Com’ de crise chez Danone

danone

Danone a sa part de responsabilité dans ce fiasco

Un plan social trop longtemps annoncé, mal communiqué, mal géré.

La communication de crise exige de choisir son moment, son lieu et son argumentation. Mais la réaction de la gauche, malgré toute l’affection que nous lui portons, a été pire. En appeler au boycott est une ineptie, qui plus est suicidaire.

Nous nous garderons bien pour autant de jeter la première pierre aux communicants de l’un ou l’autre bord. Communication rime mal avec passion. Dès lors que la frénésie médiatrice populaire s’empare d’un sujet, il n’est plus contrôlable. Et la raison s’y perd.

Dans le monde de l’entreprise, la communication de crise est un exercice délicat, où le choix des mots, du timing et des canaux de diffusion peut faire la différence entre un incident relativement contenu et un fiasco médiatique aux conséquences potentiellement lourdes. L’exemple évoqué ici concerne Danone, géant de l’agroalimentaire français, confronté à un climat social tendu et à la critique de plusieurs parties prenantes. Qu’il s’agisse de syndicats, de responsables politiques ou du grand public, tous ont réagi vivement à l’annonce d’un plan social.

Il faut souligner la part de responsabilité de Danone dans cet échec communicationnel. La communication de crise, en effet, implique de maîtriser ses émotions et d’éviter de céder à la passion. Or, lorsqu’une polémique éclate, les réseaux sociaux et les médias amplifient rapidement le phénomène, entraînant une forme de « frénésie médiatrice » qui échappe parfois à tout contrôle rationnel.

Comment expliquer le fiasco de Danone ? Pourquoi cette situation semble-t-elle avoir échappé tant à l’entreprise qu’à ses détracteurs ? Comment, enfin, restaurer la confiance et éviter que de telles crises ne se transforment en spirale sans fin ? Dans cet article, nous allons revenir sur les fondamentaux de la communication de crise, les pièges à éviter, et les raisons pour lesquelles la maîtrise du discours et de la temporalité est cruciale pour toute organisation exposée à la critique. Nous montrerons également que la passion, si légitime soit-elle, peut nuire à la qualité du débat public et susciter une escalade d’incompréhensions mutuelles.

Contexte et origines du fiasco

Un climat économique et social sous tension

Danone est l’une des entreprises phares de l’agroalimentaire français. Elle jouit d’une image associée à des marques de grande consommation (produits laitiers, eaux en bouteilles, nutrition infantile) présentes dans le monde entier. Cependant, même les groupes les plus solides ne sont pas à l’abri des turbulences économiques. Avant d’évoquer sa communication de crise, il convient de rappeler qu’un plan social ne se décide jamais à la légère : il résulte souvent d’une situation financière ou stratégique délicate, impliquant des restructurations, des fermetures de sites ou des transferts de compétences.

Dans ce cas précis, plusieurs facteurs pourraient avoir pesé :

  1. Concurrence internationale accrue : Le marché des produits laitiers et de l’eau embouteillée est très concurrentiel, avec des pressions sur les marges et les coûts de production.
  2. Évolutions dans la consommation : Les préoccupations environnementales et sanitaires entraînent parfois une diminution de la demande pour certains types de produits (sucrés, emballés, etc.).
  3. Stratégie interne : Des choix de diversification ou de recentrage qui peuvent aboutir à la nécessité d’adapter la masse salariale.

Un plan social, même s’il peut être jugé inévitable d’un point de vue strictement économique, reste toujours un signal négatif envoyé aux salariés, aux syndicats et au grand public. Or, lorsque ce signal est « trop longtemps annoncé », il crée un climat d’incertitude et de mécontentement qui fragilise la parole de la direction. La première faille se situe donc dans la gestion même de l’information en interne et auprès des partenaires sociaux.

L’annonce publique : une temporalité mal maîtrisée

La temporalité est un élément central en communication de crise. L’annonce d’un plan social doit s’appuyer sur une planification rigoureuse :

  • Identification des parties prenantes clés (salariés, syndicats, élus locaux, médias, consommateurs).
  • Choix du moment (éviter par exemple les périodes de forte tension politique ou les moments stratégiques comme la publication de résultats financiers records).
  • Élaboration d’éléments de langage clairs et cohérents pour expliquer les raisons de la décision, les éventuelles mesures d’accompagnement, les perspectives d’avenir.

