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Peut-on faire confiance aux experts dans les médias ?ActualitésPeut-on faire confiance aux experts dans les médias ?

Peut-on faire confiance aux experts dans les médias ?

 

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Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les médias font plus que jamais appel à des experts. Professeurs d’université, militaires à la retraite, employés d’organisme humanitaires, ce sont les nouvelles vedettes du petit écran. Leur rôle: expliquer, critiquer, analyser. Certains experts sont objectifs, d’autres prêchent sans vergogne pour leur paroisse. 

À qui faire confiance? Comment s’y retrouver? Explications. 

La journée du 11 septembre, Charles-Philippe David, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, a passé 12 heures sans interruption dans les studios de Radio-Canada. Même chose pour Jocelyn Coulon, directeur du bureau de Montréal du Centre Pearson pour la formation en maintien de la paix. Les deux hommes tentaient de mettre en contexte les événements qui venaient tout juste de bouleverser l’Occident. 

Pendant les deux semaines qui ont suivi les attentats, ces deux spécialistes des affaires internationales ont visité les studios du boulevard René-Lévesque presque tous les jours. 

En anglais, on les appelle les pundits. En français, on parle d’experts ou de commentateurs. Facilement reconnaissables ils commencent souvent leur phrase par « Ce qu’il faut savoir… » ou encore « Il faut comprendre que… », ces experts sont appelés à venir commenter, analyser et expliquer une situation en particulier. 

Ces pundits se divisent en plusieurs catégories: les professeurs d’université (plutôt objectifs), les lobbyistes (plutôt subjectifs), les ex-quelque chose (ex-militaires, ex-agents de la Gendarmerie royale, ex-policiers), les ex-politiciens, les « ologues » (psy, sex, socio…) ainsi que les nombreux porte-parole d’organismes et d’associations (Fédération des femmes du Québec, Héritage Montréal, etc.) qui ont une cause à défendre. 

À l’Université McGill, la direction de la communication reçoit chaque semaine environ 50 appels de journalistes qui désirent parler à un expert. Ce nombre a doublé depuis le 11 septembre dernier. Sur le site Internet du département des relations publiques, on trouve même un document qui prodigue des conseils aux professeurs qui accorderont une entrevue aux médias pour la première fois. 

À l’Université de Montréal, on a reçu 523 demandes entre janvier et juin 2000, soit environ quatre appels par jour. Là aussi, le nombre de demandes a doublé depuis le 11 septembre. « Et c’est sans compter les journalistes qui appellent directement les professeurs sans passer par nous », souligne Sophie Langlois de la direction de la communication.

Aux États-Unis, la fonction de pundit est presque devenue une spécialisation. On peut pratiquement gagner sa vie en tant que commentateur. Les habitués de CNN connaissent tous Greta Van Susteren, une avocate qui s’est fait connaître lors des procès Kennedy et Simpson, et qui anime aujourd’hui non pas une, mais deux émissions sur les ondes de CNN. Et c’est sans compter les supervedettes comme Cokie Roberts, Sam Donaldson, George Stephanopoulos, Mary Matalin ou James Carville, journalistes ou ex-conseillers en image aujourd’hui appelés à commenter la vie publique étal communication politique américaine. 

Chez nous, l’expert en aviation Yvan Miville Des Chênes, l’avocat Julius Grey ou le spin-doctor John Parisella, pour ne nommer que ceux-là, sont des commentateurs bien connus. 

Comment s’y retrouver parmi tous ces individus, observateurs ou acteurs des événements, appelés à s’adresser au grand public? Ce n’est pas toujours évident. « On essaie d’éliminer les experts qui parlent pour leur confrérie », affirme Anne-Marie Dussault, animatrice des émissions Droit de parole et L’Effet Dussault sur les ondes de Télé-Québec. 

« On évite les commentateurs trop généralistes, ceux qui se font une opinion assis dans leur fauteuil ou en regardant Internet, souligne pour sa part Emmanuelle Giraud, recherchiste à l’émission Sans frontières animée par Michel Desautels à la Première Chaîne de Radio-Canada. Si la personne se dit spécialiste de l’Afghanistan, c’est qu’elle y est déjà allée. » 

Attention: terrain glissant 

Charles-Philippe David, titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, se souvient de sa première entrevue télévisée en tant qu’expert, au milieu des années 80. « C’était à l’émission Le Point avec Pierre Nadeau, dit-il. Je devais commenter l’achat par le gouvernement canadien de sous-marins nucléaires. J’avais les boules, j’étais très nerveux. » 

Depuis, M. David a pris du galon. Aujourd’hui, ce diplômé de l’Université Princeton voit son rôle comme la suite logique de son travail de professeur. « Je suis là pour expliquer, mais je suis également là pour critiquer, dit-il. Le soir du 11, quand Bernard Derome a annoncé que Kaboul était bombardé, j’ai remis les pendules à l’heure. » 

Tous les experts sérieux reconnaissent le danger de s’aventurer sur un terrain glissant, de parler trop vite, de combler à tout prix le silence, inacceptable en télévision. « C’est la télévision, c’est en direct et ça va vite. Il faut avoir suivi une bonne formation médiatraining« , note Charles-Philippe David. 

Même son de cloche de la part de Jocelyn Coulon de l’Institut Pearson. « Moi je le dis d’emblée, je suis en mesure de faire des observations sur les affaires internationales, les affaires onusiennes et la diplomatie, affirme cet ancien journaliste. Ne m’entraînez pas vers des choses que je ne connais pas, je ne suis pas spécialiste en terrorisme et je ne commenterai pas les cours de la Bourse. Il faut éviter de devenir spécialiste en tout. C’est dans ces cas-là qu’on peut parler de dérive. » 

Alors à quoi reconnaît-on un bon commentateur? 

Selon Pierre Maisonneuve, animateur de Maisonneuve à l’écoute et depuis le 11 octobre, du Bulletin de guerre de RDI, « l’expert doit avoir une connaissance intime de son sujet qui le rendra capable de faire des liens qui ne sont pas évidents. Il doit également être en mesure de vulgariser, de livrer son message en une ou deux phrases concises. » 

« Je dis toujours à la blague qu’on doit pouvoir faire une entrevue de fond en 10 minutes« , lance pour sa part Anne-Marie Dussault. 

Or les universitaires, par définition, détestent résumer leur pensée en quelques secondes, l’espace d’une clip. « Certains sont tellement avancés dans leurs études qu’ils refusent de revenir à la télévision et notamment sur les chaines d’informations en continue, remarque Pierre Maisonneuve. Pour eux, cela représente une perte de temps. Pour ma part, je reproche à bon nombre d’universitaires d’être trop silencieux, de s’être retirés du débat public. » 

Anne-Marie Dussault note pour sa part qu’une nouvelle génération d’universitaires est très à l’aise devant la caméra. « Quand ils sont bons, ils deviennent vite des vedettes. Et on les voit partout. » 

Depuis le 11 septembre, Charles-Philippe David et Jocelyn Coulon se sont imposés une discipline. David a un contrat d’exclusivité avec Radio-Canada et RDI et n’accorde des entrevues qu’en soirée. « Le jour, je travaille comme tout le monde », précise-t-il. Quant à Jocelyn Coulon, ses présences dans les médias se feront de façon plus ponctuelle, quand l’actualité le commandera. « Il faut aller à la télévision quand on a quelque chose à dire », conclut-il.