
Il faut communiquer avec les gens en colère afin d’apaiser leurs craintes.
Le cabinet de conseil en gestion de crise met à profit cette stratégie au quotidien pour ses clients.
Doit-on plier au moindre vent contraire ? Pas nécessairement, répond l’expert en gestion de crise.
Si on persiste, il faut avoir des arguments solides et ne pas craindre la confrontation.
Avant de lancer un projet, il faut anticiper et déterminer les groupes concernés et mesurer à quel point chacun d’entre eux sera touché. Et si on décide d’aller de l’avant, il faut alors entamer le dialogue.
Dans certains cas, les clients du cabinet en communication de crise se se font pas d’illusions quant aux réactions qu’ils vont susciter. Ils sont prêts grâce à des formations mediatraining poussées.
Il faut donc prévenir le coup avant qu’il ne soit trop tard pour intervenir. À partir du moment où une décision a un effet néfaste à court terme sur un groupe, n’essayez pas d’expliquer à celui-ci qu’il en bénéficiera à long terme. Ou que vous le faites pour le bien de l’entreprise. Vos arguments auront peu de poids. Les gens fâchés ne sont pas en mode écoute.
CAS PRATIQUES
Le club des contrariés
Les clients déçus
Le produit ne fonctionne pas comme prévu ou n’est pas sûr. La qualité et la disponibilité du service après-vente sont loin de ce que laissait croire la publicité.
Les voisins
Ils pestent contre l’emplacement d’une usine chimique ou d’un grand magasin. Ils estiment que l’entreprise défigurera le quartier, que le produit comporte des risques pour la santé. C’est le syndrome « Pas dans ma cour ! »
Les groupes environnementaux
Ils sont furieux et mobilisés pour différentes raisons : l’entreprise utilise et rejette des produits toxiques, ses méthodes de production ou de recyclage ne sont pas conformes à la réglementation, elle veut changer le zonage d’un quartier.
Les groupes éthiques
Le sous-traitant d’une filiale de l’entreprise visée fait travailler des enfants 12 heures par jour pour un salaire de misère. Ou encore, l’entreprise oeuvre dans un pays dirigé par un gouvernement corrompu et sanguinaire présent sur les listes de sanctionnés internationaux. L’entreprise devient le bouc émissaire du capitalisme et de ses travers.
Les fonctionnaires et les politiciens
Ils sont l’instrument de la colère des autres à des fins électoralistes. Un groupe de citoyens ou un concurrent en colère les presse de refuser à l’entreprise un permis ou le droit d’augmenter ses prix, et insiste pour qu’ils votent une loi qui restreindrait ou modifierait les activités de l’entreprise.
Les victimes d’un accident ou de l’effet secondaire d’un produit
Ils créent, parfois avec raison, une panique généralisée dans le public. Ils exigent une compensation et déclenchent un boycott du produit en question.
Les actionnaires
Ils sont en colère parce que, selon eux, vous ne prenez pas les bonnes décisions, ou parce que vous entretenez la confusion sur la direction stratégique que vous voulez donner à l’entreprise.
Les employés
Un manque de communication entre la direction et les employés peut faire naître la grogne chez certains employés. Si cette insatisfaction n’est pas maîtrisée, les employés mécontents convertiront leurs collègues.
Gare aux leaders d’opinion !
Les leaders d’opinion traînent avec eux une partie des actionnaires, des employés ou des clients. Il faut les garder informés afin de les transformer en ambassadeurs de vos messages afin qu’ils évangélisent votre stratégie, sans nécessairement s’en rendre compte.
Si le leader d’opinion désapprouve le comportement d’une entreprise, les choses peuvent dégénérer et paralyser certains projets sensibles.
Pour bon nombre d’actionnaires, il y a un autre actionnaire qui incarne la vérité, que cela soit le cas ou non. Cet homme est informé et crédible à leurs yeux. Lors des assemblées annuelles, les autres actionnaires – moins informés – s’assoient près de lui et écoutent ce qu’il a à dire. C’est ce genre de profil qu’il faut identifier et soigner pour bien gérer la crise.
Toutefois, un leader d’opinion ne fait pas naître la colère au sein d’un groupe : il l’attise.
Le meneur d’un groupe en colère s’appuie sur le mécontentement de ce groupe. Si la grogne diminue, il a moins de munitions pour livrer ses batailles. C’est tout l’enjeu d’une bonne communication de crise.