Dans le cas de Danone, ce plan social fut « trop longtemps annoncé, mal communiqué, mal géré ». Cette mauvaise synchronisation dans la diffusion de l’information aurait pu avoir plusieurs effets négatifs :

  • Fuite d’informations non officielles dans les médias, suscitant des rumeurs et des paniques en interne.
  • Manque de dialogue préalable avec les partenaires sociaux, conduisant à un sentiment de trahison ou de mépris.
  • Pression médiatique accrue, faute de clarification rapide et transparente de la part de la direction.

Une fois la machine médiatique lancée, il devient très difficile de reprendre la main. Et c’est précisément là que la communication de crise doit être à la fois agile et ferme dans sa volonté de garder le cap.

Les écueils d’une communication de crise mal préparée

L’absence de storytelling cohérent

Lorsqu’une entreprise doit annoncer une mauvaise nouvelle (licenciements, fermetures de sites, réorganisations), elle doit expliquer le sens de cette décision. Pourquoi est-ce nécessaire ? Quelles sont les réelles menaces pour la compétitivité et la pérennité du groupe ? Quelles solutions a-t-on envisagées avant d’opter pour ce plan social ?

Or, s’il est perçu par le public que l’organisation n’a pas de vision claire, ne présente pas de perspectives d’avenir, et laisse simplement entendre qu’il s’agit d’une coupe budgétaire sans alternative, la crise gagne en intensité. Le plan social de Danone, trop longtemps repoussé et mal argumenté, aurait pu laisser l’impression qu’il s’agit d’une décision brutale et peu anticipée. Dès lors, la direction apparaît comme subissant la situation plutôt que la maîtrisant. À cela s’ajoutent les soupçons traditionnels en cas de suppressions d’emplois : le versement de dividendes importants aux actionnaires, le niveau de rémunération des hauts dirigeants, etc. Ces facteurs alimentent la colère de l’opinion publique, en particulier à gauche.

L’émotionnel qui prend le dessus

« Communication rime mal avec passion. » Dans un débat public, plus le registre émotionnel est fort, plus il devient difficile de conserver une argumentation factuelle et mesurée. Lorsque l’on touche à l’emploi, à la survie des familles ou à la cohésion territoriale (fermeture d’usines dans une région déjà touchée par le chômage), l’émotion est compréhensible et légitime. Pourtant, pour la direction de l’entreprise et les acteurs politiques, il est crucial de garder la tête froide :

  • Écouter les inquiétudes et les objections,
  • Apporter des éléments concrets,
  • Éviter la surenchère verbale ou les accusations caricaturales.

Si, à l’inverse, la passion l’emporte, le conflit se durcit. Les esprits s’échauffent, les positions se radicalisent, et toute possibilité de négociation ou de compromis s’éloigne. C’est dans cette zone de tension maximale que certaines personnalités politiques ont, selon l’auteur, contribué à aggraver la situation en lançant un appel au boycott, qualifié d’« ineptie » et de « suicidaire ».

L’appel au boycott : quelles conséquences ?

Un geste extrême et contre-productif

Appeler au boycott d’une marque, d’une entreprise ou d’un produit est un acte fort, habituellement réservé à des scandales graves (non-respect flagrant des droits humains, atteintes manifestes à l’environnement, etc.). Dans le cas présent, il s’agit certes d’un plan social potentiellement douloureux pour les salariés concernés, mais cela ne relève pas pour autant d’une atteinte délibérée à une cause universelle. De plus, un boycott touche non seulement la direction et ses actionnaires, mais aussi l’ensemble de l’écosystème : sous-traitants, distributeurs, agriculteurs et, in fine, salariés. Il peut aggraver la crise économique qu’il prétend combattre.

Le boycott en tant que réponse publique et politique peut donc sembler « suicidaire » à double titre :

  1. Il nuit à l’entreprise visée, mais aussi aux emplois qu’il prétend défendre.
  2. Il risque d’enflammer les passions sans jamais ouvrir la voie à une solution négociée ou raisonnée.

Le piège médiatique d’une surenchère

En communication de crise, tout geste extrême est un appel d’air pour les médias en quête de titres spectaculaires et de clashs verbaux. Les déclarations enflammées de responsables politiques ou syndicaux deviennent des slogans accrocheurs sur les réseaux sociaux, et la polémique s’installe. La direction de Danone se retrouve alors dans la posture de celui qui « subit » la vindicte populaire, sans véritable espace pour dialoguer.

Le danger est que, dans un tel contexte, la discussion constructive sur le « pourquoi » et le « comment » du plan social (plans de reclassement, indemnités, accompagnements, projets d’avenir) passe au second plan, l’opinion restant focalisée sur des invectives ou sur des appels à punir l’entreprise.

La difficulté de reprendre la main sur la narration

La « frénésie médiatrice populaire »

« Dès lors que la frénésie médiatrice populaire s’empare d’un sujet, il n’est plus contrôlable. Et la raison s’y perd. » On comprend ici le phénomène d’emballement. Internet et les réseaux sociaux ont accéléré ce processus :

  • Des hashtags appelant au boycott sont lancés sur Twitter ;
  • Des vidéos ou publications critiques circulent sur Facebook, Instagram ou TikTok ;
  • Des personnalités publiques s’indignent, créant un effet de caisse de résonance considérable.

Lorsque ce raz-de-marée émotionnel et médiatique se produit, la raison peut en effet s’effacer. Tous les arguments, même les plus pertinents, passent souvent inaperçus. L’entreprise, ou ses partisans, se retrouvent dans la posture du « grand méchant » contre lequel tout un chacun se sent légitime à jeter la pierre. Les responsables politiques, de leur côté, peuvent exploiter ce mouvement pour conforter leur popularité ou afficher leur proximité avec « le peuple ».

Entretenir la confiance malgré la crise

Face à cet emballement, il est essentiel pour l’entreprise de restaurer une forme de confiance, ou du moins de limiter la casse. Cela passe par plusieurs leviers :

  1. Transparence sur les chiffres, les projets, les étapes du plan social (en veillant toutefois à la confidentialité des négociations en cours).
  2. Canaux de communication multiples : communiqué de presse, conférences, interviews, présence calibrée sur les réseaux sociaux.
  3. Incarnation par la direction : la parole du PDG ou des dirigeants de haut niveau est souvent un gage de sérieux, à condition d’adopter un ton empathique et responsable.
  4. Mise en avant des efforts d’accompagnement : reclassements, formations, partenariats locaux pour favoriser les reconversions, etc.

Si la tempête médiatique est déjà lancée, cette démarche n’éteindra pas la polémique du jour au lendemain. En revanche, elle peut prévenir une escalade supplémentaire et permettre une reprise progressive du dialogue avec les salariés, les syndicats, les élus locaux et, dans la mesure du possible, l’opinion publique.

Les enseignements à tirer : points-clés pour éviter un nouvel échec

Choisir le bon moment et le bon lieu pour parler

« La communication de crise exige de choisir son moment, son lieu et son argumentation. » Cette phrase condense l’un des fondamentaux de la gestion de crise :

  • Le moment : anticiper autant que possible l’annonce en évitant les pics de tension (élections nationales, publication de résultats financiers en berne, crise parallèle dans un autre secteur, etc.).
  • Le lieu : privilégier un espace qui permette un échange – par exemple, une réunion avec les représentants syndicaux et les élus locaux, suivie d’une conférence de presse pour donner la même information à tous, et non des fuites qui se propagent de manière anarchique.
  • L’argumentation : présenter non seulement la nécessité du plan social, mais aussi les alternatives étudiées, les mesures d’accompagnement, l’engagement de la direction à réévaluer la stratégie si les conditions économiques le permettent.

Considérer la dimension sociale et politique

Toute décision touchant l’emploi a une dimension sociale et politique, particulièrement en France, où les entreprises sont souvent perçues comme jouant un rôle important dans la cohésion du territoire. Il est donc essentiel de :

  • Saisir l’équilibre entre l’économique et l’humain : Justifier la dimension stratégique de la décision tout en reconnaissant la détresse que cela peut engendrer pour les salariés.
  • Anticiper les réactions politiques : Les responsables politiques peuvent se saisir du dossier pour l’instrumentaliser, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.
  • Dialoguer avec les collectivités : Les maires, les députés locaux, les régions ont leur mot à dire, et leur soutien ou leur opposition peut influencer fortement l’opinion publique.

Ne pas confondre débat légitime et escalade passionnelle

Le regard critique de la gauche ou de tout autre parti politique n’a rien d’illégitime ; au contraire, le débat public sur les plans sociaux et la responsabilité des entreprises est sain. Cependant, basculer dans l’appel au boycott ou la diabolisation systématique des dirigeants s’avère destructeur pour toutes les parties. Il est plus constructif de :

  • Proposer des solutions alternatives (reconversion, diversification, investissement dans l’innovation).
  • Négocier sur les conditions de mise en œuvre du plan (indemnités de départ, soutien à la formation, mobilité…).
  • Préserver l’image de l’entreprise tout en préservant au maximum l’emploi local.

Au-delà de Danone : les défis de la communication de crise responsable

Un exemple symptomatique d’un malaise plus large

Le cas Danone, bien qu’il soit emblématique, n’est pas isolé. De nombreuses entreprises ont traversé des crises similaires, parfois avec un retentissement médiatique majeur (scandales sanitaires, écologiques, sociaux). Cet épisode met en évidence :

  • La fragilité d’une entreprise, même de grande envergure, lorsqu’elle communique mal sur des sujets sensibles.
  • La puissance des réactions politiques et syndicales, qui peuvent enclencher un emballement aux conséquences imprévisibles.
  • La difficulté de concilier logique économique et compréhension des enjeux humains dans une période de défiance généralisée envers les grandes entreprises.

Repenser la place de l’entreprise dans la société

Depuis quelques années, la notion d’entreprise à mission ou d’engagement sociétal progresse. Des groupes comme Danone, justement, ont souvent mis en avant leur attachement à la responsabilité sociale et environnementale (RSE). Lorsque survient un plan social, il peut donc y avoir un décalage perçu entre les discours vertueux et la réalité brutale des suppressions d’emplois. Les salariés et l’opinion publique ne comprennent pas toujours ces contradictions, d’où un sentiment de trahison.

Gérer une crise de ce type implique de clarifier la vision à long terme : en quoi ce plan social est-il censé renforcer l’entreprise pour, à terme, mieux affronter les enjeux environnementaux, sociaux et économiques ? Comment justifier ce choix au regard d’une politique qui se voulait progressiste ? Si ces questions ne trouvent pas de réponse satisfaisante, la crédibilité en pâtit durablement.

La responsabilité des médias et des politiques

Enfin, si la communication d’entreprise est en cause, les médias et les responsables politiques ont aussi leur part de responsabilité dans l’escalade de la crise. Le sensationnalisme et la recherche de buzz instantané peuvent l’emporter sur la nuance et la pédagogie. Le recours systématique à l’indignation sur les réseaux sociaux ne favorise pas non plus la résolution sereine des conflits. Il est primordial que chacun – journalistes, élus, porte-paroles – prenne conscience de la puissance de ses propos dans un espace public réactif et sensible.

Il est vrai qu’une crise de cette ampleur, notamment lorsqu’elle touche un fleuron de l’agroalimentaire comme Danone, met en lumière les carences ou les maladresses de la communication, aussi bien du côté de l’entreprise que du côté des politiques ou des syndicats.

  • Du côté de Danone : la préparation du plan social aurait dû faire l’objet d’une communication en amont, réfléchie et cohérente, tant en interne qu’en externe. Le fait d’avoir trop tardé et d’avoir donné des informations parcellaires a ouvert la voie à la défiance.
  • Du côté de la gauche ou de toute autre opposition politique** : l’appel au boycott représente une forme d’extrême qui, dans ce contexte, semble disproportionnée et potentiellement nuisible aux salariés eux-mêmes.
  • Du côté de la sphère médiatique : la recherche d’effets d’annonce et la mise en exergue des déclarations les plus véhémentes contribuent à nourrir la « frénésie médiatrice populaire ».

De manière plus globale, cette affaire illustre les défis contemporains de la communication de crise : une moindre erreur d’anticipation ou de gestion peut très vite être exposée, commentée et amplifiée sur les réseaux sociaux, créant une situation où la passion prime sur la raison. Les communicants de crise, qu’ils représentent l’entreprise ou les représentants politiques, se trouvent alors dans une position délicate : comment défendre des intérêts, justifier des décisions douloureuses ou exprimer une colère légitime tout en évitant la surenchère et la perte de contrôle ?

Toute crise, même douloureuse, peut cependant déboucher sur une forme de catharsis, permettant de repenser les méthodes et les priorités. La crise Danone doit ainsi conduire à s’interroger sur la manière de gérer humainement un plan social dans une entreprise qui se veut responsable, sur l’utilisation de l’opinion publique à des fins politiques, et sur l’importance vitale de la temporisation et de la transparence lorsqu’il s’agit d’annoncer une décision aussi sensible. En définitive, une communication de crise maîtrisée exige de concilier tact, respect et sens de l’anticipation, pour sortir du schéma bien trop fréquent du fiasco et du désenchantement collectifs.